Transformation de la gare CFF Montreux

15 von 90

 
1820 Montreux,
Suisse

Publié le 12 avril 2024
Tempesta Tramparulo Architectes Sàrl
Participation au Swiss Arc Award 2024

Vue intérieure de l'escalier central Vue aérienne Vue de la lucarne est Vue aérienne Vue aérienne Vue intérieure du vestibule au niveau de l'avenue des Alpes Détail de menuiserie intérieure Menuiserie intérieure du vestibule au niveau de l'avenue des  Alpes Vue intérieure de l'escalier central Vue intérieure du nouvel escalier Détail du nouvel escalier Détail du nouvel escalier Vue intérieure de l'escalier central

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Avenue des Alpes , 1820 Montreux, Suisse
Catégorie de projet
Achèvement
06.2023
Liens

Données du bâtiment selon SIA 416

Étages
de 6 à 10 étages
Nombre de sous-sols
1 étage
Surface de terrain
16'148 m²
Surface de plancher
6500 m²
Surface utile
4800 m²
Volume bâti
19'330 m³
Coûts de construction (BKP 2)
11,2 mio. CHF

Description

Sur le perron de la gare de Montreux, l’architecte Antonino Tramparulo expose d’emblée la philosophie de son bureau en matière d’intervention dans l’existant: «intervenir dans un bâtiment, c’est comme cuisiner, on doit faire avec ce qu’on a». Il ajoute qu’en architecture comme en cuisine, il est toujours préférable de respecter la saveur spécifique des matériaux. Pour lui, le déterminisme des deux pratiques est secondaire: les ingrédients peuvent bien ne conduire qu’à un nombre restreint de compositions – de recettes –, il sait qu’il lui reste le jeu des proportions et de l’assaisonnement. Du reste, il n’y a que les esprits infiniment décomplexés qui osent poser le projet d’architecture comme une liberté générale de créer. Même pour une construction neuve en rase campagne, il faut composer avec des ingrédients incontournables: les moyens du maître d’ouvrage, les règlementations locales, les hoquets du marché des matériaux de construction, les inclinations momentanées des magazines d’architecture et, pourquoi pas, la qualité des sols – n’est pas un créateur libre celui qui, pour arriver à ses fins, emploie une débauche de machines pompant autant de pétrole qu’un avion au décollage. Une dose de déterminisme en cuisine et en architecture est donc incontournable et même sans doute enviable: la sobriété incite à la création. Là où la débauche resserre l’esprit sur l’obsession à utiliser tous les moyens, le manque ouvre la pensée sur les mille combinaisons possibles des rares ingrédients disponibles. Sans conteste, la pensée du «panier du marché» peut faire florès en architecture – n’a-t-elle pas déjà instigué l’idée de la production locale de matériaux de construction?

Diagnostic
Pour le vérifier, le mieux reste encore d’ausculter un projet de Tempesta Tramparulo et de vérifier la pertinence de leur pensée mise en action. À la gare de Montreux, par exemple, le maître d’ouvrage leur demande de revoir la position des guichets; en cuisiniers impertinents, ils préfèrent investir les quelques moyens qui leurs sont donnés pour réaliser une étude fonctionnelle de toute la gare. Ils constatent alors que les guichets ne sont pour rien dans la gêne où ils se trouvent et que sans autre modification, une plus belle salle ne les rendrait pas plus attractifs. Le souci de la gare de Montreux ne tient pas tant à l’étroitesse et à la discrétion des pièces dévolues à la vente des billets, mais bien plus à la déficience des circulations horizontales et verticales, et à l’âpreté des espaces semi-publics. Les architectes affirment sans crainte qu’avant de déménager quoi que ce soit, il faut «irriguer» l’édifice, régénérer les parcours, rouvrir les espaces et encourager la déambulation. Dans la même veine, ils encouragent l’aménagement des combles, estimant que dans un contexte d’exiguïté territoriale et de raréfaction énergétique, il est indécent qu’un tel volume, d’ores et déjà clos et couvert, reste vide – quitte à mieux drainer l’édifice dans les étages inférieurs, autant le faire jusqu’aux combles. Forts de ce diagnostic préliminaire, Tempesta Tramparulo endossent leur tablier et préparent leur concoction.

Escalier
La difficile distribution de la gare de Montreux découle d’une histoire chahutée. D’abord, il y a la pusillanimité des ingénieurs qui la dessine, au début du XXe siècle, et qui interdisent aux escaliers de service de desservir tous les niveaux. Ensuite, il y a les aléas dont sont friands les rubriques des chiens écrasés des journaux, qui poussent les CFF à condamner l’escalier monumental pour chasser la desserte des quais à l’extérieur du bâtiment. Enfin, il y a l’escalier inversé installé dans le cadre du chantier de la décennie 1990, censé prolonger l’un des escaliers de service, mais qui perpétue finalement l’impossibilité de passer du rez-de-chaussée aux combles d’une seule traite. Ainsi, Tempesta Tramparulo saisissent le taureau par les cornes et percent dans la masse une toute nouvelle circulation verticale. L’intervention n’impressionne qu’en apparence: en s’appuyant sur le mur d’échiffre de l’escalier monumental, qui d’ores et déjà monte de fond en comble, ils évitent de nombreux obstacles aux étages supérieurs. Ensuite, ils conçoivent un assemblage de pièces préfabriquées qui ne demande, au moment de la construction, qu’un percement en toiture de la taille d’une volée d’escalier. Enfin, ils s’insèrent délicatement entre deux fermes de charpente pour éviter toute manipulation abusive de cette dernière. Non contents de leur prouesse, ils jouent de l’assaisonnement: profitant de la préfabrication en atelier, ils optent pour un escalier noir et blanc et, usant des libertés laissées par le mode d’assemblage, ils choisissent de ne pas accoler les pièces préfabriquées. Les paliers sont ainsi marqués par une fissure de cinq bons centimètres. En passant du blanc au noir, ou du noir au blanc, celles et ceux qui osent regarder en haut ou en bas, aperçoivent alors d’un coup le fond des enfers ou le ciel du paradis. Cet escalier double, qui n’est pas sans rappeler les deux faces de Janus, dieu des commencements et des fins, transforme l’ascension de la gare de Montreux en quête existentielle.

Combles
Les combles de la gare de Montreux sont proverbialement vastes: un espace sans partition long de 56 mètres et large de 12 mètres, pour une hauteur de 7,2 mètres, soit autant que les deux étages inférieurs réunis, dont le premier n’est pas vraiment bas de plafond. En comptant encore le dôme central qui culmine à presque 12 mètres au-dessus du plancher, voilà que leur volume intérieur est plus vaste que celui du nouveau parlement vaudois à Lausanne. Il est admirable de constater qu’en 1903, l’architecte Eugène Jost osait une toiture aussi vaste pour la seule raison qu’il voulait asseoir la composition de sa monumentale façade – en ce temps, l’unité stylistique comptait apparemment plus que la rentabilité des surfaces de plancher. L’espace se développe ensuite dans les entrelacs d’une gigantesque charpente composée de dix fermes dont les subtils assemblages génèrent, au premier niveau, un plan libre corbuséen (souches de cheminées mises à part). À la fin des années 1960, une intervention paresseuse ratiboise la couverture, supprimant lucarnes et ornementations de ferblanteries. Privant le volume intérieur de toute source de lumière naturelle, elle transforme le grand mansart de Jost en un bête chapeau noir – en cuisine, on appellerait cela «verser la salière dans le plat». Tempesta Tramparulo adoptent alors une attitude emprunte de piété: redonner de l’allure à la toiture, conserver intact la structure qui la porte et ne créer un volume chauffé qu’en conséquence de ces deux exigences. Ici, pas de mythologie ni de délire chromatique, mais un travail d’orfèvre autour de la re-création des boudins à la jonction entre le brisis et le terrasson, qui deviennent des rouages de la ventilation du bâtiment. Parallèlement, les architectes poussent le soin du détail jusqu’à faire en sorte que le climat du bois des charpentes ne soit pas perturbé. Pour lui permettre de continuer à profiter des fluctuations saisonnières de la température et des taux d’humidité, ils rendent en effet les combles habitables grâce à un épiderme isolant «intérieur». La charpente devient un exosquelette, alors que l’enveloppe thermique se développe selon une succession de quadrilatères inclinés – elle paraît être moulée autour des arbalétriers pour aller chercher la lumière naturelle. Pour iconoclaste que le résultat puisse paraître, il n’est rien d’autre qu’un moindre déploiement de matière selon la géométrie euclidienne. Ici, la pureté du geste n’exige aucun assaisonnement.

Goût
Les nouvelles lucarnes de la gare de Montreux dispensent peut-être une autre leçon des cuisiniers aux architectes: les ingrédients ont beau être imposés, l’éventail des possibilités limité et l’assaisonnement réduit à une pincée de sel, le goût n’en est pas moins une affaire complexe – un même plat peut être adoré et détesté. Il ne fait aucun doute que ces lucarnes plairont et ne plairont pas, mais il faut laisser à Tempesta Tramparulo leur effort tout entier tendu vers la juste mesure. Dans l’étroite marge de manœuvre qu’il leur restait, ils ont testé à peu près toutes les combinaisons et proportions imaginables; ils ont réalisé des maquettes virtuelles et réelles des lucarnes, les ont soumises à la discussion et les ont contraintes à des tests de réalisation. Tempesta Tramparulo ont testé leur recette avant de la servir au grand public. Ils auraient sans doute pu l’ajuster encore et encore dans l’espoir de glaner plus de suffrages, mais là n’est pas l’essentiel. L’indiscutable qualité de leur projet à Montreux tient au fait qu’ils ont réalisé là l’un des rares aménagements de comble du canton dans lequel la charpente a encore froid alors que le locataire a bien chaud. Or, comme chacun sait, s’il y a bien une chose que les monuments historiques apprécient encore plus que l’intégrité esthétique, c’est la permanence climatique. Si les lucarnes à la sauce Tempesta Tramparulo ne plaisent pas, on peut toujours les démonter, et en faire d’autres, ou pas, car les ingrédients de base sont toujours là, intacts.

Espace

Après l’origami des combles et l’escalier mythologique, le vestibule des pas-perdus du rez-de-chaussée paraît bien sage. Un charme suranné se dégage de la générosité du volume, de la finesse des boiseries et de l’élégance des couleurs. Tout ce qui s’y déroule paraît aller de soi: qui veut ressortir dans la rue par la deuxième porte, peut; qui veut ressortir par la cinquième, peut; qui veut déambuler, se perdre ou s’adosser nonchalamment contre un mur, peut tout autant. Les apparences sont toutefois trompeuses, car cet espace a été le lieu de l’une des interventions les plus virulentes de Tempesta Tramparulo. Un flash-back rappelle en effet que durant les trois dernières décennies, une imposante paroi de verre avait transformé ce même vestibule en un accélérateur à usagers, sorte de tube accessible seulement par ses extrémités – seules deux portes de la façade principale étaient encore actives – et qui envoyait les voyageurs et les badauds au plus vite vers les commerces, les guichets ou les quais. Si la recette des années 1960 retenue pour la toiture était indigeste, le traitement réservé ici à l’espace d’accueil s’apparentait à de la cuisine rapide à l’emporter. Ce n’est bien sûr pas du goût de Tempesta Tramparulo qui, préférant les pas perdus à la marche forcée, entreprennent alors de démonter le mur transparent, de libérer l’espace et l’escalier monumental, et de réactiver toutes les portes donnant sur la rue. À la création remarquable d’une nouvelle circulation verticale et des lucarnes, à la conservation stricte de la charpente, ils ajoutent ainsi la restitution fonctionnelle du vestibule et font de leur chantier un recueil de la restauration des monuments historiques.

Quant au panier du marché, il est évident qu’il peut faire florès en architecture, mais tout le monde le sait déjà. La juste combinaison d’une faible quantité d’ingrédients liés par un opportun assaisonnement, est une antienne de l’architecture. Quelqu’un n’a-t-il pas suggéré, il y a longtemps déjà, «le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière»? À ce sujet, il n’échappera à aucun visiteur de la gare de Montreux, que la rencontre du rayon solaire et de la face intérieure de ses lucarnes, touche à cette vérité. À celles et ceux qui préfèrent le «less is more» de Ludwig Mies van der Rohe, Tempesta Tramparulo proposent de compter le nombre de raccords de leurs lucarnes: à chaque passage d’arbalétrier, ils en économisent un. Et puisque Ludwig s’est invité à la table, considérons un instant la grande vitrine qui protège le commerce du rez-de-chaussée, au nord de la gare. Malgré ses dispositions hors-normes, elle est entièrement composée de profilés de fenêtre parmi les plus communs du marché: voilà qui rappelle les IPN standards qui égayent les façades du Seagram building de New York. Laissant au virtuose franco-suisse la contemplation formelle, au maître américano-allemand l’amour de la mesure, les architectes italo-vaudois de la rue de Sébeillon 1 se réjouissent des plaisirs sobres: «intervenir dans un bâtiment existant, c’est comme cuisiner, on doit faire avec ce qu’on a».

Le projet de Tempesta Tramparulo Architectes a été soumis dans le cadre du Swiss Arc Award 2024 et publié par Elisa Schreiner.

192204864