Maison d'habitation et atelier Lyse-Lotte

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4056 Basel,
Suisse

Publié le 08 janvier 2024
Clauss Kahl Merz Atelier für Architektur + Städtebau GmbH + Martina Kausch Architektinnen
Participation au Swiss Arc Award 2024

Une coursive dessert  les appartements pour personnes âgées au 3ème étage et doit en même temps servir de lieu de rencontre pour stimuler l’interaction entre les habitants. Des plantes grimpantes et  en bacs transforment peu  à peu la coursive et les balcons présentés comme  un jardin suspendu. Un hall d’habitation à deux étages dessert les appartements du 3ème et  du 4ème étage. Il sert principalement d’accès, mais est également un espace commun aux multiples usages. En hiver, les plantes en bacs peuvent être transportées des balcons vers la serre sur le toit.  De plus, elle sert de salle multifonctionnelle aux habitant·e·s. Les appartements familiaux ont été développés le long des façades. Cela crée des effets de profondeur comme dans une enfilade. L’espace commercial  est utilisé comme atelier par un relieur Des rails ont été encastrés dans les plafonds des ateliers. Des rideaux per­- mettent de séparer visuellement la cuisine en un seul geste.

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Beckenweg 6, 4056 Basel, Suisse
Catégorie de projet
Type de bâtiment
Achèvement
04.2023

Données du bâtiment selon SIA 416

Étages
de 6 à 10 étages
Surface de plancher
2049 m²
Coûts de construction (BKP 2)
7,8 mio. CHF

Description

Un projet coopératif remarquable a vu le jour sur le site bâlois de Lysbüchel. Avec sa façade tramée, l’immeuble d’habitation Lyse-Lotte conçu par l’atelier Clauss Kahl Merz en partenariat avec Martina Kausch est moderne et sobre. Chaque façade a son propre caractère: elles communiquent discrètement vers l’extérieur la diversité des types de logements, réagissent au contexte complexe et le synthétisent avec une légèreté ludique.

Pour que des plantes particulières puissent s’épanouir, il faut un sol fertile, de l’eau, beaucoup de soleil et des insectes pollinisateurs assidus. De même, une architecture innovante ne peut germer qu’avec des maîtres d’œuvre progressistes, des autorités ouvertes, des architectes prêts à expérimenter et des habitants proactifs. La transformation des 11,6 hectares de la zone commerciale et industrielle VoltaNord –pour laquelle le nom de Lysbüchel-Areal est utilisé en parallèle – en un nouveau quartier urbain peut, si l’on veut continuer à utiliser la métaphore florale, être qualifiée de biotope architectural.

Laboratoire de l’habitat
Bâle s’agrandit. En 2022, plus de 4100 personnes y ont emménagé. L’économie croît encore plus rapidement. Les nouveaux emplois se créent actuellement deux fois plus vite que les habitations. Par conséquent, la situation sur le marché du logement est tendue et le trafic pendulaire ne cesse d’augmenter. Il n’y a presque pas de terrains inutilisés dans le canton-ville, c’est pourquoi la densification vers l’intérieur (comme dans tous les espaces métropolitains helvétiques) est le mot d’ordre du moment. Le plus grand potentiel à cet égard réside dans une poignée de sites industriels sous-utilisés. Depuis l’achèvement de l’autoroute urbaine «Nordtangente», une grande partie du trafic automobile qui encombrait quotidiennement les routes entre le centre ville et la France a disparu dans un tunnel, il est donc devenu évident de transformer la zone industrielle et commerciale VoltaNord. Environ 2000 logements et 2500 emplois doivent être créés. Un plan d’aménagement a été adopté en 2018 et une étude urbanistique a été réalisée l’année suivante avec sept équipes de planification. Les propositions de jessenvollenweider et de la communauté de travail Studio Dia / Johann Reble ont été réunies en un ensemble de règlements. Le quartier doit être verdoyant et bénéficier d’espaces ouverts de qualité avec, entre autres, le nouveau parc Saint Louis et la place Lysbüchel.
La partie nord de Volta appartient aux CFF et doit continuer à être utilisée à des fins commerciales. Au sud, Coop exploitait un centre de distribution sur 34 000 mètres carrés et utilisait pour cela sept bâtiments de stockage. Le site a été vendu à la fondation Habitat en 2013 et servira à l’avenir en priorité à l’habitat. La fondation a conservé 12 400 mètres carrés. Elle a vendu l’autre partie du terrain à Immobilien Stadt Basel.

Au centre
La bande sur laquelle se trouve aujourd’hui la Lyse-Lotte était autrefois une sorte d’espace de séparation entre la structure d’îlot effilochée de St. Johann et les bâtiments commerciaux adjacents. Grâce au prolongement de l’ancien entrepôt vinicole, l’îlot jusqu’alors incomplet entre la Hüningerstrasse, l’Elsässerstrasse, la Weinlagerstrasse et le Beckenweg a désormais tendance à se fermer. La Lyse-Lotte se trouve ainsi «dans la cour»; mais avec sa façade ouest ouvrant sur le Beckenweg, elle fait en même temps partie de l’îlot. En marchant sur le nouveau ponton on est surpris de voir à quel point les deux bâtiments sont proches l’un de l’autre. Cela n’a été possible, du point de vue du droit de la construction, que grâce à un accord entre voisins. Celui-ci a permis à la façade nord de Lyse-Lotte d’être posée sur le bord du terrain. De plus, Habitat, en tant que propriétaire de l’entrepôt vinicole, a dû accorder au voisin des droits de fenêtre et de passage, car l’accès aux ateliers se fait par la passerelle depuis le nord, c’est-à-dire à travers le terrain attenant. Bien que l’entrepôt vinicole et Lyse-Lotte soient positionnés si près l’un de l’autre, cette proximité n’est pas désagréable. Il est intéressant de noter que la façade du bâtiment transformé par Esch Sintzel, vue depuis Lyse-Lotte, apparaît très filiforme. La couche de balcons présentée, avec ses profilés d’acier élancés et des dizaines de plantes en bacs luxuriantes, font que l’entrepôt apparaît comme un jardin vertical aéré. Vers le sud, les habitants de Lyse-Lotte ont également la vue sur une verdure abondante; de grands arbres y sont plantés. Ils donnent l’impression, notamment dans les ateliers, d’habiter dans une forêt ou un ancien parc.
Les architectes démontrent que cet environnement est bénéfique à l’architecture en rappelant l’école St. Leonhard à Saint-Gall (2018); un projet dans lequel le nouveau et l’ancien bâtiment sont également proches l’un de l’autre, créant ainsi une place intime et contenue, et pour lequel les architectes citent l’Economist Building des Smithsons à Londres comme source d’inspiration (1965).

Ménage-à-trois
Lorsque Habitat a mis les parcelles au concours en février 2018, un groupe d’intérêt tripartite s’est porté candidat pour ce créneau spécial. Les coopératives existantes Klybeck et Areal se sont associées à un groupe d’amis et de familles qui a pris le nom de Baugruppe Lotte. Sous la direction des architectes Marco Merz, Marion Clauss et Martina Kausch, un avant-projet a été élaboré après une première étude en mars 2019 et soumis à Habitat. La fondation a ensuite accompagné en continu l’avancée de la révision du projet – notamment en ce qui concerne la durabilité. De plus, Habitat a veillé à ce que la surface moyenne de référence énergétique reste inférieure à 45 mètres carrés par personne. La construction s’est déroulée de 2021 à 2023, et plus de 40 locataires ont emménagé en mai.

Unité et différence
«Lyse-Lotte est une maison avec de nombreuses situations spécifiques. Chaque coin, chaque façade a reçu sa propre expression», s’est enthousiasmé un habitant que nous avons rencontré lors de la visite du bâtiment. Cette description approbatrice a réjoui les architectes, car ils souhaitaient que le projet offre un espace répondant aux différents besoins des habitant·e·s et que la diversité visée soit également transmise à l’extérieur par l’aménagement. Le rez-de-chaussée et le 1er étage sont occupés par des ateliers à deux étages et un local commercial. Au 2ème étage, des appartements ont été aménagés pour les personnes âgées, tandis que les 3ème et 4ème étages sont réservés aux familles. En outre, des unités particulières telles qu’une chambre d’amis, un studio et une serre y ont été entremêlés. À l’origine, les différents types d’appartements devaient être reconnaissables de l’extérieur grâce à des formats de fenêtres différents et à des profilés colorés. De plus, l’espace commercial devait être doté d’une série de portes-fenêtres élancées avec une finition en arc de cercle. Pour des raisons de coûts, la polychromie a toutefois été abandonnée et réduite à différentes nuances de gris. Les arcs et les deux fenêtres rondes de la façade ouest ont également été victimes du crayon rouge. Pour des raisons de coûts, les formats des fenêtres ont été uniformisés autant que possible. Les auteur·rice·s et les réalisateur·rice·s utilisent une technique appelée «kill your darlings». Ils savent qu’une intrigue devient plus cohérente si on laisse sur la table de montage des scènes supposées bonnes. Le processus de distillation a également été bénéfique à Lyse-Lotte: son revêtement, qui apparaît désormais gris, lui confère une allure générale cohérente et puissante. On peut qualifier l’apparence de Lyse-Lotte d’architecture de compromis – et ce dans un sens extrêmement positif. Alors que Marion Clauss a misé sur une logique additive, Marco Merz a plutôt conçu le bâtiment comme une sculpture, dans laquelle des saillies et des creux ont été sculptés à partir d’un volume massif, ou comme un objet recouvert d’une peau uniforme. Les stratégies de traçage et d’assemblage ont été soigneusement équilibrées. Cela a conduit à la dialectique déjà évoquée: la maison semble ainsi à la fois calme et dynamique, moderne et postmoderne, méthodique et irrégulière.

Une invitation à la ville
Les rez-de-chaussée des immeubles d’habitation sont souvent un casse-tête, surtout lorsque des espaces publics s’étendent jusqu’aux façades. Pour les créateur·rice·s de Lyse-Lotte, il était clair que ce lieu devait être un espace de vie et de travail pour les personnes qui apprécient les interactions et échanges. En conséquence, les candidat·e·s pour les ateliers à deux étages devaient rendre crédible le fait qu’ils allaient également y travailler et générer un certain degré de fréquentation. «Notre vision idéale était que la ville s’écoule dans les ateliers et que les portes soient toujours ouvertes», explique Marion Clauss. L’architecture fixe un cadre idéal pour l’interpénétration des usages publics et privés: les rez-de-chaussée sont libres et discrètement zonés par des salles d’eau, des escaliers en colimaçon et des rangées de cuisines. Ces dernières peuvent être séparées par un rideau si nécessaire. Deux chambres à coucher sont prévues à l’étage. Les locataires ont toutefois pu adapter la répartition selon leurs propres idées et ont largement fait usage de cette possibilité en ajoutant ou en supprimant des murs. Les façades de la cuisine sont colorées et les étagères sont en marbre agglo. Cette pierre aux motifs joyeux réapparaît à différents endroits de la maison, formant des plinthes et habillant les murs des salles de bains – en blanc, gris, noir et rouge.

Où habitent les personnes agées?
Les appartements du 2ème étage étaient destinés aux personnes de plus de 50 ans. Comprenant beaucoup d’espace dans les salles de bain et les cuisines, les trois petites unités et une colocation auraient également dû être adaptées aux personnes en fauteuil roulant. Le conditionnel est volontairement utilisé, car actuellement, seuls des jeunes locataires y habitent. Que s’est-il passé? «Il y a eu peu de candidatures de personnes âgées», raconte Marion Clauss. Elle estime que, lors de la phase de gros œuvre , quand la location a commencé, ils n’ont pas été séduits par la grandeur des fenêtres. Ou le succès global du quartier de Lysbüchel a-t-il un effet dissuasif sur les personnes âgées? Il y a tellement de familles avec enfants qui y vivent que la journée, c’est bruyant et turbulent.

Appartements familiaux
Les 3ème et 4ème étages sont occupés par cinq appartements familiaux, dont un duplex. Un hall d’habitation a été ajouté pour leurs accès. On accède à ce foyer de deux étages par la cage d’escalier. Il n’est pas encore meublé, mais il y aura bientôt une grande table autour de laquelle les habitant·e·s pourront manger ensemble ou les enfants faire leurs devoirs. Ces derniers utilisent déjà beaucoup le hall et y jouent au football ou avec leurs peluches, pas toujours pour le plaisir des autres résident·e·s. Les appartements sont cependant agencés individuellement. Les pièces à vivre sont tantôt au nord, tantôt au sud. Si la maison a une structure cloisonnée aux étages inférieurs, celle-ci se dissout aux étages supérieurs. Comme les appartements sont principalement alignés sur les façades, on a plutôt l’impression de chambres additionnées que de segments parallèles. Une chambre joker, accessible depuis le hall d’habitation, témoigne d’une autre idée des coopérateur·rice·s: à l’origine, plusieurs chambres de l’immeuble devaient pouvoir être communes entre différents appartements. Des questions banales – comme la manière d’établir un décompte équitable d’électricité et de chauffage – ont fait imploser cette idée au cours de la planification.

Monter sur le toit
Le toit de Lyse-Lotte est un lieu utilisable par toutes et tous. Il y a une grande terrasse commune avec une pergola, une serre ainsi qu’un studio qui est loué annuellement et qui est actuellement utilisé par les collaborateur·rice·s du théâtre de Bâle. La serre ne doit pas seulement servir à l’hivernage des plantes de balcon et à la culture de légumes; elle est également un espace multifonctionnel. La terrasse et la serre semblent encore plutôt inutilisées, mais elles enflamment immédiatement l’imagination. Peut-être que la communauté de l’immeuble découvrira bientôt – après s’être lassée de l’idylle de ses propres balcons et terrasses – quelles fêtes grandioses on pourrait y organiser?
Avec leurs toits à deux pans tournés de 90 degrés l’un par rapport à l’autre, la serre et le studio ont l’air de deux jolies cabanes posée par dessus. Ces deux éléments ont été remis en question au cours de la planification à cause de leur toiture asymétrique. Après autorisation de la commission des paysages urbains, le projet a pu être mis en œuvre comme planifié. La serre a, elle aussi, été remise en question à cause de son coût. Les architectes ont toutefois réussi à convaincre les membres de la coopérative de la mettre en œuvre. Heureusement pour eux. Rétrospectivement, il est difficile d’imaginer la Lyse-Lotte sans sa tête identitaire.

Éloge du collage
Sur leur page d’accueil, les architectes ont glissé dans leur compte-rendu du projet une photo de la Lieb House de Venturi Scott Brown à Barnegat Light (1969). Les liens de parenté entre les deux constructions sont évidents. Toutes deux glorifient le quotidien et l’exaltent, tout en prenant plaisir à jouer avec des éléments architecturaux classiques. De plus, les deux groupes d’auteur·rice·s voient manifestement une valeur dans l’hétérogénéité et embrassent le collage. Que des éléments d’apparence postmoderne jouissent actuellement d’un regain de popularité auprès de différents bureaux suisses est également démontré dans les autres projets de ce magazine. La raison la plus importante est certainement que cette technique invite les habitant·e·s à s’approprier l’architecture, à la compléter ou même à continuer de la construire. De leur côté, les concepteur·rice·s ont compris qu’une architecture de type collage est suffisamment forte pour supporter les adaptations. Alors que pendant de nombreuses années, l’architecture suisse a misé en priorité sur le minimalisme, qui s’opposait à l’adaptation, Lyse-Lotte représente une attitude helvétique rafraîchissante et contemporaine, qui prend les habitant·e·s au sérieux et les invite à vivre activement dans leur maison et à la faire évoluer. On aimerait voir davantage de projets dans cet esprit à l’avenir!

Texte: Jørg Himmelreich

Première publication: Arc Mag 2024–1

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