STEP Aproz

 
1994 Nendaz,
Suisse

Publié le 06 mars 2025
en-dehors Sàrl
Participation au Swiss Arc Award 2025

Vue sur intérieur du bassin transformé. Les jeux utilisent la pente existante pour l'écoulement de l'eau. Des saignés ont été découpé dans le béton existant afin de permettre à l'eau de se mettre en charge et d'être canalisée. Vue sur l'entrée de la facade sud. Une tour et un toboggan permettent aux enfants de traverser le mur. Les escaliers du 1 er plan sont composés des pans de béton découpés et recyclés. État initial de la structure Des carottages de 1 mètre de diamètre ont été réalisés dans la chappe en béton du bassin afin de créer des fosses de plantations. La nouvelle aire de jeux laisse la place au développement de la végétation. En cours de découpe Chantier en cours. Découpe et carottages. État initial de la structure, vue sur le bassin vide depuis 20 ans Vue vers l'intérieur, au premier plan les pans de murs transformés en marche Un jour d'utilisation. Afin d'éviter de se mouiller les pieds, les enfants déposent leur chaussure à l'entrée. La couleur souligne les lignes de découpes de la structure béton Vue plongeante sur la nouvelle entrée. Le bassin a été scié (ligne de découpe en jaune) afin de créer un large passage. Les arbres prennent place dans les espaces carrotés dans la chape. Détails de manivelles d'activation de jeux d'eau en facade sud. Rampe, banc, garde corps et murets proviennent d'éléments de découpes de la structure béton du bassin.. Mur d'escalade composé de prises en pierre du Rhône provenant du site Exemple de ré-emploi. Les carottes de béton de 1m de diamètre sont recyclés en assises. Question de sécurité, elles sont recouverte d'un revêtement EPDM. Scène de jeux, mise en charge des canaux d'eau découpés dans la chape béton en place. réseau de canaux découpés dans la chape béton du bassin existant et jeux d'eau. Saules et peupliers s'enracinent dans les fosses de plantations carottés dans la structure béton.

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Impasse Bord'Eaux 6, 1994 Nendaz, Suisse
Catégorie de projet
Achèvement
09.2023
Liens

Données du bâtiment selon SIA 416

Coûts de construction (BKP 2)
300'000 CHF

Description

Ça aurait pu être une place de jeu comme il en existe tant: une collection d’animaux en plastique disposés sur un revêtement caoutchouteux ou une construction hétéroclite en bois sortant d’un sol de copeaux. Ce panorama homogène nous fait oublier que la créativité et la soif d’exploration des enfants ne peut se satisfaire complètement de formes standardisées et impersonnelles. En-Dehors montre qu’y remédier nécessite d’écarter les offres sur catalogue pour repenser fondamentalement le jeu dans l’espace public. 

Contenu entre le coteau et une courbe du Rhône, le village d’Aproz a tout d’une banlieue pavillonnaire ordinaire. Les champs et vergers font depuis des années place à des villas proprettes, alignées sur des parcelles délimitées de tuya. Chacun semble bien chez soi, la voiture est reine et le calme règne. Les lieux publics se font rares, et presque rien n’existait pour les enfants. Pour y remédier, les deux communes auxquelles appartient le village chargèrent Arnaud Michelet et Romain Legros de l’atelier d’architecture du paysage En-Dehors de concevoir une place de jeu. Un des rares terrains publics disponibles, en face de l’ancienne STEP, était initialement prévu à cet effet. Ce premier projet n’aboutira pas: les autorités souhaitent finalement garder ce terrain en réserve pour une éventuelle extension de l’école du village. L’équipe d’En-Dehors rebondit, et propose d’investir la STEP elle-même, une structure à l’abandon depuis trente ans. 
Toute de béton brut, la station d’épuration se limite à un bassin de décantation à ciel ouvert, un volume rectangulaire de 10 par 15 mètres, haut de 5, couronné d’un garde-corps et d’une sirène. Le tout est flanqué d’un second volume cubique, plus petit, dédié au poste de contrôle. Construite dans les années 1960 pour traiter les eaux usées du village, la STEP se trouvait alors le plus loin possible des habitations, au pied de la digue qui longe le Rhône. Mise à l’arrêt en 1994, ses murs gris et blancs finirent par se confondre dans le tissu périurbain. 
En venant du village, le bâtiment apparaît au fond d’une impasse. Une large ouverture permet maintenant l’accès à l’intérieur du bassin, où ont été plantés des trembles entourés de saules. Une seconde entrée, plus ludique, se fait du haut d’une tour en bois, dans un toboggan cylindrique traversant le mur de béton. Une fois à l’intérieur, le jeu s’articule autour d’un élément; l’eau. Elle sort du sol en geyser, gicle du haut des murs, alimente un bassin puis s’écoule dans une rigole zigzagante. Elle s’enclenche en actionnant des manivelles ou de gros boutons placés le long des murs. Certains sont moins visibles et accessibles que d’autres, comme celui qui, dissimulé en haut de la tour en bois, fait tomber un rideau d’eau sur toute la longueur de l’entrée. Ainsi on joue à s’asperger, à s’élancer et rebondir sur le mur incliné, ou à irriguer le fond du bassin – et en même temps les arbres – en fermant une petite écluse.

Une transformation sculpturale
Dès le départ, l’équipe d’En-Dehors se fascine pour cette infrastructure désaffectée où transparaissent de multiples potentialités ludiques. Leur intervention est doublement sculpturale, par découpe et par assemblage. Le béton est consciencieusement percé et taillé, processus dont ressortent des pièces aux formes diverses, réarrangées à l’intérieur et devant le bassin. La STEP, partiellement morcelée, se recompose ainsi en lieu public: des pans de mur, découpés pour ouvrir le bassin, sont maintenant marches et rampe; les disques de béton issus du carottage du sol – larges ouvertures circulaires dédiées aux arbres ou à l’eau – deviennent assises; une traverse à section hexagonale sert de banc. Les garde-corps qui couronnaient le bassin sont réutilisés pour les escaliers et la rampe, et des pierres récupérées sur place deviennent prises de grimpe. La couleur suit volontairement les coupures, révélant les emplacements des éléments déplacés. Des nombreux morceaux de béton extraits, tous n’ont pas pu trouver usage: dans un premier projet écarté par les communes, une combinaison de pièces – certaines inclinées ou partiellement enterrées – aurait dû ajouter du mobilier supplémentaire aux abords de la STEP, et ainsi étendre sa recomposition au-delà de ses murs.
Durant l’élaboration du projet, l’ambition sculpturale se heurte aux contraintes propres à la découpe du béton, une technique que les deux architectes-paysagistes, de leur propre aveu, connaissaient mal. Les premiers dessins et maquettes s’avèrent irréalisables, et laissent bientôt place à un travail sur site et en séance, en collaboration étroite avec une entreprise spécialisée. Arnaud Michelet précise à ce sujet l’importance des artisans, qui ont dicté les limitations de forme et de poids des éléments, ainsi que l’ordre d’intervention, pour révéler les possibilités de découpe et d’agencement.
Le projet est donc élaboré au fur-et-à-mesure, évoluant au gré des aléas du chantier. Le dessin se schématise pour être adaptable, on y substitue aux formes définies des simples directions. Les photographies prises durant le chantier en témoigne: on y voit des pièces de béton répandues sur l’herbe, certaines marquées d’un «à garder» à la craie rouge. Le dessin se fait sur place: une autre image montre Arnaud Michelet marquant à même le sol l’emplacement des futures rigoles. Seul élément de catalogue, le toboggan vient s’insérer dans la structure grâce à un percement circulaire sur mesure.
En conséquence, il n’existait, une fois les lieux inaugurés, aucun dessin à jour. Invité à exposer leur réalisation, l’équipe d’En-Dehors comble cette absence de représentation par la conception d’une maquette à découper et monter soi-même. Présentée au Museum für Gestaltung de Zürich, elle tient entièrement sur une feuille A3 distribuée aux visiteurs. Une description des lieux et des photographies accompagnent des indications sur les pièces de béton réutilisées et le nom latin des arbres et buissons. Cette architecture de papier fait exister le projet en-dehors de ses limitations spatiales, une «continuation du moment ludique», selon Romain Legros, qui «cristallise en un unique objet tout ce qui a été fait sur place».

Appropriation et transgression
Durant l’élaboration du projet et jusqu’à la fin des travaux, le choix de la STEP avait dérouté des parents acquis à l’idée d’une place de jeu standardisée. Abriter une aire de jeu dans un bâtiment foncièrement associé à la saleté avait de quoi surprendre, tant on attend pour les enfants des espaces ordonnés et aseptisés. «Il y avait un travail à faire dans l’imaginaire des parents», explique Romain Legros. «Le jour de l’inauguration, ils se posaient des questions sur la forme des choses – les enfants, eux, ne se sont posé aucune question.» 
L’enthousiasme est certain chez les enfants: en dehors des heures d’école, vous trouvez les lieux grouillant d’un petit monde espiègle et chahuteur. Les petits s’approprient un bâtiment présent depuis toujours dans leur quartier, une partie inaccessible et interdite de leur géographie personnelle. Leur curiosité les pousse à l’exploration, dans une liberté nouvelle à la limite de la transgression. Une fois entre les murs de béton, les parents laissés sur le seuil, on se mouille sans avoir à enfiler de maillot de bain, on grimpe pour tenter d’atteindre le haut du bassin, ou on disparait dans la verdure. Lors des chaudes journées d’été, les enfants qui ne veulent ou ne peuvent se baigner trouvent ici l’occasion de se rafraîchir tout en jouant, sans la surveillance accrue que demande un lac ou une piscine.
La forte demande qu’a comblée le projet d’En-Dehors a mis le petit espace sous pression, jusqu’à la dégradation. Les architectes-paysagistes l’interprète comme la frustration des plus grands: «C’est un objet qui est très utilisé, ce qu’on doit faire dans la deuxième phase c’est ouvrir les tranches d’âge.» Porté par le succès du projet, les communes souhaitent une extension des jeux autour de la STEP. Les murs extérieurs et le toit de la petite salle de contrôle pourraient supporter un nouveau programme dédié aux enfants plus âgés.

Jouer autrement
Si l’équipe d’En-Dehors ne revendique aucune référence formelle, leur intervention invoque une riche histoire d’expérimentations sur le jeu dans l’espace public. Au plus près on mentionnera le projet semblable, bien qu’à plus grande échelle, de la transformation d’une STEP en parc, à Attisholz près de Soleure. Le duo explique s’être intéressé aux playgrounds brutalistes pour leur traitement du béton, ainsi qu’à l’œuvre du sculpteur Isamu Noguchi. Dès les années 1930, l’artiste américano-japonais avait imaginé mettre son art à la portée directe des enfants. Ses premiers projets d’aires de jeu – restés à l’état de maquettes – sculptent un espace public qui semble sortir du sol et invite à l’exploration et l’appropriation.
Similaire dans son approche, la démarche d’En-Dehors a dû cependant composer avec un cadre légal spécifique et restrictif. La quasi-impossibilité de dessiner soi-même un jeu public – compte tenu d’un long et complexe processus de certification – explique le recours presque systématique au mobilier sur catalogue. S’en passer demande donc un travail fourni pour «trouver la valeur ludique dans l’agencement des choses et la mise-en-scène» explique Arnaud Michelet. Comme chez Noguchi, l’espace sculpté devient jeu en soi, doublé de l’eau, élément aux vastes possibilités ludiques qui se suffit à lui-même. Les formes créent un «espace où l’imaginaire des enfants peut se développer sans être guidé», résume Romain Legros, à l’opposé des mouvements uniques et définis qu’exigent les installations standardisées.
La comparaison s’impose aussi avec les aires de jeu conçues entre 1947 et 1978 par Aldo van Eyck pour la ville d’Amsterdam. Au-delà d’un parallèle visuel sur le traitement brut de formes abstraites, on retrouve la même volonté de créer dans l’imaginaire des enfants des lieux singuliers et familiers auxquels s’identifier. Les plus de 700 uniques interventions urbaines de l’architecte néerlandais présentaient une déclinaison de combinaisons à partir d’une série d’objets simples. Cette continuité de langage permettait à un enfant d’Amsterdam, en visite hors du cadre familier de son quartier, de retrouver partout en ville «ses» jeux. La création d’un lieu singulier à s’approprier s’applique tout autant à «l’objet» d’Aproz, qui se dédouble d’une visée didactique: montrer concrètement aux plus jeunes ce que peut être la préservation et la transformation de notre environnement bâti.
À plus petite échelle l’appropriation passe par un travail méticuleux sur les limites. Aldo van Eyck soulignait l’importance d’une démarcation claire entre les espaces de jeu et la ville alentour. Un mur, la végétation ou un simple changement de sol font comprendre aux enfants comme aux adultes le territoire réservé à chacun. À Aproz, l’enceinte du bâtiment joue admirablement ce rôle: les parents n’y pénètrent que rarement, restent en haut des marches ou patientent sur le banc.
Le jeu, chez Aldo van Eyck comme chez Legros et Michelet, doit se faire dans l’entre-deux, dans les espaces interstitiels et non sur des installations aux fonctions définies. Par agencement et articulation de formes, le concepteur ne doit pas guider l’enfant mais seulement, comme le dit van Eyck, «créer des outils pour l’imagination».

Une réussite ludique
Espace de jeu ou jeux d’eau, projet de paysagisme ou d’architecture, voire de sculpture – on peine à définir la transformation de la STEP d’Aproz; sans doute est-elle tout cela à la fois, et c’est bien là le témoignage de sa richesse spatiale. À l’opposé d’une répétition de mouvements prédéfinis, En-Dehors refait du jeu une exploration créative de notre environnement. Un accord réussi du béton sculpté à la versatilité de l’eau, fruit d’un travail méticuleux qui, comme le résultat final, revêt un caractère profondément ludique. 

Rédigé par Julien Rey pour le Swiss Arc Mag 2025–5.

Entreprises impliquées dans le projet

Fournisseurs

Exécution

Planification

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