Immeuble d'habitation et de commerce Geistlich-Areal

 
8952 Schlieren,
Suisse

Publié le 09 mars 2022
E2A Piet Eckert und Wim Eckert Architekten AG
Participation au Swiss Arc Award 2022

La cour a été conçue comme un lieu de rencontre. Les terrasses sur le toit, en revanche, sont privées. Des bacs  à végétation orange les divisent en unités qui peuvent  être louées individuellement. Le rez-de-chaussée  à usage commercial constitue le socle, et  les murs extérieurs des terrasses de toit donnent au nouveau bâtiment  un couronnement. Un jardin d’enfants  et une pizzeria sont aménagés au rez-de-chaussée, ainsi que plusieurs studios. Vues en diagonale: tous les appartements ont  des ouvertures donnant  à la fois sur l’extérieur  du bâtiment et sur la cour.

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Engstringerstrasse 5, 8952 Schlieren, Suisse
Catégorie de projet
Type de bâtiment
Achèvement
01.2020

Données du bâtiment selon SIA 416

Étages
de 6 à 10 étages
Nombre de sous-sols
1 étage
Surface de plancher
16'123 m²
Volume bâti
50'739 m³

Description

Depuis la rue, le regard se pose sur un volume fermé et anonyme. Son exposition aux nuisances sonores générées par les voitures et les trains justifie ce geste défensif, assez logique finalement. Il faut s’aventurer dans la cour et les logements du nouveau bâtiment de E2A au Geistlich Areal pour se rendre compte de l’ingéniosité de l’édifice construit ici. La «pierre» grise cache un monde intérieur riche et cristallin, à l’image d’une géode.

À Schlieren, durant des décennies, on a fabriqué des wagons, assemblé des ascenseurs, soudé de l’aluminium et teint du textile. Au Geistlich Areal, on produisait de la colle à partir d’ossements. Arrive la fin des années 1990 et un destin que la petite ville à l’ouest de Zurich partage avec de nombreux sites industriels en Europe: bon nombre d’entreprises ont été délocalisées, des emplois ont disparu, de nombreuses personnes s’en sont allés, les loyers et les recettes fiscales ont baissé.
La ville a réagi: une image directrice – misant sur la mixité sociale, l’attractivité des espaces publics et des écoles, ou encore le renforcement de l’identité – naissait d’un concept de développement urbain élaboré par Metron. Sa mise en œuvre était prévue pour un horizon de 15 à 25 ans. Mais l’essor économique au tournant du millénaire – favorisé notamment par l’accord de libre circulation entre la Suisse et l’UE – a accéléré les développements. Si quelques nouvelles entreprises se sont installées, ce sont essentiellement des logements qui ont été construits. Le nombre d’habitants a grimpé en flèche, passant de 13 000 à 20 000. De nombreuses personnes venues de l’étranger et de Zurich se sont installées, et la structure démographique a évolué. «Les changements étaient si forts que les anciens habitants ont dû s’adapter aux mentalités urbaines des nouveaux venus – et non le contraire», note avec ironie Barbara Meyer du service d’urbanisme de Schlieren.

Habiter en bordure de parc
En 2005, un plan d’aménagement privé est entré en vigueur pour l’ancien site industriel Färbi, au nord des voies ferrées. Les 44 000 m2 du périmètre ont été développé selon un plan conçu par Galli Rudolf. Le promoteur Halter y a construit 600 logements et 14 500 m2 de nouvelles surfaces commerciales. Quant au Geistlich Areal voisin et ses 80 000 m2, son réaménagement a été réalisé sur la base d’une étude test remportée par EM2N dans le cadre d’une procédure concurrentielle. L’entreprise Geistlich a fermé son site en 2006 et décidé de développer elle-même le périmètre sous la raison sociale Geistlich Immobilia AG. Dans cette optique, un accord a été conclu avec l’assureur Helvetia. Les 124 000 m2 des deux zones de développement sont promues sous le label commun «am Rietpark».
Profitant du fait que le passage d’une zone industrielle en zone d’habitation et de commerce a fait considérablement augmenter la valeur du terrain, la ville s’est permise de poser quelques conditions: le Rietpark, long de 600 mètres, a été développé comme un élément de liaison. Ce nouvel espace public planté – conçu par Studio Vulkan – reste en mains privées: Halter et Geistlich ont financé son aménagement et assurent son entretien. En outre, la ville souhaitait la construction de nombreux espaces commerciaux. Sachant qu’il n’existe actuellement qu’un besoin limité en la matière, on a pris soin de prescrire que les rez-de-chaussée des différents périmètres devaient avoir une hauteur de quatre à quatre mètres et demi – qu’on y installe des logements ou des commerces.
Un concours sur invitation a été organisé en 2016 pour les parcelles situées au nord du Geistlich-Areal, à l’issue duquel les propositions de Gmür & Geschwentner et Graber Pulver pour deux immeubles de logements, ainsi que celle de E2A pour un bâtiment de bureaux, ont été retenues.

Des bureaux aux logements
Le jury a particulièrement apprécié le positionnement urbain et la volumétrie claire du projet. Avec son plan en A, le bâtiment était sensé s’ouvrir vers le parc. À l’intérieur, il était taillé sur mesure pour l’entreprise d’ingénierie Zülke qui souhaitait s’y installer au profit d’un bail à long terme. Celle-ci s’est pourtant retirée en cours de processus pour emménager sur l’ancien site de la NZZ, à l’ouest de Schlieren. E2A a donc été chargé de concevoir à la place un immeuble d’habitation avec des locaux commerciaux au rez-de-chaussée. Un changement, et pas des moindres, puisque le bâtiment est exposé à l’ouest aux nuisances du trafic sur la Engstringerstrasse. Idem au sud et au sud-ouest, où les trains se chargent des immissions sonores. Le positionnement des pièces d’habitation n’était possible qu’en direction de la cour, respectivement au nord vers la Geistlichplatz. La profondeur du bâtiment donnait aussi à la replanification, ou plutôt à la nouvelle planification, le caractère d’un casse-tête. Avec ces cartes en main, E2A est pourtant parvenu à le résoudre. «Le problème offrait en même temps des opportunités intéressantes», explique Piet Eckert, «loin des solutions standard souvent utilisées dans de nombreux projets pour augmenter les bénéfices». Mais c’est aussi le contexte de la nouvelle Geistlichplatz au nord, du parc à l’ouest et de la villa Geistlich (une présence exotique dans ce nouvel environnement, évoquant une villa coloniale en Afrique ou en Asie du sud-est) au sud qui a inspiré les architectes.
E2A a misé sur une typologie traversante; tous les plans s’étirent d’une façade à l’autre et peuvent ainsi être ventilés depuis la cour. Pour faire bénéficier les logements des angles des mêmes qualités, tous les plans ont été tournés de 45 degrés par rapport à l’enveloppe extérieure. Les entrées, cuisines et salles à manger sont ordonnées le long des trois façades extérieures, ce qui a permis d’orienter les pièces à vivre en direction de la cour. Celles-ci sont certes étroites, mais des articulations intelligentes créent des espaces spacieux et une spatialité riche.
De grandes loggias sont orientées au sud et de plus petites à l’est. Quelques chambres sont situées le long de la façade nord, mais la plupart sont orientées sur la cour où elles alternent avec des balcons, tels une série d’«oriels» densément alignés. Tous les appartements ont ainsi une relation au parc. Les balcons – délimités par les poteaux en béton omniprésents à l’extérieur et à l’intérieur – sont intégrés à part entière à la structure. Le visiteur s’y sent à la fois exposé et protégé. La forme particulière du bâtiment donnant sur la cour est à n’en pas douter sa grande force et marque son identité. Alors que le nouvel édifice donne l’impression massive d’un monolithe depuis l’extérieur, son intérieur revêt l’élégance d’un univers délicat, cristallin. Lorsque l’on y entre depuis la rue, notre surprise est comparable à celle d’un géologue qui, armé de son maillet, fend une géode et y découvre une cavité aux parois animées de centaines de cristaux.
La cour a été délibérément conçue comme un lieu commun: au rez-de-chaussée, les façades reculent au profit d’une arcade. Des bancs et des tables invitent les habitants à passer un moment ensemble, à l’abri des arbres. Un sol en tartan offre aux enfants une place de jeux sécurisée. Des passages permettent en outre de rejoindre facilement le parc. Le parterre étant très exposé, il était inconcevable d’y aménager des logements. Au lieu de cela, une classe enfantine, une pizzeria et des studios y ont été installés. Une décision sensée puisqu’à l’avenir, plusieurs centaines de voyageurs en provenance et à destination de la gare longeront quotidiennement le nouveau bâtiment – qui constitue de fait une nouvelle porte d’entrée du Rietpark.
Afin d’activer la cour, il a été décidé de ne pas rendre les surfaces des toitures accessibles à tous les locataires, et d’opter pour la création de «jardins ouvriers en altitude». Définis sur trois côtés par des mur en béton et divisés en 22 sections par de grandes jardinières rouges, les compartiments peuvent être loués individuellement. Les murs toute hauteur donnent aux terrasses sur le toit l’allure de patios.

Rationnel mais expressif
Bien que la construction à ossature – dimensionnée par Schnetzer Puskas Ingenieure –, contreventée par sept noyaux en béton, soit conçue comme une structure mince, économique et rationnelle, E2A a malgré tout réussi à développer un lieu à forte identité. Dans ce dessein, le choix de laisser les piliers visibles sur toutes les faces extérieures et dans la cour – repoussant de la sorte les façades en arrière-plan – s’est montré déterminant. Dans les logements, les piliers ressemblent à des pilastres gris et se démarquent de la blancheur des cloisons en placoplâtre. Le choix d’une construction à ossature a permis une grande liberté dans la conception des plans des 90 appartements: à l’échelle de l’étage, aucun ne ressemble aux autres.
Aux dires des responsables du projet, le budget était restreint, raison pour laquelle on a misé sur des matériaux bon marché mais robustes. La façade ventilée en tôle est sensée rappeler le passé industriel du lieu. En même temps, elle donne une impression de légèreté et de mobilité et évoque des portes pliantes en position fermée. À l’intérieur aussi, le bâtiment est volontairement austère: pour les noyaux des ascenseurs et les plafonds des appartements, le choix pragmatique du béton apparent s’est imposé. Les sols sont couverts d’anhydrite poncée, les salles à manger et les salles de bain des appartements sont revêtues de carreaux en céramique. Mais il y a aussi des détails fins qui invitent au toucher, comme les mains courantes en bois dans les six cages d’escalier et les carreaux en relief lasurés vert au rez-de-chaussée, dont la surface en zigzag constitue le prologue à l’orientation à 45 degrés des appartements. Cette réduction matérielle est le résultat d’un choix délibéré des architectes qui ont voulu que les habitant·e·s se sentent invité·e·s à apporter avec leurs meubles de la couleur dans l’immeuble.
Une pompe à chaleur assure le chauffage du nouveau bâtiment. Il n’y a pas de ventilation contrôlée; les aérations des salles de bain et des cuisines aspirent de l’air frais par les fenêtres de manière tout à fait classique.
Avec ce nouveau bâtiment, les promoteurs ciblaient les «silveragers» comme locataires. Or, comme on a pu le constater lors de la journée portes ouvertes en août 2020, peu après l’achèvement des travaux, beaucoup d’habitants sont jeunes et viennent d’horizons culturels différents – un groupe urbain aux facettes multiples. L’immeuble est donc, à petite échelle, un exemple parfait du développement socio-économique de la nouvelle Schlieren.

Texte: Jørg Himmelreich

Première publication: Arc Mag 3.2022

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