Résidence pour personnes âgées Waffenplatzstrasse
,
Suisse
Publié le 14 janvier 2025
Loeliger Strub Architektur GmbH
Participation au Swiss Arc Award 2025
Données du projet
Données de base
Description
Avant de construire un nouveau bâtiment de 18 logements pour la Fondation Walder, les architectes de Loeliger Strub ont porté beaucoup d’attention aux besoins des habitant·e·s et à ce site du quartier Enge à Zurich. Malgré leur compacité, les appartements dégagent une impression de confort et de joie de vivre. Le mérite en revient à des détails raffinés, des couleurs vives et des plans mûrement réfléchis.
Le quartier zurichois d’Enge, littéralement «étroit» en français, porte bien son nom: il s’agit d’une longue zone résidentielle s’étirant entre une moraine imposante (sur laquelle trône en particulier le musée Rietberg) et une autre parallèle à la rivière Sihl, plus discrète et basse. Rivière, infrastructures urbaines et voiries y sont densément juxtaposées, voire superposées. Alors qu’elle modifie actuellement le paysage urbain presque partout à Zurich, la gentrification est à peine visible à Enge. Les immeubles d’habitation alignés le long des axes parallèles de la Waffenplatzstrasse et de la Rieterstrasse datent majoritairement de la Belle Époque et marquent le visage urbain du quartier. On dénombre parmi eux quelques coopératives de logements dont bon nombre d’immeubles font l’objet de rénovations, et heureusement pas de démolitions. Enge ne compte logiquement que peu de constructions de remplacement, du moins si on le compare au quartier voisin de Wollishofen. Un immeuble se détache en particulier. Il abrite 17 appartements pour personnes âgées et une colocation, des locaux communs, des ateliers et des locaux commerciaux. Il s’agit d’une construction remarquable à plus d’un titre, qui mérite d’être présentée plus en détail.
Prémices favorables
Maître d’ouvrage du projet, la fondation Walder œuvre en faveur «du bien-vivre et de l’habitat des personnes âgées». Le terrain destiné à la construction de logements adaptés aux aîné·e·s lui a été légué par un couple. Le contexte est idéal: quartier attractif et central, proche des transports publics et profitant de la proximité du centre commercial Sihl City et de l’Allmend, la zone de loisirs locale. En confiant son projet à Barbara Strub et Marc Loeliger, la fondation a en outre fait confiance à des architectes reconnus pour leurs approches innovantes, leur capacité à proposer des matérialités sortant de l’ordinaire, et pour le soin apporté aux détails architecturaux marquant façades et intérieurs. Leurs projets mettent toujours l’accent sur l’imbrication de moments créateurs d’identité et du dialogue avec l’environnement d’une part, et sur les attentes en termes d’usage et de narration d’autre part. Last but not least, bien que très raffinés, les différents détails d’aménagement ne sont pas ornementaux mais représentent des plus-values fonctionnelles à plusieurs égards.
Couleurs vivantes
Pour l’immeuble de la Waffenplatzstrasse, les architectes ont cherché à établir un dialogue avec le caractère du lieu. Respectant la granulométrie lâche des îlots à cours bâties du voisinage, la nouvelle construction se compose d’une partie représentative avec pignon sur rue, et d’une autre plus perméable dans la cour. Le volume est coiffé d’un toit inspiré de la forme des toitures environnantes. Ce qui en revanche le distingue des constructions avoisinantes – majoritairement des immeubles de logement, mais aussi une ancienne usine en briques – ce sont ses couleurs très affirmées, à l’image des balustrades en tôle ondulée bleu azur côté cour, ou des cadres de fenêtres toute hauteur et des fenêtres en bande peints dans la même teinte à l’extérieur et à l’intérieur. Les stores à projection orange, suspendus dans l’espace ouvert de la cour, apportent un contraste enjoué, alors que des panneaux de façade blancs en fibro-ciment cadrent l’ensemble. L’immeuble est une construction hybride qui associe béton pour le noyau de circulation verticale et bois pour le reste, ce qui n’est pas visible au premier coup d’œil en raison de la façade ventilée. Malgré les couleurs vives et la tectonique très travaillée de la façade, l’immeuble ne donne pas l’impression de dominer ses voisins. Bien au contraire, il apporte un vent de fraîcheur et de couleur naturelle et joyeuse: une plus-value pour le quartier sur ce tronçon de rue. Mais tout le monde n’est pas de cet avis, car la maison polarise beaucoup de commentaires dans le quartier.
La cuisine comme transition
Alors que l’horizontalité structure les façades de la partie sur cour, la verticalité marque celles de la partie donnant sur rue. Cette dernière est marquée par des volumes très transparents qui s’avancent vers la rue. Les directives liées aux nuisances sonores générées par le trafic motorisé pour le logement sont drastiques, et il est plutôt inhabituel d’aménager des fenêtres toute hauteur côté rue. Mais ces bow-windows ne sont pas seulement des espaces de vie comme c’était encore le cas dans les maisons urbaines des années 1900, ils intègrent aussi des cuisines compactes et réduites au strict nécessaire. Les habitant·e·s y bénéficient d’une vue ouverte sur l’espace de la rue et sont ainsi au cœur de l’activité du quartier. En même temps, les cuisines forment une couche spatiale «protectrice», une zone tampon pour les salles à manger, les séjours et les chambres à coucher situés en retrait. Le peintre américain Edward Hopper a inspiré les architectes. Il observe dans ses œuvres des personnes dans des moments intimes, à travers des ouvertures et des bow-windows qui sont la frontière entre un intérieur vulnérable et le monde extérieur. Mais si l’intérieur des appartements donnant sur la rue est marqué par un sentiment d’intimité et de calme, c’est aussi grâce aux prescriptions strictes en matière de protection contre le bruit. Le triple vitrage est si efficace que le bruit de la rue n’y pénètre pas ou presque. Qui plus est, la Waffenplatzstrasse est une zone 30 depuis quelques années.
Salle commune et «orangerie» sur le toit
On accède à l’entrée principale de l’immeuble par l’ancien portail en fer forgé qui ouvre sur le pavage d’un parvis accueillant et couvert par un avant-toit en acier et verre d’allure industrielle. Au rez-de-chaussée se trouve en outre une grande salle commune et libre d’usage, dont le choix de l’affectation a été laissé aux habitant·e·s: café, espace de coworking ou bibliothèque, les idées ne manquent pas. Tous les vendredis, une personne de la fondation vient sur place, jouant un peu le rôle d’un concierge prêt à répondre aux questions, aux demandes ou simplement à discuter. Sur le toit, une autre salle commune équipée d’une cuisine profite d’une grande terrasse offrant une vue sur les toits du quartier et un charme urbain tout particulier. Fondation et architectes étaient unanimes: il était important que l’attique ne soit pas réservé à un habitat exclusif et reste accessible à tout·e·s les résident·e·s.
Les plafonds en bois lamellé-collé et les poutres peintes en bleu dans la salle commune sont les indices les plus évidents d’une construction en bois. Le noyau en béton qui assure la circulation verticale de l’immeuble est aussi la colonne vertébrale des deux parties de l’immeuble dont les formes différentes convoquent l’image de faux siamois. De part et d’autre de l’escalier à volées doubles, des vides permettent à la lumière de pénétrer jusqu’au rez-de-chaussée qui en devient plus animé et invite à s’y arrêter comme en témoigne la présence d’un banc. Aux étages supérieurs, les logements sont superposés en split-level de part et d’autre de la cage d’escalier qui réserve un certain nombre de détails raffinés, typiques du travail des architectes. Le calepinage du sol en béton terrazzo adopte une géométrie triangulaire – on pense à un origami – qui est miroitée dans le coffrage des sous-faces des planchers, ou reprise pour la signalétique. Quant aux mains courantes et aux balustrades laquées en blanc, elles convoquent à l’intérieur un thème déjà présent en façade.
Couches spatiales et enfilades
Des appartements de petite taille ont été conçu afin de respecter les directives du maître d’ouvrage. Un défi en soi, pour
lequel les architectes ont développé diverses solutions architecturales, spatiales et d’aménagement. Les logements côté rue ont une surface habitable nette – exception faite de l’appartement du premier étage – de 52 mètres carrés, et de 58 pour la partie du bâtiment côté cour. Ces chiffres expliquent le fait que la fondation n’ai reçu qu’une seule postulation émanant d’un couple pour l’un des appartements de trois pièces; les autres l’ont été par des personnes seules, explique Caroline Desiderio, directrice de la Fondation Walder. Pour offrir un confort d’habitation aussi élevé que possible malgré le nombre réduit de mètres carrés, Loeliger Strub ont mis en place des enfilades séquencées par de larges portes battantes permettant le passage d’un fauteuil roulant. Fait inhabituel et notable, ces séquences spatiales ne relient pas en premier lieu les pièces à vivre et les chambres à coucher, mais intègrent les salles de bains pour les faire communiquer avec les séjours. Ces dernières ont été intercalées entre les séjours et les chambres à coucher, créant une couche spatiale supplémentaire qui donne la possibilité de prolonger les pièces attenantes: portes fermées, les salles de bains sont des pièces en soi; une fois ouvertes, les portes soustraient au regard les lavabos d’un côté et les douches de l’autre et libère un passage large. Des hublots sont intégrés dans les murs des douches à l’italienne, rappelant un élément déjà aperçu dans les entrées des appartements et qui est une marque de fabrique chez Loeliger Strub.
Les couleurs vives sont aussi présentes à l’intérieur, mises en valeur par le gris d’une chape anhydrite qui contraste avec le bleu de l’intérieur des fenêtres et les façades rouges des cuisines. De l’extérieur comme de l’intérieur, l’immeuble dégage une identité forte et une certaine homogénéité. Pour «agrandir» visuellement les logements, les architectes ont eu recours à des miroirs placés à des endroits bien précis. Les crédences des cuisines reflètent ainsi l’extérieur, ce qui a pour mérite d’agrandir considérablement le séjour-salle à manger. Les poutres en bois de la partie de l’immeuble côté rue ont également été dotées de miroirs pour créer une impression de légèreté. L’embrasure des fenêtres des appartements de la maison côté cour est un autre exemple de cette opération de dilatation spatiale par miroitement. Grâce aux fenêtres à charnières extérieures, les tablettes peuvent être utilisées de manière décorative ou fonctionnelle. Si cette panoplie d’idées intelligentes est mise au service de la qualité de vie, elle nécessite parfois un peu de temps avant d’être adoptée, comme en témoigne une locatrice qui relevait l’effet éblouissant des miroirs.
Les matériaux utilisés pour les appartements côté rue et côté cour sont en grande partie identiques. En partie seulement, puisque les plafonds des logements sont laissés brut d’un côté et peints en blanc de l’autre. Un détail qui illustre le fait que Loeliger Strub ne sont pas adeptes du standard; chaque mètre carré, chaque élément architectural de leurs projets fait l’objet d’une attention particulière et minutieuse. Leurs nombreuses idées révèlent tout autant une connaissance approfondie qu’un intérêt pour l’expérimentation. Dans leur architecture, petits et grands moments sont mis sur un pied d’égalité et bénéficient du même degré d’attention.
Le texte a été rédigé par Marcel Hodel et publié pour la première fois dans Arc Mag 2025–1. La traduction en français a été revue par François Esquivié. Commandez votre exemplaire sous: swiss-arc.ch/services/commander-le-magazine