Maison individuelle Gapont

 
9495 Triesen,
Liechtenstein

Publié le 17 avril 2023
uli mayer urs hüssy architekten AG
Participation au Swiss Arc Award 2023

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Gapont 4, 9495 Triesen, Liechtenstein
Catégorie de projet
Achèvement
03.2021
Liens

Données du bâtiment selon SIA 416

Surface de terrain
260 m²
Surface de plancher
220 m²
Surface utile
180 m²
Volume bâti
1031 m³
Coûts de construction (BKP 2)
1,1 mio. CHF

Description

Au Liechtenstein, la contiguïté grandissante de Vaduz, Schaan et Triesen prend la forme d’une ville linéaire. Avec la résidence Gapont, les architectes Mayer et Hüssy montrent qu’il est possible d’en densifier les noyaux historiques sans mettre en péril la qualité de structures développées au fil des siècles. Si les plans d’étage, le volume et la composition des toitures du bâtiment sont très contextuels, les espaces intérieurs sont caractérisés par une diversité spatiale individuelle et fascinante.

Pays agricole pauvre dans le passé, le Liechtenstein a connu un développement rapide au milieu du 20ème siècle, devenant un pôle industriel, tertiaire et bancaire d’importance. La petite principauté du Rhin alpin compte un peu plus de 45'000 emplois pour une population d’à peine 40'000 personnes. En raison d’une politique d’immigration restrictive que le Liechten­stein est autorisé à poursuivre malgré son statut de membre de l’Espace économique européen, plus de la moitié de ces emplois sont aujourd’hui occupés par des personnes vivant hors du territoire national. Les nouveaux arrivants ne constituent qu’un tiers de la population du Liechtenstein, ce qui explique pourquoi une grande partie de la construction de logements a pu être transférée à l’étranger, n’empêchant pas un accroissement démographique de 30 pour cent ces 35 dernières années. Autrefois nettement séparés les uns des autres, les trois villages de Vaduz, Schaan et Triesen ont fusionné pour former une ville linéaire au caractère d’agglomération, semblable à l’urbanisation de la vallée du Rhin saint-galloise voisine et du Vorarlberg.
La grande route constitue l’artère vitale de cette ville linéaire comptant près de 18'000 habitant·e·s. Elle rappelle une Main Street américaine et longe la plaine du Rhin en passant aux pieds des villages. Si la voiture règne dans ce territoire qui a vu s’accumuler au fil des décennies de grandes entreprises industrielles, des prestataires de services, des quartiers de villas et des lotissements, des installations sportives, des magasins, des stations-service ou encore des casinos, elle est aussi très présente dans les ruelles étroites des noyaux villageois situés un peu plus haut. Ces derniers ont néanmoins pu conserver leur forme d’origine, malgré le remplacement de certaines parties de l’ancienne structure par de nouveaux bâtiments.

Plus qu’une agglomeration
Le cas de Triesen – la plus petite commune du trio avec 5500 habitant·e·s et autant d’emplois – est d’ailleurs remarquable.
Situé sur un versant ensoleillé abrupt, le village regroupé autour de l’église possède encore quelques ensembles de maisons pittoresques entourés de vignobles, qui rappellent la proche seigneurie grisonne. Tout le contraire de la partie du village le long de la grande route menant à Vaduz qui présente les stigmates d’une commune dortoir anonyme. Les lotissements qui y ont été construits soulagent le centre historique du village de la pression générée par la croissance, à l’image de l’encombrant centre Sonnenplatz, inauguré il y a deux ans à l’entrée du village, qui a apporté une nouvelle dynamique à Triesen avec deux grands distributeurs, un café et de nombreux logements.
Composé de trois parallélépipèdes, le centre commercial remplit un espace vide qui marquait autrefois la frontière entre l’ancienne partie du village et la prolifération architecturale de moindre qualité le long de la grande route. Les nouveaux bâtiments cachent aujourd’hui l’ancienne usine de tissage Spoerry, dont le long corps de bâtiment protégeait auparavant le village à la manière d’un mur d’enceinte. Avec sa cheminée haute et un gazomètre recouvert de bois, l’usine Spoerry est un témoin important du patrimoine industriel local qui abrite aujourd’hui, entre autres, une université privée ainsi que le Kulturzen­trum Gasometer. Dominant l’usine sur une parcelle étroite, l’habitation à trois logements Gapont est l’œuvre des architectes Uli Mayer et Urs Hüssy, établis à Triesen. Le bâtiment est un exemple remarquable de densification durable dans un périmètre aux enjeux urbains très sensibles. Réagissant à la pente douce et à la forme de la parcelle avec des niveaux d’habitation légèrement décalés et un plan en forme de Y, le bâtiment pourrait être apparenté au principe écologique «touch the earth lightly» prôné par Glenn Murcutt. À l’image des maisons traditionnelles du village, le bâtiment de trois étages se caractérise par un socle massif sur lequel repose une structure en bois brut qui dialogue avec le gazomètre octogonal de l’usine Spoerry.

Continuité architectonique du lieu
Le projet d’habitat de trois logements, baptisé Gapont en référence à la ruelle qui dessert la parcelle, était nominé parmi les projets finalistes du prix architectural «Constructive Alps», une occasion pour le bureau mayer und hüssy architekten, fondé en 2004, de voir leur reconnaissance croître au-delà du Liechtenstein. Urs Hüssy, zurichois de naissance, et Uli Mayer, originaire du Liechtenstein, sont nés au début des années 1970 et ont tous deux étudiés à l’EPF de Zurich. Leur intérêt pour la culture architecturale locale remonte à 2006, alors qu’ils livraient le projet de rénova­tion et d’extension de la maison Brendle à Schellenberg, un bâtiment classé monument historique. Suivirent des réhabilitations, des transformations et des constructions nouvelles, via mandats directs ou obtenus au travers de concours et de mandats d’études. Deux ouvrages aux langages architecturaux très différents méritent plus particulièrement d’être mentionnés: l’ajout en 2023 de formes cubiques claires abritant une salle de sport double et un jardin d’enfants pour l’école de Mauren, et, en 2018, la constructionde la maison Obergass à l’expression très plastique pour trois familles vivant à Balzers. Cette dernière présente d’ailleurs des similitudes formelles et structurelles avec la maison Gapont. Elles sont toutes les deux le résultat de l’interprétation de la nouvelle stratégie de densification en vigueur au Liechtenstein, qui autorise un indice d’utilisation du sol de 0,6 dans la zone résidentielle, à condition que la forme de l’ouvrage, nécessairement organique, soit contextuelle.
Juste au-dessus de la maison Gapont, au numéro 4 de la même ruelle, mayer et hüssy ont achevé en 2021 leur propre maison. Cette dernière démontre magnifiquement comment la connaissance du lieu et de ses traditions permet la réalisation de bâtiments contemporains parfaitement intégrés à un tissu existant. La maison occupe une place privilégiée de la partie basse du village, sur un terrain laissé vague suite à un incendie en 2013. Droits de bornage et de reconstruction aidant, il a été possible de réaliser un bâtiment de 180 mètres carrés de surface utile, synonyme d’utilisation optimale des 260 mètres carrés de la parcelle inclinée d’est en ouest et délimitée par la ruelle et la maison Gapont en contrebas.
Côté Gapont, légèrement en retrait par rapport à la rue et accolé aux deux maisons voisines, le nouveau bâtiment est une réinterprétation contemporaine d’une maison traditionnelle de la vallée du Rhin dans le Vorarlberg et de sa construction mixte, en l’occurence une structure en éléments de bois préfabriqués reposant sur un socle en béton isolant. La découpe numérique actuellement utilisée dans la construction en bois autorise une préfabrication précise, qui, dans le cas présent, a permis de réaliser une façade complexe dont les angles multiples réagissent aux distances aux limites – ce qui d’ailleurs était déjà le cas des maisons Gapont et Brendle. Contrairement à sa voisine de parcelle, dont les ouvertures de fenêtres carrées sont inspirées par l’usine Spoerry, ses fenêtres à elle sont découpées dans l’enveloppe du bâtiment en fonction de la structure intérieure de l’espace, pour des formes et des tailles variables.
Côté rue, la façade pignon a été dépourvue de tout ornement mais affiche quatre ouvertures composées à la manière d’une grappe de fenêtres. Une légère inflexion de la façade, les différentes tailles d’ouvertures, la fenêtre d’angle dans le socle, le passage découpé et menant à l’entrée et au jardin, ou encore la composition libre de la façade ouest abritée par un toit d’inspiration cubiste, sont d’autres événements qui font du volume à la patine grise une œuvre architecturale contemporaine.

Continuité spatiale et promenade architecturale
Dans le passage, une grande fenêtre circulaire permet de guigner dans l’entrée. À l’approche du jardin, elle évoque aussi les images de parcs chinois prisent par Moon Gates, qui fascinent Uli Mayer depuis son semestre à l’Université de science et technologie de Nankin. Juste à côté se trouve la porte d’entrée, qui permet d’accéder à la chambre à coucher en empruntant des escaliers, ou à la cuisine-séjour, où trois grandes fenêtres dévoilent le jardin, avant de rejoindre l’atelier au sous-sol. Une fois en bas, des vues vers l’extérieur permettent au visiteur de saisir avec quel respect la maison a été insérée dans la pente.
Inspirés par la pente de la parcelle, les architectes ont conçu les espaces intérieurs à la manière d’un continuum spatial menant d’un demi-niveau au suivant. Cette promenade architecturale relie par des volées d’escalier plus ou moins longues huit niveaux menant de la cave aux lits des enfants lovés dans de petites niches aménagées au-dessus des chambres. Alors que la cave, l’atelier et la cuisine sont concentrés dans le socle en béton, les espaces de vie et chambres à coucher, ainsi que les deux espaces extérieurs découpés dans le volume du bâtiment sont répartis dans le volume en bois. À l’intérieur, la transition du béton au bois a été thématisé par la matière changeante des sols: carreaux de céramique pour l’un, revêtements résineux pour l’autre. Les murs de façade n’ont pas été isolés entre ossature, mais côté extérieur. À l’intérieur, la structure en mélèze est libre et peut donc servir d’étagères ou d’armoires. Le gros œuvre devient ainsi à l’intérieur un meuble mural fluide, peint en rouge à l’étage des chambres et apparaissant dans un bleu atténué de gris dans le séjour.
Côté rue, le nouveau bâtiment s’insère discrètement entre les maisons voisines. Côté jardin, en revanche, il affirme sa particularité. Le projet témoigne aussi de l’intérêt pour la durabilité, l’attention aux échelles, le contexte bâti et le paysage qui a fait la réputation du duo d’architectes Mayer et Hüssy, l’un des principaux bureaux du Liechtenstein.
Avec des réponses toujours différentes, les architectes ont jusqu’ici réussi à montrer qu’il est possible de continuer à développer des structures villageoises construites au fil des siècles avec des constructions organiques dont les volumes, les plans et les compositions de toitures sont inspirés du contexte particulier. Le nouveau bâtiment semble imbriqué entre les deux maisons voisines. Malgré la densité générée, il reste cependant poreux et relie de différentes façons rue et jardin, intérieur et extérieur ou encore ciel et terre, comme en témoigne un petit bassin qui recueille l’eau du toit et permet de se rafraîchir en été.

Le texte a été rédigé par Roman Hollenstein pour l'Arc Mag 2024–2 et traduit en français par François Esquivié. Les photos et les plans ont été soumis par les architectes pour l'Arc Award 2023.

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