Hôtel Maistra 160
,
Suisse
Publié le 27 février 2024
Gion A. Caminada Biro d'Architectura
Participation au Swiss Arc Award 2024
Données du projet
Données de base
Données du bâtiment selon SIA 416
Description
Gion A. Caminada s’est réapproprié les narrations architectoniques de la Haute Engadine pour les croiser et donner naissance au Maistra 160, un bâtiment hybride qui ne laisse pas indifférent. Combinaison de pierre naturelle et de béton, oscillant entre archaïsme et classicisme, il est à la fois refuge et lieu mondain.
Gion A. Caminada est un grand conteur d’histoires. Un homme qui, à l’aide de métaphores et d’images, crée des liens entre le passé, le présent et l’avenir. Et un homme qui sait de quoi il parle quand il s’agit de montagne, de vallées, de villages alpins, de vie communautaire, de la pesanteur stoïque de la roche vieille de 100 millions d’années, des vents rudes, des longs hivers ou encore des prairies fleuries estivales. Mais le professeur émérite de l’ETHZ n’est pas un conteur qui transmet oralement ses connaissances et son expérience lors de longues soirées d’hiver, mais un architecte qui les laisse transparaître dans des structures construites, en multiplie les niveaux de perception spatiale et crée ainsi un art de la construction.
Le nouvel hôtel Maistra 160 de Pontresina illustre cela peut-être mieux que tout autre de ses ouvrages. À l’image du temps requis à la formulation d’un message précis à l’aide d’images et de métaphores, la conception, la planification et la réalisation du Maistra 160 ont nécessité de dégager le temps et l’espace nécessaires au dialogue et à la concrétisation de nombreuses idées. Et comme le fait l’écrivain, Caminada a entamé différents chapitres et les a réécrits plusieurs fois; ou plus exactement esquissé et re-esquissé jusqu’à réussir à faire de ce palimpseste de pensées et d’idées un projet final. Un projet qui a nécessité quatre années de planification, trois ans et demi de construction et qui a coûté 35 millions de francs suisses. Pour le couple d’hôteliers et d’entrepreneurs Bettina et Richard Plattner, c’est un rêve qui se réalise: un rêve équipé de 36 chambres doubles, de onze appartements, d’un spa, d’un bar et d’un restaurant, d’une bibliothèque et d’un «Pöstlikeller» situés dans une localité de l’Engadine très prisée des vacanciers.
Entre émerveillement et irritation
En façade, l’agencement tectonique et plastique des matériaux laissés bruts prête au cube un aspect archaïque et complémentaire du contexte proche et lointain. Légèrement en contrebas de la rue du village, à quelques encablures de l’hôtel, de nombreuses maisons de vacances à toiture plate ont été construites au cours des dernières années, en raison de la conjoncture favorable. De près, l’hôtel révèle une certaine originalité qui déroge à l’imaginaire habituellement associé à ce type, et qui combine repères familiers et étrangeté de la nouveauté. Caminada évoque quant à lui un bâtiment alliant «autonomie et contexte»; ce qui est déstabilisant: «un ouvrage auquel il faut s’habituer, difficile à classer», écrit un critique, «oscillant entre le préfabriqué et le grand hôtel sans stuc» peut-on lire chez un autre. Impressionnée par les proportions du chantier du Maistra, l’auteure de cet article s’est en revanche demandée si l’intention du maître d’ouvrage – probablement d’origine nord italienne compte tenu du fait que l’italien est depuis quelques temps devenue la langue la plus parlée à Pontresina pendant la haute saison – était d’importer en haute montagne un bâtiment urbain à caractère classique. C’est un fait, la région est depuis longtemps marquée par un échange culturel transfrontalier; si de plus en plus d’italiennes et d’italiens y possèdent aujourd’hui une résidence secondaire, ou principale, et que bon nombre de personnes traversent quotidiennement la frontière pour travailler, le phénomène trouve ses racines dans des habitudes d’échanges beaucoup plus anciennes entre l’Italie et les Grisons, et plus particulièrement l’Engadine. Des bâtisseur·euse·s italien·ne·s ont ainsi construit loin de leur terre des maisons en pierre pour des familles grisonnes devenues prospères et souhaitant affirmer leur nouveau statut social. Une histoire ravivée par Gion A. Caminada dans le cadre d’une intervention à la Baumuster-Centrale sur le thème de la pierre naturelle et plus précisément de l’utilisation du Bodio Nero pour les piliers précontraints marquant la façade et les espaces intérieurs de l’hôtel. Le gneiss gris à l’aspect scintillant provient de la carrière de Cresciano située entre Biasca et Bellinzone au pied du Pizzo Claro, au Tessin. Depuis la reprise d’exploitation en 2011 par la famille Ongaro & Co SA, la carrière s’est notamment spécialisée dans l’étude et l’exploitation des capacités portantes de la pierre naturelle. Entre les piliers pré-contraints en pierre naturelle qui définissent l’ordre vertical de la façade du Maistra sont insérés des éléments en béton préfabriqués, légèrement biseautés et ancrés en partie inférieure à l’aide de tiges dont les têtes sont visibles. Ces dernières rappellent celles qu’Otto Wagner avait pris l’habitude de célébrer comme un élément tectonique sur de nombreuses façades revêtues de pierre naturelle.
Construction et recherche
Au cours de sa présentation sur l’emploi de la pierre naturelle pour le Maistra, Gion A. Caminada précisait que l’hôtel n’était pas seulement la synthèse d’analogies, de métaphores et de références, mais aussi une recherche constructive. Une recherche explorant plus précisément le potentiel que représentent la capacité porteuse et la dimension expressive de la pierre naturelle pour l’architecture alpine contemporaine. Pour l’architecte, la construction aussi s’apparente à une recherche, lui qui précise que «si tu remplaces l’ignorance par l’expérience, il faut arrêter de construire». Les piliers des façades, du hall et du patio du spa ont été assemblés dans l’usine d’Ongaro Graniti à partir de blocs plus petits et précontraints à l’aide d’un câble tendu à l’intérieur. Ils ont ensuite été «collés» avec un mortier spécial qui a pour particularité de présenter le même comportement de dilatation que la pierre naturelle – pour la simple raison que le gneiss tessinois est sensible au réchauffement par les rayons solaires. En exploitant les propriétés constructives de la pierre naturelle, l’Hotel Maistra tisse un lien avec une tradition constructive vieille de plusieurs siècles et ancrée dans l’architecture européenne gothique notamment, à l’image des piliers dont les sections varient en fonction de l’emplacement et du rôle structurel. Ce faisant, le bâtiment prend en même temps ses distances avec le type de l’hôtel-palais qui ne mettait en œuvre la pierre naturelle que comme revêtement décoratif des façades et qui s’est multiplié en Engadine à la Belle Époque.
L’hôtel et le refuge
Plutôt que cette tradition des hôtels-palais de la Belle Époque, le Maistra 160 rend hommage, volontairement ou non, à l’architecte engadinois Nicolaus Hartmann Jun. Ce dernier a marqué l’Engadine comme personne d’autre au début du 20ème siècle avec des constructions répondant aux canons du Heimatstil. Si l’on considère le Castell Zuoz réalisé par Hartmann en 1913, les affinités de caractère entre le présent hôtel et son aîné aux allures de fortification – soubassement en pierre de taille massive et tour crénelée – sautent aux yeux. Castell et Maistra dialoguent ainsi avec de vrais châteaux – comme celui de Tarasp ou le Palazzo Castelmur dans le Bergell. Si l’on en croit les maîtres d’ouvrage et Caminada, un hôtel dans un contexte montagnard doit être un refuge, à l’image des hospices du Gothard ou du Grand Saint-Bernard, ou encore de celle du Grimsel, qui sont des constructions massives en pierre avec des murs de plusieurs mètres d’épaisseur offrant une protection naturelle, tout en dégageant une atmosphère de recueillement et d’intro-spection. Cette approche méditative, voire spirituelle, résonne aussi au Maistra 160, en l’occurrence dans le spa et son patio baptisé «cloître» que définissent des piliers en Bodio Nero de 5,5 mètres de haut, et au-dessus desquels se déploie une ouverture circulaire aux bords incurvés de sept mètres de diamètre. Lorsque la cour n’est pas ensoleillée, il y neige ou il y pleut, selon la saison. Ce lieu évoque, en hiver surtout, différents modèles de l’histoire de l’architecture – du monastère zen au Panthéon de Rome, tout en convoquant les Skyspaces de l’artiste américain James Turrell… ce qui nous ramène au Castell Zuoz, juste à côté duquel Turrell réalisait en 2005 l’œuvre permanente «Skyspace Piz Uter».
Lieu nostalgique
Gion A. Caminada est un explorateur et un philosophe de l’art de construire, mais aussi un alchimiste, puisqu’il affirme avoir utilisé la pierre au Mastria dans tous ses états physiques: massive et lourde, finement taillée et chanfreinée, et même appliquée au pinceau. Développés en collaboration avec Lucrezia Zanetti, les pigments utilisés pour les crépis muraux proviennent du col de l’Ofen ouvrant l’Engadine au nord, et de celui de l’Albula au sud. Dans le spa, on trouve de l’Arzo de Mendrisiotto, un marbre extrait dans une carrière située à proximité de la frontière italienne, qui présente des veines polychromes et que l’on trouve traditionnellement dans les espaces sacrés. Le terrazzo du hall n’est, lui non plus, pas un produit industriel. Il a été posé, compacté et poncé sur place par Christian Aubry avec des pierres mais aussi du jade et d’autres pierres semi-précieuses du Val Bernina. Aux trois étages supérieurs, les couloirs en forme de croix agrémentés de tapis rouge épais distribuent des grappes de chambres orientées en direction des quatre points cardinaux. Une situation bien différente de celle des couloirs situés au sous-sol dont l’une des particularités, selon Caminada, est d’être «tautologiquement autoréférentiel». Les couloirs sont cependant toujours des métaphores, d’où la référence tautologique… ils sont à la fois distribution au sens littéral du terme, mais rappellent en même temps les galeries d’une mine, ou des catacombes avec leurs fenêtres aveugles et encadrées de marbre blanc, ou encore les galeries militaires du Réduit national. Les couloirs jouent un rôle dans la dramaturgie spatiale reflétant les ambiances contrastées des «mondes opposés», un trait fondamental de l’aire alpine, et auxquels Caminada fait référence: les hôtes sont d’abord guidés à travers l’intérieur sombre de la montagne, avant que ne leur apparaisse de manière plus intense le sentiment de sécurité qui se dégagent des pièces suivantes, et en particulier des chambres aux cloisons habillées de bois d’arolle engadinois. Chacune dispose d’une niche pouvant être isolée du reste de la pièce, et qui se transforme en un lieu de retraite invitant à la décélération et à la contemplation. Cela semble également avoir été le leitmotiv de l’atmosphère et de la spatialité du spa, des chambres d’hôtel et de la bibliothèque qui propose une sélection de lectures.
Invitation à entrer
Au contraire de l’intimité des chambres, le grand hall – accessible également aux personnes qui ne résident pas à l’hôtel – présente les caractéristiques d’un espace mondain: pièces hautes, bar en noyer noir et cloison à mi-hauteur placée au milieu du foyer. Les client·e·s y sont accueilli·e·s dans un cadre moderne et minimaliste qui évoque les ambiances urbaines contemporaines où la pierre naturelle, le marbre et le terrazzo agrémentent les halls d’accueil et les immeubles de bureaux, des banques et des assurances, comme c’est le cas à l’Europaallee zurichoise. Malgré des plafonds acoustiques en textile, le hall de l’hôtel est bruyant et parfois aussi grouillant d’activités. Aux yeux d’une citadine, il est accueillant mais n’a rien de spécifique ou de contextuel, sinon le fait d’être un hall d’hôtel moderne et contemporain. Les meubles éparpillés ça et là de manière faussement hasardeuse, conçus pour la plupart par l’architecte lui-même, évoquent le bois flotté qui après la fonte des neiges, au printemps, reste dans les larges zones alluviales des ruisseaux de montagne.
En concevant le Maistra, Caminada et les maîtres d’ouvrage voulaient tisser des liens multiples avec le refuge de vacances qu’est devenue l’Engadine, son paysage alpin et sa culture constructive. Ils y sont parvenus à plusieurs égards, même si les superpositions et les condensations d’images ne rendent peut-être pas toujours immédiatement lisible les références et les échos qui sont renvoyés de la vallée en direction de l’hôtel. L’équipe hôtelière l’a déjà compris et travaille à l’élaboration d’une petite brochure qui instruira les hôtes au sujet de ces réflexions philosophiques.
La communauté villageoise est également invitée à entrer. Le Pöstlikeller, meublé par Christian Kathriner, est à la fois un bar et un espace pour les jeunes, et remplace le légendaire «Stamm» de l’Hôtel de la Poste qui se dressait autrefois ici. La participation des artistes Kathriner et Müller est à créditer à l’engagement du couple hôtelier Bettina et Richard Plattner pour la création artistique en lien avec l’espace alpin. Et comme il est de plus en plus difficile de trouver un logement à Pontresina, la maîtrise d’ouvrage a également fait construire la Chesa Curtinella qui propose des logements pour le personnel de l’hôtel.
Le texte a été rédigé en allemand par Christina Horisberger pour Arc Mag 2024–4.
Le projet a été soumis par Gion A. Caminada dans le cadre du Swiss Arc Award 2024.