Maison performative
,
Suisse
Publié le 09 décembre 2022
EMI Architekt*innen AG
Participation au Swiss Arc Award 2023
Données du projet
Données de base
Données du bâtiment selon SIA 416
Description
Tel un paon de métal, la maison performative se dresse au centre-ville de Zurich, à l’angle de la Stampfenbachstrasse et de la Laurenzgasse. Le nouveau bâtiment miroitant et rempli de promesses abrite de petits appartements destinés à des ménages d’une ou deux personnes à la recherche d’un logement différent pour goûter à la vie en milieu urbain. Avec elle, Edelaar Mosayebi Inderbitzin prouvent que de petits appartements peuvent être généreux et offrir une grande diversité spatiale.
Avec leur maître d’ouvrage UTOREM, Edelaar Mosayebi Inderbitzin ont tenté l’expérience de repenser les petits appartements tout en interrogeant les standards de la construction de logements. Que doit fournir une maison lorsqu’elle s’adresse à des célibataires ou à des couples? Et comment intégrer ces groupes dans le réseau social d’une ville? Pour ce faire, une série de scénarios ont été testés et étudiés entre 2019 et 2021 dans un Mock-Up entièrement fonctionnel à l’ETH de Zurich. Les données récoltées ont été évaluées et intégrées dans la conception d’un nouveau bâtiment situé à la Stampfenbachstrasse. Achevé en septembre 2022, le bâtiment est entré dans sa phase d’exploitation.
Avec leurs logements performatifs, Edelaar Mosayebi Inderbitzin s’adressent aux petits ménages ayant un modèle de vie flexible. L’idée n’est pas dénuée de sens puisque, selon l’Office fédérale de la statistique, 46 pour cent des personnes domiciliées en Suisse habitent seules ou à deux. Une bonne partie de cette population jeune, spontanée et flexible, organise sa vie en fonction du lieu de travail. En d’autre termes, ce sont des nomades urbains, qui ne s’encombrent que de peu de biens domestiques et comprennent le logement comme une solution provisoire – une situation temporaire – et sont prêts à déménager vers le prochain. Le style de vie de la clientèle potentielle d’un tel logement est tout aussi éphémère que le projet des architectes, la frontière entre réalité et fiction y est constamment brouillée: la maison doit permettre un changement constant. C’est la raison pour laquelle les architectes ont développé trois types d’appartements pour la maison performative. Un loft aux espaces hauts sous plafond, des surfaces en béton brut et un rapport direct avec la cour végétalisée occupe le sous-sol. Parquet, carrelage vert pâle dans la salle de bain et rebord de fenêtre en bois huilé, qui intègre également la cuisine, confèrent à ce premier type une note chaleureuse. Peu innovant en comparaison des autres appartements, ce type est contraint par la structure – existante – en béton du parking souterrain d’un immeuble datant des années 1980 qui sert de fondation et de sous-sol au nouveau bâtiment. Sa nouvelle partition spatiale est mise en valeur par l’emploi de matériaux nobles habillant le gros oeuvre, des mesures qui intègrent de manière cohérente le nouvel espace de vie dans la maison et le quartier.
Au dernier étage, les appartements présentent un visage diamétralement opposé. Situé dans la charpente, ce type profite de la géométrie de la toiture pour se développer vers le haut. La lumière indirecte pénètre largement à l’intérieur de l’appartement par une bande vitrée zénithale et des lucarnes en losange offrent une vue sur le quartier. Des piliers en bois peints en blanc attendent semble-t-il d’être équipés de hamacs. On habite en ville, ou plutôt dans le ciel de la ville. Inondée de lumière, la mansarde convoque l’imaginaire des décors de théâtre expressionnistes de la République de Weimar.
Au loin les portes
Entre l’atelier en toiture et le loft en sous-sol, 23 halles habitées ont été intercalées aux étages. C’est là que les innovations étudiées et testées dans le mock-up prennent tout leur sens. Les architectes ont su répondre de manière spécifique et parfois surprenante à la question initiale: que peut offrir un logement à des célibataires?
Il n’y a pas de pièces fermant à clef. Du point de vue du droit de la construction, l’appartement est d’ailleurs considéré comme une seule grande pièce. Il est en théorie possible d’alimenter entièrement l’appartement en air frais par la façade côté cour, à l’opposé des nuisances sonores de la rue. Le logement n’en offre pas moins une richesse visuelle, grâce notamment à un ou plusieurs panneaux muraux pivotants. Les cloisons parallèles les unes aux autres sont rares, ce qui offre des compositions spatiales fluides qui semblent se modifier en permanence lorsque l’on traverse les appartements. L’effet est saisissant et participe à l’impression d’un appartement plus vaste qu’il ne l’est en réalité. La taille moyenne d’une unité est de 43 mètres carrés.
La position des pans de mur permet en outre de transmettre les charges horizontales. Toute la maison a ainsi pu être construite en bois massif à partir du premier étage, et le recours à des noyaux de béton de renforcement ne s’est pas révélé nécessaire.
Pas de meubles mais des rangements
Rien d’étonnant au fait que le projet ne présente que peu d’angles droits. Ils sont d’ailleurs inutiles, puisque l’on part du principe que la clientèle visée ne possède pas beaucoup de biens domestiques. Cette dernière s’épargnera aussi le casse-tête de savoir où placer des armoires encombrantes dans son appartement: les nombreux rangements prévus dans l’aménagement de base règlent la question. Des socles en bois cachent des tiroirs spacieux et des trappes à commande hydraulique qui offrent de la place pour les biens du ménage.
La marche menant sur le socle marque en même temps la frontière discrète entre l’espace de mouvement et l’espace de séjour, définissant dans chaque appartement une zone publique au centre et une zone intime le long de la façade. Quelques coussins et un matelas suffiront alors à transformer cette niche en chambre-salon douillet.
L'appropriation comme projet de vie
Les architectes ont prévu au hasard de ces mondes intérieurs une série d’installations que les habitants peuvent modifier, et ainsi mieux s’approprier et personnaliser leur appartement. Ces interventions rappellent le mobilier ingénieux de la maison E.1027 conçue par Eileen Gray, ou encore les Ready-Mades de Marcel Duchamps. En les libérant de leur contexte, l’artiste élevait des objets de la vie quotidienne au rang d’oeuvres d’art. L’ameublement des logements de la maison performative est aussi en partie conçu comme des objets trouvés ambigus, et ce faisant, brouille la frontière entre architecture et installation artistique. Les associations artistiques ne s’arrêtent pas là, puisque les halles habitées évoquent aussi le Pop-Art et les sculptures de Roy Lichtenstein.
Comme évoqués par ailleurs, un panneau mural pivotant occupe le centre de la plupart des appartements dont il permet la reconfiguration à souhait. Grâce à cet élément traversé par un axe métallique fixé au sol et au plafond, les locataires sont libres de créer une sphère privative toujours en mouvement, isolant visuellement à volonté la cuisine, les deux niches et leur socle, ou l’entrée. Combiné avec des lampes pivotantes rappelant la Petite Potence de Jean Prouvé, panneau et lumière créés des univers intérieurs presque abstraits. Cette collection d’objets mobiles compte également une grande armoire recouverte d’un miroir, qui se tourne vers la cuisine, le salon ou l’entrée. Cette tactique de camouflage rend l’objet presque invisible et brise les limites spatiales des appartements. Seules les salles de bain permettent de se retirer dans une pièce et de la fermer à clef. Avec leurs matériaux sombres et la lumière indirecte, elles dégagent d’ailleurs l’image d’un lieu de tranquillité intime, d’un microcosme.
Simplicité et robustesse caractérise la palette des matériaux du reste de l’appartement: les cloisons porteuses sont constituées de murs en bois préfabriqués. Une simple couche de peinture les valorise. Ceci facilite en outre les travaux de réparation lors d’un changement de locataire. Le sol homogène en linoléum, dénué de joints, unifie la géométrie complexe de l’appartement et lui alloue une forme de tranquillité. Une attention toute particulière a été porté à la matérialité des lieux que les habitants peuvent dynamiser; métaux, bois, poignées en verre et tissus de qualité leur confèrent une touche précieuse.
L’affinité des architectes pour une apparence changeante se reflète également dans la façade. Une couche de balcons garnit la façade côté cour, donnant ainsi à tous les habitants la possibilité d’en changer l’aspect selon leurs envies. Les façades donnant sur la rue sont revêtues d’une peau métallique miroitante. Les maisons voisines ne sont pas les seules à s’y refléter, puisque l‘aspect de la façade change en fonction de l’heure de la journée, de l’incidence de la lumière et de la saison. Ce faisant, le nouveau voisin ne cherche pas à s’intégrer au quartier, mais sa différence l’enrichit en le reflétant de manière ludique. Le contexte Belle Époque n’est pas reconstruit, mais commenté.
Habiter, un happening
Face au drame qui se joue en termes climatiques, il n’est pas possible de rester les bras croisés alors que la consommation moyenne de mètres carrés dans le logement ne cesse d’augmenter. En montrant le potentiel de petits plans bien pensés, la maison performative est à n’en pas douter une contribution importante au débat sur la culture du bâti. En laissant délibérément de côté la domesticité, le projet cherche des réponses au bien-vivre dans l’éphémère et le temporaire. Il y a étonnamment peu de hiérarchie au sein de chaque logement. Tout semble pouvoir arriver, partout et à tout moment. Provisoire, la situation peut et doit même être adaptée par l’habitant. Même célibataire, on ne vit pas seul dans cette maison puisque, telle un organisme mécanique, elle vit avec ses habitants. Le résultat n’est pas tant une maison d’habitation qu’un environnement ouvert aux fonctions, avec lequel on est constamment en contact et dans lequel on peut aussi dormir, travailler, se disputer et vivre – pour autant qu’on le souhaite.
Texte: Marcel Hodel
Première publication: Arc Mag 2023–1
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