Crématorium Feldli, Saint-Gall

Autant en emporte le vent

Les briques sombres confèrent au crématorium Feldli de Saint-Gall la gravité et le calme qui conviennent à un tel lieu. Loin de la symbolique chrétienne, Andy Senn Architektur a conçu un lieu sacré dans lequel les personnes endeuillées de toute orientation spirituelle peuvent prendre congé de leurs défunts dans le respect de leurs rites.

Environ 17 crémations sont réalisées chaque jour au nouveau crématorium de Feldli, situé sur un carré, inutilisé jusqu’ici, du cimetière de Feldli, aménagé en 1874 largement en dehors, alors, de la zone d’habitat, dans la partie ouest de la ville de Saint-Gall. Le premier crématorium et les trois ailes du columbarium y furent édifiés en 1903 à côté d’une morgue. Le Concile Vatican II, en 1962, autorisant les incinérations également pour les catholiques, leur nombre alla croissant: en Suisse, 85 pour cent des défunts sont aujourd’hui incinérés.
Les installations techniques de l’ancien crématorium, qui avait été élargi dans les années 80 d’un bâtiment administratif, d’un four et de funérariums souterrains, étaient vétustes et ne permettaient plus, dans les édifices existants, des processus d’exploitation modernes et efficients. L’Office des bâtiments de la Ville engagea la planification du projet et, après un concours remporté par le bureau d’architectes local Andy Senn, les travaux commencèrent en 2016 à la périphérie nord ouest du cimetière.

Le nouveau bâtiment

Le nouveau bâtiment est géré par la fondation «Stiftung Krematorium St. Gallen». Les cinq à six collaborateurs disposent d’une grande expérience. Certains d’entre eux travaillaient dans le passé à quelques mètres de là seulement, dans l’ancien crématorium. Interrogés, ils se montrent tous satisfaits de leur nouveau lieu de travail, et la réponse est nette et directe: il est très bien, beaucoup plus clair, et plus grand que dans l’ancien édifice.
Cette remarque pourrait surprendre les visiteurs. Les salles auxquelles ils ont accès ne sauraient être qualifiées de claires. L’éclairage est indirect et discret, et seul un mur ajouré assure pour une part la connexion au monde extérieur. Effectivement, vu de l’extérieur, on serait tenté de dire que le bâtiment n’a pas de fenêtres. Toutefois, il n’est pas dissuasif: outre une grande façade vitrée abritant les bureaux, les accès au bâtiment sont nettement visibles: l’entrée réservée au personnel et aux livraisons se trouve sur le côté est de la façade. Le grand portail est réalisé en chêne massif et se détache bien de la brique de cette construction de deux étages. Au contraire de l’ancien site, il y a plus de place désormais, devant la façade ouest, pour les arrivées et le parking.


Le travail

Les pompes funèbres ont accès 24h/24 au bâtiment pour mettre les corps en cellule réfrigérante ou les préparer, si nécessaire, pour une mise en bière en cercueil, dans une salle correspondante. Le travail est ensuite assumé par le personnel du crématorium, qui, au bout de 48 heures au plus tôt, amènent les corps dans la salle de recueillement, où est préparée la crémation. Cette grande salle est orientée, sur la façade est, vers le cimetière, et les fenêtres, aménagées sur toute la hauteur du mur, sont bien abritées par un mur ajouré, qui filtre la lumière et protège des regards. Ici, les cercueils et leur contenu sont contrôlés selon un processus presque solennel, et munis d’une brique réfractaire numérotée, qui restera plus tard intacte dans le four, avec les ossements. Tout ceci a parfois lieu en présence des proches. L’éclairage de la salle peut être abaissé, et un accompagnement musical est possible. La cérémonie s’achève lorsque le cercueil est entré dans le four incandescent et que les proches ont pu prendre congé.
La crémation dure 90 minutes, pendant lesquelles le travail se poursuit en coulisse. Dans la salle à deux étages abritant le four, les températures sont extrêmement élevées. Cette salle dispose de plusieurs impostes. Dans la salle des déchets située sous la salle de recueillement, la lumière tombe largement sur les établis, par un ruban de fenêtres. À l’est, le terrain est légèrement en pente, de sorte que le rez-de-chaussée semble planer au-dessus de la façade en retrait du sous-sol.

Le deuil

Une colonnade mène les visiteurs et les proches du parking à l’entrée du public du côté sud. Ils sont accueillis par une équipe qui les accompagne avec sensibilité soit dans l’un des funérariums, situés directement à côté de l’entrée, soit dans la salle de recueillement, où ont lieu les préparatifs pour la crémation. Le besoin d’avoir part à cet acte est de plus en plus fréquent. La cérémonie, à laquelle il est possible d’assister, n’est pas de nature religieuse. Certes, la haute cheminée confère à l’édifice, de loin déjà, un caractère un peu sacré, car ses proportions lui donnent plutôt l’aspect d’une tour. Toutefois, le bâtiment répond également aux attentes de croyants de religions non chrétiennes.
Considérée de plus près, c’est enfin la façade de briques qui évoque l’acte de transformation qui aura lieu par le feu, et qui, par les associations qu’elle suggère, recentre également le spectateur. Le poids, la gravité, ressentis, lors d’un enterrement, lorsque la dépouille est abaissée dans la tombe, peut aider les proches en deuil à prendre congé. Cet acte manquant lors de l’inhumation d’une urne funéraire ou lorsque les cendres sont emportées par le vent, les personnes en deuil ont besoin d’un soutien. 177’000 briques ont été utilisées pour le nouveau crématorium de Feldli.
Les briques brunes du mur à deux coques ont été laissées consciemment visibles de l’intérieur également. Le sol en terrazzo, cependant, est clair, en granito jura gris, repris pour une part sous forme de bancs devant la façade vitrée. L’inébranlable chêne est mis en œuvre pour les cadres de fenêtre et le mobilier de la réception. Ces matériaux, laissés à l’état naturel, et les plafonds, plâtrés d’argile, doivent conférer aux salles destinées au public une atmosphère de calme et de sécurité. Un autre matériau, le laiton, sait créer, de plus, une ambiance sacrée et empreinte de respect et d’estime. Il est utilisé à maints endroits, créant à chaque fois un effet différent: froid et pourtant doux au toucher dans les ferrures; brossé, doré et clair dans l’élément de plafond de la salle de prière; dans la salle de recueillement, les portes des fours sont réalisées en laiton bruni, changeant de couleur au fil du temps.

Andy Senn, Andy Senn Architects, aux fenêtres en chêne:
«A la différence de la pierre, les fenêtres en chêne huilé absorbent les influences extérieures, elles vieillissent et varient en fonction de l’exposition.»

Andy Senn, Andy Senn Architekten, sur le revêtement en terrazzo:
«Le sol léger et clair de même que le plafond lumineux accompagnent le visiteur le long des sombres parois en briques. Le sol en terrazzo permet de répondre à toutes les exigences en matière de représentation et de contraintes mécaniques comme par exemple dans la salle dédiée au culte.»

Texte: Claudia Frigo Mallien

Première publication: Magazine de la Documentation suisse du Bâtiment 2020 - 1