Le Musée de l’avenir – 17 expériences numériques
Comment montrer un objet trop grand, trop fragile ou trop précieux pour être exposé? Une exposition au Musée du design de Zurich – conçue par la commissaire Sophie Grossmann – explore cette question. Jusqu’au 1er février 2026, elle présente des expérimentations concrètes faisant appel aux outils numériques et à l’intelligence artificielle pour rendre visible l’invisible. Entre conservation et médiation, 17 scénarios ont vu le jour, qui remettent en question les conventions et les routines de l’exposition.

Détail du « Terapixel-Panorama » numérique, 2025 | Photo: Nina Farhumand
L’exposition s’intitule «Museum of the Future – 17 expériences numériques». Les projets ne suivent pas une mise en scène linéaire, mais forment un dispositif expérimental structuré par thématiques. Les visiteur·ses sont invités à participer, à remettre en question et à explorer de nouvelles formes de rencontre avec les objets exposés. Le reportage qui suit présente les grands axes de l’exposition et décrit les 17 stations dans toute leur diversité.

Découvrir le monde comme une araignée: dans l’installation VR multisensorielle «Être araignée» (2025), le vent, les vibrations et la vision simulent l’univers sensoriel d’une araignée Tetragnatha extensa en chasse nocturne.| Photo: Nina Farhumand
Reflets numériques: l’IA comme interface
L’installation «TRUST AI» de Bernd Lintermann et Florian Hertweck ouvre le parcours. Cette œuvre d’art médiatique joue avec l’identité des visiteur·se·s. En quelques secondes, l’intelligence artificielle génère une image d’eux, saisissante de réalisme mais manipulée – une mise en scène qui soulève des questions fondamentales sur la vérité, le contrôle et la confiance.
«AI Decode» montre comment l’intelligence artificielle peut contribuer à déchiffrer des textes perdus. Des documents historiques – allant des écritures cunéiformes aux lettres de la Renaissance – sont rendus lisibles grâce au machine learning.
Dans «AI Imagine», l’intelligence artificielle rencontre l’histoire du design. Qu’il s’agisse d’un objet du quotidien comme l’éplucheur ou d’un classique emblématique comme la chaise longue, des algorithmes analysent la forme, la fonction et le style pour en générer des réinterprétations surprenantes. Les résultats vont de simples variantes légèrement modifiées à des visions surréalistes – illustrant à quel point analyse, association et abstraction peuvent se rapprocher dans l’univers de l’IA.

Lors du «Prompt Battle» dans «AI Imagine» (2025), l’intelligence artificielle génère à la demande des variantes surprenantes d’objets emblématiques. | Photo: Nina Farhumand
Reproduction, restitution et reconstitution
«Double Truth II» présente des sculptures sacrées originaires d’Inde sous forme de modèles 3D numériques, créés grâce à la photogrammétrie. Les visiteur·se·s peuvent les observer librement sous tous les angles – une proximité à la fois précise et immatérielle avec des originaux impossibles à déplacer.
«Benin: Reproduktionen» aborde les questions complexes liées à l’art spolié à l’époque coloniale. À travers des répliques numériques, l’installation rend visibles les débats juridiques, politiques et éthiques autour de la restitution.
La station «Pavillon Le Corbusier: Reconstructions» permet de comparer le pavillon réalisé en verre et en acier avec une reconstitution numérique du projet initial en béton. Un scan par nuage de points, un film, un photo-essai et des modèles numériques rendent le processus de conception tangible.

Dans une expérience de réalité virtuelle, les visiteur·ses parcourent la version en béton reconstruite numériquement du pavillon Le Corbusier.| Photo: Nina Farhumand
Nature mise en scène numériquement
«Géométries raffinées: des insectes géants» présente douze espèces d’insectes indigènes dans une résolution numérique agrandie à l’échelle réelle, voire au-delà. Les modèles peuvent être tournés, zoomés et analysés – une expérience à la fois esthétique et scientifique
«Être araignée» change de perspective: dans une expérience VR multisensorielle, les visiteur·se·s découvrent le monde à travers les sens d’une araignée. Le projet combine technologie, recherche comportementale et design pour offrir un changement de point de vue immersif.
Histoire en ultra-haute résolution
Avec ses 1,6 billion de pixels, le «Terapixel-Panorama» est actuellement la plus grande image numérique au monde. Il représente la bataille de Morat sur plus de mille mètres carrés. Ce remake numérique permet de découvrir de manière interactive les moindres variations de style pictural et de narration. L’œuvre est accompagnée d’un paysage sonore et d’une mise en scène spatiale.
Avec ses 1,6 billion de pixels, le «Panorama en terapixels» est actuellement la plus grande image numérique au monde. Il représente la bataille de Morat sur plus de mille mètres carrés. Ce remake numérique permet de découvrir de manière interactive les moindres variations de style pictural et de narration. L’œuvre est accompagnée d’un paysage sonore et d’une mise en scène spatiale.

Le panorama peint Bataille de Morat (1893/94) a été numérisé et constitue, avec ses 1,6 terapixels, la plus grande image numérique au monde à ce jour. Vue détaillée du Panorama en terapixel, 2025 | Photo © Laboratory for Experimental Museo-logy, EPFL
Corps, scène et chorégraphie numérique
«Triadic Triptych» réinterprète le Ballet triadique d’Oskar Schlemmer à l’aide de l’intelligence artificielle. À partir des données de mouvement de danseuses et danseurs réels, naissent des sculptures et chorégraphies numériques qui prolongent la vision de Schlemmer d’un art corporel géométrisé.
«Play in Abstraction – interactions numériques avec Sophie Taeuber-Arp» est une contribution d’étudiant·e·s de la ZHdK, qui réinterprètent l’ensemble de marionnettes de König Hirsch (1918). Les figures originales de Sophie Taeuber-Arp – parmi elles Dr. Komplex et Freudanalytikus – ont été numérisées sous forme de scans 3D et servent de base à plusieurs expérimentations ludiques. Dans l’exposition, elles apparaissent en suspension comme protagonistes numériques. Des interfaces interactives invitent à explorer la couleur, la forme et le mouvement de ces figures abstraites – rendant sensible la complexité de l’interaction entre design, mouvement et technologie numérique.
«La forme parfaite», un court-métrage en animation numérique, utilise la technique de capture de mouvement pour créer ses propres figures et ambiances dans l’espace digital
«Le théâtre virtuel» va encore plus loin: ici, les visiteur·se·s contrôlent eux-mêmes les marionnettes numériques – avec tout leur corps. Les figures originales de Sophie Taeuber-Arp restent intactes, mais leurs doubles virtuels se mettent à danser
Médiation interactive et perspectives internationales
«Animating the Avant-Garde» traduit les mouvements précis des mains des visiteur·se·s en chorégraphies de marionnettes. L’interface multi-utilisateur·rice·s permet un jeu collectif avec des formes de mouvement abstraites.
Dans «Conversations with Puppets», trois marionnettes à tige numérisées de Fred Schneckenburger discutent de manière ludique d’art, de société et de la condition humaine, en interaction avec un grand modèle de langage (LLM). Des enregistrements d’archives ont été transcrits et actualisés pour nourrir ces dialogues.
«Collection globale» clôt l’exposition avec une perspective internationale: des designers de six pays (Brésil, Chine, Inde, Japon, Afrique du Sud, États-Unis) ont développé leurs propres créations à partir d’objets numérisés issus de collections. Leurs projets relient esthétiques locales et questions globales autour de l’héritage culturel.
Impression de la rédaction
L’exposition est dense, techniquement ambitieuse et en même temps ouverte. Elle montre clairement que les outils numériques ne se limitent pas à reproduire ou à remplacer, mais qu’ils deviennent eux-mêmes des moyens d’expression créative. Particulièrement réussie: l’alternance entre interfaces interactives et espaces de réflexion silencieux, entre références historiques et visions spéculatives de l’avenir. Ce qui nous a frappés lors de la visite: tout ce que l’on peut expérimenter soi-même. Qu’il s’agisse de manipuler des marionnettes, d’agrandir des insectes, d’interagir avec l’IA ou de naviguer dans un panorama numérique – l’exposition mise sur l’implication active du public.
Museum du design Zürich
Museum of the Future – 17 digitale Experimente
Exposition: jusqu’au 1er février 2026
Lieu: Ausstellungsstrasse 60, Zurich
Horaires d’ouverture: du mardi au dimanche de 10h à 17h, le jeudi de 10h à 20h