Immeuble de bureaux et de commerces Binzstrasse
,
Suisse
Publié le 25 février 2025
EM2N, Mathias Müller, Daniel Niggli, Architekten AG ETH SIA BSA
Participation au Swiss Arc Award 2025
Données du projet
Données de base
Données du bâtiment selon SIA 416
Description
Pour la conception de l’immeuble de bureaux commercial dans le quartier de la Binz à Zurich, l’équipe d'EM2N a donné sa réponse à la question «Comment voulons-nous travailler demain?». Une réponse d’autant plus intéressante qu’il était clair que les architectes occuperaient eux-mêmes une partie de l’édifice. Avec ses terrasses luxuriantes, des espaces à plusieurs niveaux et des distributions verticales redondantes, le nouveau bâtiment fait souffler un vent de renouvellement sur la Binz, de même qu’il encourage ses occupant·es à l’échange créatif.
Les immeubles de bureaux et les bâtiments commerciaux sont souvent les parents pauvres de la scène architecturale. Ce constat est d’ailleurs aussi valable pour Zurich, où malgré la construction jusqu’à la fin des années 1950 d’élégants édifices commerciaux inspirés des réalisations d’Otto Rudolf Salvisberg, beaucoup de conteneurs de bureaux sans âme et obéissant aux lois du profit ont été construits. Il y a 20 ans, le géant pharmaceutique Novartis tentait d’inverser cette tendance pour son siège social – centre névralgique de son campus bâlois – en en confiant la conception à Roger Diener, Gerold Wiederin et Helmut Federle. Cela n’empêchait pas Diener de construire en 2017 sur le Mythenquai, à un emplacement privilégié au bord du lac, un parallélépipède de verre ondulé aux reflets verts qui ferait bonne figure dans une quelconque zone de l’agglomération. Et les palais de verre et de pierre érigés par David Chipperfield, Max Dudler et Gigon / Guyer en 2013 dans le nouveau quartier de la gare Europaallee ne sont guère plus convaincants.
Une montagne en béton expressive
Gigon / Guyer démontraient pourtant une belle maîtrise architecturale pour l’intégration d’un édifice tertiaire couleur bronze dans le petit Rosaupark, le long du General-Guisan-Quai. À Zürich-West, Caruso St John cherchaient eux à compenser le manque de végétation avec un immeuble de bureaux présentant d’imposants jardins suspendus à ses extrémités sud et nord. Une stratégie qui rappelle celle de EM2N pour la Binzstrasse, un contexte lui aussi monotonement gris et minéral. L’idée a même été poussée encore un peu plus loin avec l’immeuble de bureaux construits pour Swiss Life Asset Management AG. Fusion entre végétation en façade et architecture iconique, il présente un ensemble d’éléments en dialogue avec le bâti existant: fenêtres en bande, escaliers extérieurs ou encore murs massifs. Cette montagne expressive en béton et son flanc terrassé reflète parfaitement le quartier si particulier de la Binz, une zone industrielle et commerciale à l’esprit pionnier située au pied du Uetliberg.
Ancienne glaisière en forme de cuvette, la Binz a longtemps été occupée par les Briqueteries zurichoises. Après leur départ en 1940, des usines, des bureaux et des entrepôts s’y sont installés, suivis dans les années 1980 par les sièges d’assurances et d’entreprises de télécommunication. Cette vague fût suivie au début des années 2000 par l’installation de plus petites structures économiques profitant de loyers à bas prix dans le bâti existant déjà ancien: ateliers d’architecture, bureaux de l’économie créative, locaux de start-up, restaurants et autres supermarchés. Caractérisé par une atmosphère pionnière stimulante, le quartier a fini par attirer des investisseurs dont les bâtiments – surélevés comme le Supertanker de Stücheli Architekten en 2007, transformés et agrandis comme le Werkhof Binz de in situ en 2016, ou neufs comme l’élégant Tic Tric Trac de Baumschlager Eberle, également en 2016 et probablement inspiré par la maison Shell-Haus d’Emil Fahrenkamp à Berlin – sont devenus des emblèmes.
Situé sur la parcelle voisine, le nouveau bâtiment signé EM2N avec son côté glamour urbain vole désormais la vedette au Supertanker et à son volume en tôle d’aluminium rehaussant un bâtiment en briques de 100 mètres de long. Contrairement à l’immeuble inséré discrètement – à la faveur d’une façade ajourée en tuf poreux – par EM2N en 2021 dans l’alignement de la Bahnhofstrasse zurichoise, le bâtiment à terrasses de la Binzstrasse est un solitaire à la plastique très expressive. Sa silhouette asymétrique, fruit de l’exploitation maximale du règlement de construction parcellaire, alloue au nouvel édifice une expression architectonique innovante qui, malgré toute son excentricité, a pu être réalisée à un coût étonnamment bas. Symbiose entre nécessité économique et gestuelle esthétique, le bâtiment propose un langage formel sans fard ni artifice qui rappelle la construction néobrutaliste réalisée en 2018 par Arno Brandlhuber et Muck Petztet dans le quartier de Berlin-Wedding, ou encore les immeubles de logements étagés des années 1960 et 1970.
La ville et sa dynamique
Contrairement à ceux de Brandlhuber, les projets de EM2N ne poursuivent pas une recherche formaliste rigoureuse. Formes et matériaux sont inspirés du dialogue avec le site, ce qui paradoxalement aboutit toujours à des bâtiments marquants et expressifs. Il n’est donc pas surprenant que le bureau zurichois, fondé par Mathias Müller et Daniel Niggli en 1997, se passionne pour «la dynamique et les contradictions de la ville». La reconfiguration en 2006 du Théâtre 11 – une salle de spectacle et un théâtre musical habillé d’un treillis gris souris – en est l’un des plus anciens témoins. Si ce projet était influencé par le Dirty Realism de Rem Koolhaas, au même titre que la transformation de la laiterie Toni pour la Haute école des arts de Zurich en 2014, c’est le «regard froid» posé sur le contexte qui a guidé la transformation d’un viaduc ferroviaire en une rue commerçante branchée dans le Kreis 5 zurichois en 2010.
Avec le mandat direct obtenu en 2017 pour la construction d’un bâtiment tertiaire relativement bon marché en lieu et place d’un garage de deux niveaux dans le quartier de la Binz, les architectes se sont vus offrir la possibilité de formuler leur vision de l’espace de travail de demain, en plus de l’occasion d’y installer leurs propres bureaux et un grand atelier de maquette. L’édifice achevé en 2023 place les employé·es au centre et enrichit leur environnement de travail tant d’un point de vue architectural que social et écologique.
Fait assez inhabituel pour la Binz, l’existence d’un jardin d’enfants et d’une école juive orthodoxe donnait au périmètre un caractère déjà mixte. Pour renforcer cette particularité, EM2N a pris soin d’aménager les cadres nécessaires à un espace de vie diversifié. Et cela passait par un rez-de-chaussée public devenu un vaste hall d’entrée où sont logés un bar miso et une brasserie qui jouit d’une terrasse en gravier sommairement aménagée à l’aide de plantes en pot. Si l’on peut émettre des réserves quant au concept de végétation grimpante proposé par le bureau d’architectes-paysagistes Balliana Schubert pour les pignons – les épais murs de béton marqué d’ouvertures circulaires sont trop imposants et probablement trop chauds en été pour les délicates clématites qui sont censées le recouvrir –, les plantes sélectionnées avec la plus grande attention écologique et invitée à s’accrocher et grimper aux balustrades filigranes en grillage métallique, sont la promesse d’un beau filtre végétal sur les six terrasses en cascade que dessert un escalier en colimaçon sculptural, mélange entre le monument révolutionnaire en spirale de Vladimir Tatline et les plus prosaïques escaliers de secours éparpillés dans les environs.
Étonnants intérieurs
Dans le soleil matinal, Mathias Müller se tient devant des vivaces et des plantes grimpantes sur la terrasse inférieure du bureau qui occupe trois étages: «Les plantes doivent à la fois créer une oasis de verdure dans ce quartier industriel minéral et améliorer la perception subjective des personnes travaillant ici». En d’autres termes, le rapport à l’extérieur qu’elles orchestrent est aussi important que l’échange interne d’idées. Les architectes ont souhaité «proposer quelque chose de nouveau, qui s’inspire du contexte et l’enrichit, plutôt que des bureaux lambda», ce que reflètent les espaces de travail dont la diversité, «que l’on ne trouve jamais ou presque dans les immeubles bureaux», surprend. Ce sont surtout trois espaces en double hauteur qui attirent l’attention. Parmi eux, l’atelier de maquette et ses imposants hublots ressemblent à un hall d’usine, et la salle commune orientée au sud dégage une atmosphère vacancière. Créée pour les collaborateur·rices d’EM2N, cet espace aux allures de cathédrale gothique avec ses poutres en béton est ouvert le midi à tous·tes les occupant·es du bâtiment. Avec l’intention claire de favoriser les relations humaines et le caractère collectif du lieu de travail, ce que font aussi les terrasses de la façade sud qui relient entre eux tous les étages.
Le parquet et les aménagements en bois atténuent un peu partout la dure présence du béton. Pourquoi d’ailleurs ne pas avoir construit le bâtiment en bois et éviter l’inévitable question de l’impact environnemental du béton? D’autant plus qu’EM2N dispose du savoir technique et architectural pour avoir réalisé, à l’Hegianwandweg, le premier ensemble de logements de quatre et cinq étages en bois de la ville de Zurich, il y a 25 ans de cela. Dans le cas de la Binzstrasse, le bilan écologique d’un bâtiment exécuté en bois n’aurait été que 10 à 15 pourcent meilleur. L’utilisation volontaire du béton low-tech pour la construction de grandes portées à moindre coût a permis d’économiser d’autres matériaux. L’accent a aussi été mis sur la préservation de l’énergie d’exploitation, notamment grâce à la capacité du béton de stocker passivement la chaleur, à l’activation thermique des plafonds à caissons en béton extra-minces, à la ventilation naturelle par les fenêtres, ou encore au renoncement à l’eau chaude.
Très tôt déjà, EM2N démontrait un goût pour l’expérimentation contextuelle, ce dont témoigne encore aujourd’hui le concours remporté en 2019 pour le Stairway-Building sur le campus numérique de Hammerbrooklyn, à Hambourg; l’immeuble à terrasses, s’il s’apparente formellement au bâtiment de la Binzstrasse, présente a contrario une construction hybride en bois sur un socle en béton armé