Transformation de halles de machines à papier en logements

 
6330 Cham,
Suisse

Publié le 23 mai 2023
Boltshauser Architekten AG

Les échafaudages ont entre-temps laissé place à une passerelle qui permet de découvrir l’espace fluvial. Lorsque cela s’est avéré nécessaire, de nouveaux éléments ont été insérés dans la façade et leurs matériaux se sont  inspirés de l’existant. La nouvelle centrale hydroélectrique est également l’œuvre des architectes de Boltshauser. Elle devrait fournir 50 pour cent de l’électricité nécessaire sur le site. Des escaliers ont été aménagés  pour les poissons et les castors. Côté ouest, la création d’une loggia sur toute la longueur fait office de tampon climatique. Cette solution a permis de conserver les fenêtres aux profils fins ou de ne les remplacer que ponctuellement. Dans les derniers étages des appartements des anciennes halles à papier 1, 2 et 4, les pièces sont éclairées par des nouveaux toits en shed.  Le travail en coupe fait par  les architectes pour les espaces de grande hauteur est empreint de créativité: salle à manger, chambre à coucher et chambre des enfants allient espace sur double-hauteur et galeries accessibles par escaliers. Comme les nouveaux  murs sont souvent placés  à côté de la structure primaire existante, celle-ci reste visible ou prend même un caractère sculptural à quelques endroits. La Kesselhausplatz et son grand escalier  se trouvent au cœur du quartier.

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Fabrikstrasse 5, 6330 Cham, Suisse
Catégorie de projet
Type de bâtiment
Achèvement
01.2023

Données du bâtiment selon SIA 416

Surface de plancher
14'932 m²
Coûts de construction (BKP 2)
35,0 mio. CHF

Description

Un quartier à la place du papier

À Cham, l’ancienne usine à papier fait sa mue pour devenir un nouveau quartier, un processus que Boltshauser Architekten accompagnent avec la transformation de plusieurs halles de production en logements. L’interprétation sensible de l’architecture industrielle leur a permis
d’en conserver l’expression tout en faisant évoluer le lieu.


Un bâtiment témoigne de l’époque à laquelle il a été construit, il en porte également les valeurs économiques, sociales et culturelles. Une destruction ne représente bien souvent pas qu’un gaspillage d’énergie grise et de matériaux, mais aussi la perte d’importants témoins architecturaux d’un temps plus ou moins lointain. Les édifices de l’ancienne usine à papier de Cham sont eux aussi un patrimoine culturel de grande valeur. Situés au centre de la petite localité des rives du lac de Zoug, ils en ont été pendant plus de 350 ans le visage urbain et le poumon économique. À l’automne 2016, suite à une délocalisation de la production en Italie, la Cham Paper Group Holding AG ont néanmoins décidé de transformer le périmètre de douze hectares en une zone d’affectations mixtes. En l’espace de quinze ans, un quartier «urbain et vivant» accueillant 2000 habitant·e·s et près de 1000 emplois devait voir le jour sur un site ayant connu un développement continu plusieurs siècles durant. Après avoir élaboré un plan directeur, Boltshauser Architekten et Albi Nussbaumer Architekten ont déposé en 2016 un plan de quartier prévoyant de conserver les bâtiments marquants et de les compléter par de nouveaux, redéfinissant de fait l’ordonnancement urbain tel qu’il est aujourd’hui. En 2018, Boltshauser Architekten ont également remporté le concours pour la rénovation et la réaffectation des anciennes halles abritant les machines à papier en logements et activités commerciales. Les travaux sont achevés depuis quelques semaines et la grande qualité de la transformation mérite que l’on s’y attarde.

Adhésion à l'histoire
L’entreprise de construction suisse Locher & Cie a posé en 1913 la première pierre du bâtiment connu sous le nom de «Holländerbau» (PM 3), suivi jusqu’en 1943 par une série de constructions accolées abritant les machines à papier (PM 1, 2 et 4) le long de la Lorze. Avec le «Kalanderbau» à la pointe sud de la parcelle, l’ensemble constitue la pièce maîtresse et incarne l’histoire industrielle du Papieri-Areal. La nouvelle barre de Galli Rudolf Architekten et les halles inventoriées au classement patrimonial définissent une longue ruelle qui débouche au nord sur une place. La spatialité de cette venelle est rythmée par les différentes façades.Entre les différents volumes, de larges respirations relient le site avec les rives de la Lorze, désormais accessibles grâce à une passerelle qui en permet la découverte et offre une nouvelle perspective sur ce site industriel historique. Elle part de la Fabrikstrasse, longe le Kalanderbau et les anciennes halles des machines à papier, traverse une loggia et arrive à la Trafoplatz. Ce faisant, elle passe également devant une centrale hydroélectrique récemment construite.

Échos techtoniques
En plus de surfaces pour la vente au détail, l’artisanat et des activités tertiaires au rez-de-chaussée, l’ensemble abrite désormais des ateliers et 52 appartements en copropriété (duplex, appartements-ateliers et studios). Les anciennes halles des machines à papier reposent sur différents principes de composition, ce dont témoignent notamment les entre-axes des poteaux et des poutres, ou encore les différentes hauteurs sous plafond. Boltshauser Architekten ont, par analogie avec ces adjonctions, développé une stratégie propre à chaque partie. Les nombreuses modifications architecturales effectuées au cours du temps ayant effacé la clarté originelle des bâtiments, l’intérieur a été épuré jusqu’à ce que la substance porteuse soit de nouveau visible. Les architectes ont cherché à conserver les caractéristiques de l’architecture industrielle – fonctionnalité, efficacité et robustesse –comme le témoignent les façades dont l’ossature marquante en béton armé remplie de briques en ciment est encore visible. Les espaces de grande hauteur et les dalles massives, conçus pour accueillir des machines et des charges lourdes, ou encore la variété des grandes fenêtres aux cadres en bois, plastique et aluminium – un mélange résultant d’une accumulation au fil des années – sont d’autres traits architecturaux particuliers de la substance existante mis en valeur. Le projet de transformation a notamment consisté à trouver un langage matériel homogène, à l’image du remplacement des fenêtres historiquement importantes par des cadres analogues aux existants. Les percements ou éléments de façade ajoutés ont été formulés en dialogue avec l’existant. Et de fait, ces nouvelles insertions ne produisent pas l’image de reconstructions, mais d’une couche supplémentaire ajoutée à une façade en constante transformation. Si la façade côté fleuve a quasiment conservé l’apparence qu’elle avait lorsque le bâtiment servait de lieu de production, des remaniements conséquents marquent celle donnant sur la ruelle. «Les modifications permanentes subies par cette façade en font une sorte de patchwork qui permet de lire les différentes interventions. Nous avons délibérément renoncé à ramener la façade à un état historique idéalisé et n’ayant jamais existé», explique au cours d’un entretien Fabian Gmür, architecte associé chez Boltshauser Architekten. Sur la façade orientée à l’ouest, l’ajout d’une couche continue de loggias aux étages a permis de créer un tampon climatique qui évite de soumettre la peau «historique» à des exigences en matière de physique du bâtiment, et a permis de recourir à des fenêtres non-isolées avec des profilés en acier minces ressemblant aux modèles historiques.

Stratégies individualisées
Aux trois étages du Holländerbau, les parties en briques de verre translucides de la façade ouest ont été remplacées par des surfaces claires et complétées par des alignements de fenêtres coulissantes pliantes. L’augmentation de la part des percements permet de répondre à la nouvelle vocation domestique du bâtiment qui abrite des duplex. Côté est, la répartition des fenêtres reprend celle de l’existant et la complète. La façade de la partie surélevée du bâtiment résulte d’une réinterprétation et se distingue du caractère reconstruit du reste de l’ensemble. Les fenêtres y sont articulées en trois vantaux couronnés d’une imposte en briques de verre, le tout encadré par une structure en profilés acier. Dans la ruelle, comme pour les autres parties du bâtiment (PM 1-2 et PM 4), la façade du rez-de-chaussée a été réinterprétée. Le placement des nouvelles portes répond aux différentes affectations. De nouveaux noyaux mènent aux appartements des étages supérieurs qui profitent de larges ouvertures soulignées par des profilés en acier. Les grands vitrages de la façade ouest ont été remplacés par de nouveaux dont les vantaux sont divisés en six cadres, par analogie avec les fenêtres plus anciennes du bâtiment adjacent. Devenue bâtiment de tête et nouvellement orientée vers la Trafoplatz suite à la démolition d’une halle entre les bâtiments PM4 et PM 5, l’extrémité de la halle PM 4 a été reconfigurée et sa façade nord en partie démolie et reconstruite. Les mêmes éléments de conception (ossature en béton et remplissage en briques de ciment) que pour les bâtiments existants ont été utilisés, au détail près que la nouvelle façade est habillée d’une double peau. Les grandes fenêtres du premier et du deuxième sont structurées en triptyque, et séparées les unes des autres par un profilé acier et une allège en briques de verre.

Jeu de matériaux
Le choix d’une protection solaire simple –des stores textile montés avec système ZIP – permet d’intégrer discrètement les éléments dans la façade tout en indiquant de manière subtile la transformation du bâtiment industriel en immeuble d’habitation. Les dimensions des piliers, la structure primaire et secondaire des plafonds ainsi que les décalages existants entre les étages sont mis à profit pour créer de nouvelles spatialités surprenantes. Le nouveau cloisonnement spatial a pour ce faire été détaché de la structure porteuse d’origine, ce qui a facilité l’aménagement de lofts aussi bien que d’appartements plus conventionnels. La mise en œuvre de matériaux simples, laissés délibérément bruts, permet d’une part aux acquéreurs d’ajouter à volonté des couches supplémentaires, et transpose par métaphore le passé industriel du lieu dans les appartements. Les cloisonnements en briques apparentes et les sols en béton soulignent visuellement la massivité du bâtiment à l’échelle du logement, tout en dialoguant avec les plafonds historiques hourdis en terre cuite. On retrouve le béton et les briques de terre cuite dans les vestibules, alors que les briques de verre, éléments marquants des façades, sont utilisées dans les loggias et les salles de bain. Élément architectural ludique, ces dernières renforcent l’identité du bâtiment et l’allègent en même temps. La sous-face nervurée des dalles, détail inhabituel dans le registre du logement, crée des dispositions spatiales singulières, notamment dans les appartements traversants est-ouest. En choisissant de travailler avec une palette réduite de couleurs et de matériaux, mais aussi en créant des types variés et simples à meubler, les architectes rendent hommage à l’ancienne affectation industrielle jusqu’au cœur des logements. De l’interaction entre tous ces éléments résulte une image cohérente, parente de l’expression historique d’un lieu dont l’affectation a pourtant été fondamentalement modifié. La stratégie architecturale endogène adoptée par les architectes puise dans les qualités intrinsèques du bâti existant et développe ses potentiels, pour finalement offrir une architecture adaptée à la nouvelle affectation. Discrète et délicate, cette régénération met en place un langage formel qui ne porte atteinte ni à la forte identité, ni à la force du bâtiment, tout en cherchant à le respecter et le préserver en laissant son histoire – mouvementée – bien visible. Avec une transformation préservant le charme et l’identité architectural de l’existant, Boltshauser Architekten réussissent une synthèse entre passé et avenir. Née du lieu et de son histoire, la nouvelle création, vivante, reconduit autant qu’elle interprète la situation de l’édifice au sein du site.

Texte: Nina Farhumand

Première publication: Arc Mag 3.2023
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