Vie multigénérationnelle «DasHaus»
,
Suisse
Publié le 14 septembre 2021
K Plus Architekten AG
Participation au Swiss Arc Award 2022
Données du projet
Données de base
Données du bâtiment selon SIA 416
Description
Consciente de l’enjeu majeur que représente le vieillissement démographique pour la société et pour la construction de la ville, la coopérative de logements Sunnige Hof s’est lancée dans la réalisation d’un bâtiment prototype au sein de l’ensemble Else-Züblin situé à Albisrieden.
Créée en 1942, la coopérative de logements Sunnige Hof compte aujourd’hui parmi les plus grandes de l’agglomération zurichoise. La mise en place en 2014 d’un café seniors pour pallier à l’isolement de ses membres les plus âgés est à l’origine de l’attention portée à la question de l’habitat des personnes âgées. Après avoir évalué différents concepts, il a été décidé de miser sur le mélange des générations et sur un modèle de services sur une même ligne. Le bâtiment Else-Züblin-West en est le premier résultat concret et en appelle d’autres.
Baptisé «DasHaus», le projet doit permettre à des personnes âgées de mener une vie autonome tout en vivant dans un environnement familier. Le projet intègre une station médicalisée offrant à ses pensionnaires les douze degrés de soins. Le mandat est confié au bureau K Plus Architekten et à l’entreprise totale Allco AG. Senato AG (aujourd’hui Senavita AG), une entreprise spécialisée dans les soins aux personnes âgées exploitant plusieurs bâtiments, a apporté son savoir-faire.
Un village au milieu de la cité
En choisissant de densifier une partie de l’ensemble Else-Züblin situé au cœur d’Albisrieden, à proximité de nombreux services, le Sunnige Hof applique une recette prônée par de nombreuses études abordant le sujet de l’habitat des personnes âgées: il doit être réintégré au cœur des villes afin de permettre l’indépendance des résidents.
Le nouveau bâtiment complète un ensemble composé d’immeubles longilignes typiques des années 1950 et de plots disposés librement (Burkhalter Sumi Architekten, 2012). La destruction de 69 logements datant des années 1950 et 1970 a permis la construction de 78 logements adaptés, d’une station de soins et de nombreux services.
Le projet, développé en consultation avec le service de l’urbanisme de la ville de Zürich avant d’être soumis au collège de la construction – un gage de qualité alors que le Sunnige Hof n’avait pas organisé de concours d’architecture. Les échanges avec le service de l’urbanisme ont notamment entériné l’exigence d’un standard Minergie et permis de fixer des règles urbanistiques respectant le contexte bâti, à l’image de l’absence d’un attique en recul de la façade principale. Le bâtiment se présente comme un méandre inseré avec précision dans son environnement: un quartier en voie de densification marqué par un dialogue fort entre bâti et végétation.
Ossature de projet intergénérationnel réussie
Si certaines décisions sont nées du dialogue avec la ville, d’autres relèvent de la volonté de la maîtrise d’ouvrage de créer une architecture marquante à laquelle les résidents peuvent s’identifier. Et pour que ces personnes s’approprient les espaces disponibles, le bâtiment devait encourager des usages collectifs et des échanges.
C’est notamment le cas d’un rez-de-chaussée pensé à la fois comme un complément à l’ensemble Else-Züblin et comme la base identitaire du bâtiment. Autour d’un passage semi-public reliant les parvis nord et sud – une porte au cœur de la cité –, diverses fonctions destinées à l’usage interne ou à celui des voisins de quartier sont déployées.
La station de soins occupe la majeure partie du premier étage. Les deuxième, troisième et quatrième étages abritent 66 appartements de 2,5 et 3,5 pièces réservés à des personnes de plus de 65 ans – la moyenne d’âge des habitants de l’ensemble du bâtiment est à l’heure actuelle de 75 ans. L’attique propose 12 logements de 2,5 à 4,5 pièces occupés par des familles ou des couples plus jeunes. Une mixité des classes d’âge relative est de la sorte assurée.
Tous les espaces répondent à la norme SIA 500 «Constructions sans obstacles». Des douches sans seuil, des barres d’appui dans les salles de bains, des interrupteurs d’appels en urgence, des balcons accessibles aux fauteuils roulants et des stores électriques facilitent la vie autonome des personnes âgées. Le standard des appartements est plus élevé que la moyenne et explique des loyers parfois hauts pour le secteur de l’habitat coopératif, une stratégie de financement croisé permettant de réserver six logements pour des personnes avisées aux prestations complémentaires.
A l’image des façades, les matériaux et les couleurs rappellent l’architecture italienne de l’après-guerre et contribuent à une atmosphère sobre et élégante, garante d’une belle habitabilité.
Synergies internes et externes
L’architecture seule ne suffit pas à relever le défi de l’intégration des personnes âgées dans la société urbaine, la gestion et l’exploitation des bâtiments sont des facteurs tout autant sinon plus importants. La présence d’un service de concierge constitue indéniablement pour les résidents de «DasHaus» un facteur d’intégration. En soirée et le week-end, des habitants assurent eux-mêmes ce service en faveur de l’échange et de l’entraide. Les points de rencontres sont multiples: le cluster de boîtes aux lettres au rez-de-chaussée, les laveries communes aux étages ou encore les larges coursives qui invitent aux bavardages occasionnels entre voisins de palier.
L’espace extérieur aussi est un lieu de rencontre et le projet de ASP Landschaftsarchitekten AG cherche à promouvoir les contacts. Sur les parvis d’entrée et le long du cheminement qui fait le tour du bâtiment, des bancs invitent à s’asseoir un moment, tout comme la fontaine qui accueille les visiteurs. Les chemins sont accessibles aux fauteuils roulants et aux déambulateurs.
Le Sunnige Hof souhaitait une maison ouverte sur son quartier ; «DasHaus» incarne cette volonté en proposant différents programmes réservés à ses résidents ou qui s’adressent aux habitants du quartier Else-Züblin.
Elément central de la vie coopérative, le local commun («DerTreffpunkt») est orienté sur le parvis nord. Il peut accueillir 80 personnes; malgré le parquet en chêne sombre qui en rend l’usage délicat, une petite kitchenette permet l’organisation de fêtes entre amis. Des activités de relaxation s’y déroulent, ainsi que des événements socio-culturels proposés par la commission du quartier Albisrieden.
Un potentiel social encore sous-exploité
De nombreuses études sur le logement des personnes âgées attestent du fait que la mixité des programmes est préférable à une programmation homogène, tout comme l’est l’expérimentation par rapport à la solution conventionnelle, ou encore la densification des quartiers plutôt que la construction sur des prés verts… la perméabilité est un challenge plus intéressant que toute forme d’hermétisme, plus complexe et plus difficile aussi en termes sociologiques.
Si le prototype développé dans le quartier Else-Züblin est une réussite, il n’en reste pas moins que «DasHaus» est un projet top-down pour lequel la force collective que représente l’intégration des futurs habitants du bâtiment à son développement n’a pas été mise à profit, retardant la construction d’une identité collective et l’exploitation des potentiels de l’édifice et de sa programmation. À titre d’exemple, le concept de la station de soins n’est pas axé sur l’interaction avec son environnement. Ce constat n’est pas alarmant mais on peut en tirer une leçon.
«DasHaus» montre qu’un mélange de programmes très diversifiés est réalisable et offre de nombreuses possibilités de rencontres. Mais pour que cela perdure, les concepts d’exploitation des programmes majeurs doivent être axés sur l’échange social. Pour autant, certains modèles testés dans «DasHaus» sont des fondations sur lesquelles le Sunnige Hof peut construire les prochaines étapes de son évolution vers l’innovation en termes d’habitat et de société. L’important, dans ce contexte, reste la flexibilité et la capacité d’adaptation, deux caractères dont a déjà su faire preuve le Sunnige Hof.
Texte: François Esquivié
Première publication: Magazine de la Documentation suisse du Bâtiment 5.2021