Landskronhof
,
Suisse
Publié le 10 janvier 2023
HHF architekten GmbH
Participation au Swiss Arc Award 2023
Données du projet
Données de base
Données du bâtiment selon SIA 416
Description
La densification de la ville de Bâle de ces dernières années compte quelques constructions en cœur d’îlot tout à fait remarquables. Caractérisé par un volume clair et terrassé qui s’insère le plus naturellement du monde dans un îlot du quartier de St. Johann, le Landskronhof en est le dernier exemple en date. Cette nouvelle oasis de verdure offre une multitude d’espaces propices aux rencontres.
Les cours des grands îlots de nos villes abritent un monde caché où s’entremêlent petites constructions, parkings et recoins verdoyants. À Bâle, certaines cours parmi les plus généreuses ont fait l’objet de projets de densification signés par des architectes renommés. En 1988, Herzog & de Meuron en meublaient une avec une construction en bois à la Hebelstrasse; quinze ans plus tard, Diener & Diener réalisaient à la Isteinerstrasse des logements mitoyens en béton apparent et à l’expressivité marquée. D’autres faisaient suite à ces précurseurs: il y a douze ans, la construction massive de Luca Selva avec des façades en cuivre et en béton à la Hegenheimerstrasse; en 2015, le bâtiment de Miller & Maranta en forme de peigne dentelé à la Sempacherstrasse. Pour un immeuble coopératif au Riehenring, Jessenvollenweider ont poussé encore plus loin le principe de dissolution en pliant et repliant les façades, afin de réduire les vis-à-vis directs avec le voisinage.
Lutter pour un projet exemplaire
En comparaison avec celui du Riehenring, le contexte de la cour pentagonale située entre la Kannenfeldplatz et la Davidsbodenstrasse, dans l’ancien quartier ouvrier de St. Johann, était bien plus complexe. Quelques arbres imposants y égayent la mine grise d’un espace majoritairement bâti qu’occupe un ancien garage automobile à sheds reconverti en galerie d’art, des bâtiments utilitaires et des garages. Une fondation d’utilité publique possédait un immeuble sur la Davidsbodenstrasse, prolongé par une étroite parcelle délimitée par des murs coupe-feu et encombrée par les automobiles des locataires. La fondation approchait en 2013 le bureau bâlois HHF Architekten, lui demandant de tirer le meilleur de cette situation en supprimant le parking.
Le bureau fondé en 2003 par Tilo Herlach, Simon Hartmann et Simon Frommenwiler, alors âgés d’une trentaine d’années et diplômés de l’EPFZ, pouvait s’appuyer sur une certaine expérience de la construction en arrière-cour. En 2009, les trois amis avaient transformé l’ancienne manufacture de glaces Gasparini à la Allschwilerstrasse pour y installer leur bureau, avec en prime un minuscule jardin-atrium rappelant les interventions de Carlo Scarpa dans le périmètre de la Biennale de Venise. Les architectes s’étaient déjà fait un nom trois ans auparavant avec Baby Dragon, un pavillon pour enfants construit dans un parc architectural réalisé par Ai Weiwei dans la mégapole de Jinhua, au sud-est de la Chine. Peu de temps après, ils avaient pu achever leur première grande construction avec Label 2, un centre de mode à Berlin. Suivirent d’autres mandats au Mexique, aux États-Unis et beaucoup en Suisse, comme le témoigne la petite tour de logements Jardin Métropole, qui est sur le point d’être achevée à Bienne et fait écho à l’emblématique Maison du Peuple.
Les architectes ont rapidement constaté que le terrain à la Davidsbodenstrasse était trop petit pour accueillir un projet de densification digne de ce nom, et ce sont mis en quête de voisins et propriétaires fonciers susceptibles de participer à l’opération. Seules deux communautés héréditaires, propriétaires des parcelles 95 et 97 à la Landskronstrasse se laissèrent convaincre. L’organisation rapide d’une table ronde rassemblant propriétaires, voisins et représentants de la ville permit aux architectes d’aboutir, non sans difficultés, à une solution ne nécessitant aucune autorisation spéciale. Aussi prometteur qu’il ait été, le projet suscitait vite des résistances. Beaucoup de voisins dans l’îlot craignaient de voir le peu de verdure existant disparaître pour de bon au profit du nouveau bâtiment, et au détriment de leur cadre de vie.
Fin 2016, après rejet de la dernière opposition par l’inspection bâloise des constructions, les propriétaires fonciers décidèrent finalement de vendre un projet devenu trop grand pour eux, prêt à construire, à l’entreprise générale Steiner AG. Rebaptisé Landskronhof, le bâtiment était finalement inauguré après neuf ans de planification et de construction, en mai 2022. À cette occasion, une partie des opposants reconnaissait même que le nouvel arrivé, malgré son volume imposant, interagissait de manière convaincante avec les bâtiments de l’îlot qui l’entourent, avec la verdure existante, et avec les constructions basses et denses qui meublent aujourd’hui encore le centre de l’îlot.
Parfaitement intégré
Des murs coupe-feu resserrés à la proximité des bâtiments voisins, en passant par la forme triangulaire d’un terrain crénelé au nord et légèrement incliné en direction de l’est, HHF a su transformer les contraintes en solutions. Ayant d’abord envisagé un alignement de maisons individuelles le long des murs coupe-feu, identiques à des morceaux de sucre consommant tout l’espace à bâtir sur la maquette volumétrique, les architectes ont finalement opté pour un empilement de petits cubes selon un plan cruciforme.
Le volume terrassé de six étages abrite 15 appartements de 2,5 à 5,5 pièces et est organisé autour d’une cage d’escalier centrale, ce qui a permis de réaliser des économies considérables en termes de coûts de construction, de consommation de terrain et d’énergie. Avec des extensions et des retraits permettant une imbrication précise, le bâtiment est parfaitement intégré dans la cour. La logique volumétrique pyramidale minimise l’impact de l’ombre portée sur les bâtiments alentours, et permet aux rayons de soleil de pénétrer jusque dans une cour intérieure semi-publique, rapidement devenu un paradis pour les résidents de tous âges. À celle-ci s’ajoutent deux petits jardins semi-privés ainsi que de nombreuses terrasses partiellement plantées et atteignant jusqu’à 40 mètres carrés, qui renforcent l’accent végétal et font oublier l’étroitesse de la cour.
Débouchant dans la cour, on est étonné de constater que le bâtiment, malgré ses six étages dissimulés derrière d’épais buissons et la cime des arbres, puisse être apparenté à un pavillon agrémenté de «jardins suspendus». Peint en blanc, le bois d’épicéa des façades dialogue avec les murs coupe-feu en briques des constructions basses à l’intérieur de l’îlot. À l’image d’un échafaudage abstrait, des profilés cylindriques blancs sur lesquels grimperont bientôt des plantes, enveloppent une façade animée par différentes formes de fenêtres et créent une transition progressive et fluide entre l’intérieur et l’extérieur – un jeu de formes japonisantes rappelant sous certains aspects la House NA de Sou Foujimoto à Tokyo (2015). Simon Frommenwiler d’ajouter que la thématique des «espaces fluides et de la transition entre intérieur et extérieur, entre public et privé, entre contrôlé et incontrôlé», intéresse HHF depuis longtemps.
Deux niveaux d'entrée entrelacés
La pente du terrain a donné l’occasion aux architectes d’organiser une entrée sur deux niveaux. Depuis un passage sur la Davidsbodenstrasse, le visiteur traverse l’un des jardins conçus par le bureau Fontana Landschaftsarchitekten avant d’atteindre le rez-de-chaussée inférieur vitré à côté duquel s’ouvre un parking intérieur accessible de plain-pied. Abrité par un appartement en saillie du rez-de-chaussée surélevé, cet espace offre aux enfants une esplanade de jeux protégé en cas de pluie ou de forte chaleur.
On atteint l’entrée située au rez-de-chaussée supérieur depuis la Landskronstrasse – adresse principale du bâtiment – en empruntant un passage qui ouvre sur un chemin serpentant à l’abri des arbres jusqu’au bâtiment. Un escalier extérieur aménagé entre le bâtiment et deux murs coupe-feu relie les deux entrées – une haie de lauriers roses renforce le pittoresque de cette composition d’inspiration méditerranéenne. À l’intérieur, la superposition des deux foyers d’entrée orchestre un jeu de murs en miroir, le positionnement d’un escalier en colimaçon et d’un escalier reliant les deux niveaux de l’entrée. Le rez-de-chaussée supérieur abrite cinq logements, dont deux font face aux murs coupe-feu à l’ouest et au sud. Toujours à la faveur de la pente, les architectes ont conçu des duplex dont les séjours et jardins sont au niveau supérieur. Les grandes fenêtres qui ouvrent sur des murs de briques recouverts de vigne sauvage convoquent pour les résidents un imaginaire domestique proche de la maison mitoyenne anglaise.
Au centre du plan, la cage d’escalier ne reçoit de la lumière naturelle que par le rez-de-chaussée et en aplomb de l’escalier. Ses murs en béton apparent lui donnent l’allure d’un escalier de secours. C’est tout juste si les portes blanches des appartements et les réservations circulaires des appliques murales égayent cette ambiance austère. À contrario, les appartements qui proposent des plans tous différents les uns des autres, sont clairs et contrastés, avec des cloisons crépies de blanc et des sols en béton poncé ou parquetés. Partout, des terrasses végétalisées et les grands arbres environnants donnent l’illusion de toucher la verdure. Le premier étage est occupé par quatre appartements disposés en croix, alors que trois se partagent le deuxième. Trois autres appartements occupent le troisième étage, dont deux duplex qui profitent de séjours lumineux au dernier étage, là où la vue s’élargit par-delà les bâtiments de l’îlot jusqu’au clocher sculptural de l’église Antonius de Karl Moser et aux trois tours d’habitation massives du Kannenfeldpark.
Un modèle de densification durable
Bien que relativement imposant, le Landskronhof n’enlève pas au cœur d’îlot ses qualités. Très convaincante des points de vue architectural, urbain ou esthétique, la solution d’un volume hétérogène préserve autant que possible la sphère privée, en plus d’offrir aux riverains un petit parc qui ancre durablement la nouvelle construction entre les bâtiments existants.
Ces derniers temps, certaines voix se font entendre qui reprochent au Landskronhof, où habitent majoritairement des familles de la classe moyenne, de favoriser le processus de gentrification déjà à l’œuvre dans St. Johann. Une accusation partiellement vraie: le bâtiment a été conçu et réalisé dans un grand souci d’économie et les logements ne sont pas plus chers que des appartements de taille similaire dans des bâtiments neufs de remplacement – la construction du Landskronhof n’aura, elle, nécessité la destruction d’aucun bâtiment existant. Tout cela fait du Landskronhof un modèle révélant le potentiel de densification de surfaces urbaines résiduelles jusqu’ici ignorées.
Les directives bâloises en matière de construction risquent cependant d’être modifiées pour permettre non seulement la surélévation, mais aussi l’agrandissement des bâtiments vers l’intérieur du cœur d’îlot. Si cette tendance venait à se confirmer, la densification intérieure des îlots qui jouit dans la cité rhénane de plusieurs exemples innovants pourrait rencontrer de nouvelles difficultés.
Texte: Roman Hollenstein
Première publication: Arc Mag 2024–1
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