Vivre dans une ferme

Le projet consiste en la création d’un appartement dans le rural partiellement désaffecté d’une ferme des années 1930. Les fermes fribourgeoises de cette époque, extrêmement similaires, sont toutes bâties selon un même plan archétypique implanté en fonction des vents dominants. Un grand toit unificateur abrite à la fois l’habitation et le rural. L’habitation généralement composée de deux à trois cellules distribuées par un couloir traversant occupe un des pignons tandis que le rural divisé en trois trames structurelles occupe le second. La trame centrale, appelée «fourragère», permet de traverser par le milieu pour nourrir le bétail qui encombre une ou deux des parties latérales. Cet espace dispose également d’une hauteur supplémentaire permettant d’accéder aux planchers situés au-dessus des écuries et d’y entreposer le fourrage destiné aux bovins. Dans la région de la Glâne, la fin du XIXᵉ siècle voit l’émergence de la brique comme complément ou alternative aux constructions qui était jusque là réalisée en bois, et plus rarement en pierre. Son usage se généralise particulièrement pour les murs des étables exposés aux contraintes d’humidité et d’entretien liées à la présence du bétail. La ferme concernée s’inscrit dans cette évolution, avec des écuries construites en maçonnerie de briques, témoignant de cette adaptation progressive des techniques.

L’intervention s’inscrit dans une logique de continuité, visant à valoriser les qualités spatiales préexistantes. L’appartement se développe au rez-de-chaussée sur deux trames structurelles: les espaces de jour occupent l’ancienne fourragère, bénéficiant ainsi de son volume traversant et de sa hauteur sous plafond généreuse. Les grands vitrages, placés en retrait des anciennes portes de grange transformées en volets, assurent un apport en lumière naturelle généreux tout en préservant la façade existante. Les chambres et la salle de bain, distribuées par un hall central, occupent la première écurie tandis que la seconde conserve son usage initial pour les chevaux de la propriétaire. Les espaces sous la toiture demeurent quant à eux dédiés au stockage du fourrage.

Comme les maçonneries d'origine, les nouveaux murs sont réalisés en briques de terre cuite apparentes, mais s'en distinguent par les dimensions et la texture des briques utilisées aujourd'hui, qui ont passablement évolué depuis le début du siècle. Inspirée du travail de Hans Döllgast à l’Alte Pinakothek de Munich, cette approche permet de maintenir l’édifice dans un «état complet», au sens défini par Viollet-le-Duc, sans dissimuler la rupture historique entre la première construction et l’intervention. La sélection des autres matériaux s'inscrit également dans cette logique de permanence de l'atmosphère d'origine: la chape talochée brute, qui évoque les dallages en béton des écuries de la région, et la cuisine en panneaux de coffrage, inspirée des aménagements informels fréquemment créés par les agriculteurs eux-mêmes dans les remises de la région.

Le projet de Bard Yersin Architectes a été soumis pour le Swiss Arc Award 2025 et publié par Elisa Schreiner. La version française a été revue par Estelle Gagliardi.