Lotissment résidentiel et commercial Guggach
,
Suisse
Publié le 25 février 2025
Donet Schäfer Reimer Architekten GmbH
Participation au Swiss Arc Award 2025
Données du projet
Données de base
Description
Localisée entre Zurich Unterstrass et Oerlikon, la Bucheggplatz est à la fois un nœud de communication et un goulet d’étranglement dans l’infrastructure des transports zurichois. Voitures, trams et bus de ligne s’y agglutinent le matin et en fin d’après-midi, exigeant beaucoup de patience de la part des pendulaires et générant du stress pour les riverains. Mais ce rond-point mouvementé est aussi la porte d’accès à des zones plus calmes: au nord-ouest se trouve le Käferberg boisé, qui attire promeneurs et joggeurs. À l’est se cache un espace vert avec le centre communautaire Buchegg et son petit zoo où l’on peut caresser les animaux, particulièrement apprécié des enfants. Le parc Irchel se trouve à quelques pâtés de maisons et, en été, la piscine à l’air libre Allenmoos, au nord, offre en outre un espace de jeu et de rafraîchissement.
Depuis environ vingt ans, le rythme de la densification des parcelles le long de la très fréquentée Hofwiesenstrasse s’est
accéléré. Dès 2011, dans le cadre du développement du Guggachareal, des zones artisanales et de nombreux jardins familiaux ont notamment été requalifiés pour accueillir des logements familiaux, coopératifs, communaux et privés. Deux ensembles marquants ont été érigés sur le site par Knapkiewicz + Fickert et EMI. Ouverts et perméables, ils ne bloquent pas l’accès à la forêt et leur architecture invitent tout un chacun à se déplacer à travers les espaces non-bâtis aux accents de parc.
Un mur antibruit habité
Entre 2008 et 2015, les Chemins de fer fédéraux suisses ont utilisé la pointe nord du périmètre comme site d’installation dédié au chantier du tunnel du Weinberg. Aujourd’hui, le volume très urbain de l’ensemble résidentiel et commercial Guggach – également appelé Guggach III ou ensemble Hofwiesenstrasse, il sert également de centre de quartier – qui s’élève sur le terrain à l’angle du croisement entre la Hofwiesenstrasse et la Wehntalerstrasse. En parallèle, un parc et une école ont été construits sur le terrain appartenant à la ville de Zurich, dont 8500 mètres carrés ont été cédés à la fondation d’utilité publique Einfach Wohnen en droit de superficie. Celle-ci a construit deux immeubles d’habitation intégrant aussi des surfaces commerciales et un jardin d’enfants.
Alors que la plupart des participant·e·s au concours proposaient d’orienter les bâtiments sur la Hofwiesenstrasse, Donet Schäfer Reimer (DOSCRE) les ont placés perpendiculairement à la Wehntalerstrasse, générant ainsi une placette triangulaire sur la Hofwiesenstrasse. L’aspect froid du nouvel ensemble questionne cependant: du bâtiment scolaire de Weyell Zipse Architekten avec sa robe d’acier et de verre se dégage une atmosphère industrielle, et les deux immeubles de logements de huit étages affichent des façades à l’aspect technoïde. Ce sont surtout les avant-toits qui sautent aux yeux: faits de modules photovoltaïques sombres, ils marquent tous les étages des façades orientées au sud-est et à l’ouest. Selon les calculs, la part d’autoconsommation d’électricité doit atteindre deux tiers de l’énergie consommée. Le surplus sera injecté dans le réseau. Le fait que ces visières ne soient pas montées à plat, mais légèrement inclinées, augmente la performance des cellules solaires.
Guggach est à ce jour le plus grand projet de la fondation «Einfach Wohnen», une institution créée par la Ville de Zurich il y a onze ans pour réaliser des logements bon marché et écologiques. Sur le plan économique également, le nouvel ensemble pose de nouveaux jalons. Un logement d’une pièce coûte moins de 700 francs net par personne et par mois, un appartement de quatre pièces moins de 2000. Un tiers des 111 appartements de la Hofwiesenstrasse sont subventionnés, et la location de tous les logements est par ailleurs liée à des limites de revenus, ce qui signifie qu’ils ne sont disponibles que pour des personnes ayant des revenus limités.
Des restrictions à potentiel
L’objectif d’occupation fixé par Einfach Wohnen représente une première du genre: pour utiliser au maximum les différents types de logements – du studio au duplex de 7,5 pièces – le taux d’occupation idéal est fixé à une personne en moyenne par pièce, et ce en comptant les espaces ouverts tels que séjour, salle à manger et cuisine. Et c’est au prix d’un travail fastidieux autour de l’organisation des logements que les architectes ont relevé ce défi, malgré la pression des coûts et les nuisances sonores. À cela s’ajoutait l’épineux problème de la nécessité de ventiler des appartements traversants de 13 mètres de profondeur du côté opposé aux nuisances sonores de la rue. Impossible dans ces conditions d’arriver à obtenir des appartements avec des pièces neutres, équivalentes et entièrement séparables. Les réflexions ont finalement mené à une typologie spécifique de séjours et salles à manger combinés, qu’accompagnent des chambres imbriquées. Seuls les grands appartements, à partir de 5,5 jusqu’à 10,5 pièces – où des pièces fermées sont indispensables pour une utilisation en colocation ou en groupe d’habitations – ont pu être conçus avec un maximum de pièces séparables.
En septembre 2024, 330 locataires se sont installés dans le nouvel ensemble. Les appartements d’une, deux ou trois pièces sont occupés en priorité par des célibataires, des couples et des petites familles. 35 appartements ont 4,5 pièces ou plus. Ceux-ci sont principalement destinés à la colocation. On s’est parfois écarté de l’objectif d’occupation, par souci de mixité et afin, par exemple, de donner leur place aux familles monoparentales, aux aîné·e·s et aux personnes à mobilité réduite. Ce faisant, la consommation moyenne de surface habitable par personne est à peine de 26 mètres carrés. À titre de comparaison, la moyenne dans les ensembles coopératifs de la ville de Zurich se situe vers 35 mètres carrés avec un principe d’occupation qui suit généralement (et pas seulement à Zurich) la règle du «nombre de pièces moins un».
Logements traversants
Le bureau Donet Schäfer Reimer, dont Guggach est le premier grand projet, a réussi à déjouer les affres de l’austérité qui guettent les projets de logements denses et au budget resserré. Pour ce faire, les architectes ont justement su transformer ces contraintes en des potentiels créatifs au fondement de dispositions spatiales particulières et même charismatiques. Les détails architecturaux soigneusement travaillés révèlent différentes échelles de réflexion et la volonté de créer une architecture vivante et généreuse marquée par des coursives et des cages d’escalier ouvertes, ainsi que de nombreux éléments colorés à la présence forte.
Les couches et, a fortiori les filtres spatiaux ont été mûrement réfléchi: les appartements du volume situé à l’est bénéficient de balcons donnant sur le parc du quartier, alors que, côté rue, une coursive fait office d’espace tampon. Placée en toiture, la salle commune profite d’une grande terrasse. Le volume ouest dispose également côté parc d’un filtre spatial constitué par un système distributif ouvert avec trois tours d’escalier et des passerelles menant aux logements, le tout construit en acier. En comparaison, sa façade ajourée côté rue paraît relativement fine. La barre de logements est posée sur un socle en saillie qui tient la circulation à distance et réduit les nuisances sonores aux trois premiers étages. Le niveau supérieur du socle sert de bel étage pour les logements à patio, tandis qu’un magasin Coop occupe le rez-de chaussée, dont la façade côté parc est animée par des ateliers utilisables sur réservation. Les clients de la filiale de distribution, d’un magasin de vélos et d’un café animent la petite esplanade au carrefour des deux rues, confirmant que l’ensemble Guggach III assume bien son rôle de centre de quartier.
Matérialité vivante
La surface habitable des logements n’est pas la seule à avoir été efficacement gérée. L’équipement des cuisines et des salles de bains a également été optimisé, et l’on note l’absence de plinthes à la jonction des cloisons et des sols en béton. Pour des raisons budgétaires, de nombreuses surfaces ont également été laissées brutes. Les différentes couleurs, souvent vives, et les matériaux expressifs utilisés pour les murs, les sols et les plafonds créent néanmoins une atmosphère domestique à la fois chaleureuse et variée.
Si elle peut sembler née d’une inspiration ludique, cette diversité est avant tout le fruit de réflexions pragmatiques. L’ensemble a été réalisé avec des matériaux les moins chers et les plus écologiques possibles. Pour des raisons économiques, les murs et les plafonds ont été construits en béton optimisé en termes environnementaux. Grâce à une nouvelle formule, ce matériau a une empreinte carbone inférieure d’environ dix pour cent à celle d’un béton conventionnel. Les autres murs extérieurs et les cloisons intérieures ont été réalisés avec des éléments préfabriqués en bois. Les piliers ronds de 70 centimètres de diamètre qui marquent les entrées au rez-de-chaussée sont en grès Bolliger de la région zurichoise du Haut-Lac. Et même s’ils n’ont pas passé le test de résistance en laboratoire et ont dû être percés et renforcés, leurs noyaux ont malgré tout pu être utilisés pour les revêtements de sol et les bancs.
Pour les installations aussi, des solutions simples ont été choisies, et on a évité autant que possible le recours à la ventilation mécanique, que l’on trouve uniquement dans la Coop et le petit café-restaurant. Dans les appartements, l’air est extrait de manière classique par des ventilateurs dans les salles de bains et les cuisines, puis expulsé par la façade. L’ensemble est par ailleurs connecté au réseau de chauffage urbain, et la chaleur résiduelle du magasin alimentaire est utilisée en partie pour chauffer l’eau sanitaire.
Multifonctionnel
Les architectes ont mis en œuvre des solutions ludiques et parfois peu conventionnelles pour créer le sentiment de confort que dégage le nouvel ensemble. Devant certaines fenêtres, des bancs carrelés invitent à faire une pause, et les grands appartements bénéficient de verrières qui font de leurs séjours et salles à manger des espaces lumineux et attractifs.
La combinaison d’éléments fonctionnels et facilement disponibles a permis de faire des économies durant la construction. Si ce principe est plus d’une fois reconnaissable dans l’ensemble, il l’est tout particulièrement au niveau des façades. Les modules PV sont des éléments standard noirs – bon marché et performants. Montés en biais sur les balustrades des coursives et au-dessus des fenêtres, ils servent également de protection solaire, ce qui a permis d’économiser l’installation de stores et de marquises. Une approche qui dénote dans le canon actuel du solaire discrètement intégré aux façades, et propose une alternative aussi stimulante qu’expressive.
Quelques constats en guise de conclusion. Le nouvel ensemble dégage une sorte de charme froid. Il montre ainsi ce à quoi il faut s’(ré)habituer dans le logement à prix modérés, notamment à des transitions abruptes entre espace privé et espace urbain. Le parc et la petite esplanade qui embellissent l’ensemble ne peuvent pas masquer le fait que la densité s’obtient au détriment de la générosité des entre-deux semi-publics. Le mode de composition additif peut également ne pas plaire à tout le monde, car les détails constructifs et techniques ne se combinent pas toujours en un tout cohérent. À l’heure où les loyers augmentent de manière spectaculaire, de nombreux bâtiments similaires, sans fard ni artifice, verront certainement le jour dans les années à venir. Espérons que les architectes parviennent eux aussi à développer des idées inspirantes dans ces conditions rigoureuses, afin de réussir à construire des logements autonomes comparables.
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