Studio DIAs Stromboli formule des invitations à la cohabitation
Comment, dans un immeuble de logement collectif, l’architecture peut-elle encourager l’interaction tout en conservant la juste dose de privacité? Studio DIA et la société anonyme à vocation sociale NPG SA se sont penchés sur cette question dans le cadre du projet Stromboli, à Berne. Leurs réponses s’appuient sur un concept de cheminement mûrement réfléchi que complètent des espaces extérieurs organisés intelligemment, et c’est convaincant.
Texte: Marcel Hodel

Un lettrage et une marquise filigrane tendue entre les potelets des balcons marquent l’entrée de l’immeuble côté cour, au nord. | Photo: Daisuke Hirabayashi
Depuis 2012, les planifications et les constructions vont bon train sur le site de l’ancienne usine d’incinération des ordures ménagères Warmbächli, à proximité du Inselspital à Berne. Le Masterplan signé par les architectes de BHSF et Christian Salewski, baptisé «Holliger», prévoit six bâtiments regroupés autour d’une grande cour commune que se partage le public-cible mixte de l’ensemble. Les tailles et les formes sont inspirées des (anciens) bâtiments industriels du site et des environs. Un huitième de la surface totale est en outre consacré à des places de travail et à différentes activités commerciales.
Studio DIA a remporté le concours pour l’îlot U2 au sud-ouest du site en 2019, avec un projet baptisé Stromboli composé d’une petite «tour» de huit étages et d’un volume allongé en comptant cinq.
Maître d’ouvrage du projet, NPG SA porte des projets synonymes de construction durable, de processus participatif et d’utilité publique. Le programme comprend donc une bibliothèque, un jardin d’enfants et différents espaces extérieurs à usage collectif , en plus de 47 logements pouvant accueillir jusqu’à 150 personnes. Les types de logements répondent aux attentes de NPG: vivre ensemble de la manière la plus sociale, économique et écologique possible. Les architectes étaient donc invité·e·s à imaginer non pas un simple immeuble, mais une communauté d’habitant·e·s. Aucune place de parking n’a été prévue et, avec une consommation de surface de 35 mètres carrés en moyenne par personne, l’immeuble contribue à la densification urbaine en Suisse. L’obtention du label Minergie-P-Eco témoigne en outre d’un très bon bilan écologique.

Coupe | Plan: Studio DIA, Bern
Structure résiliente
Pour Studio DIA, la durabilité sociale est synonyme d’une structure de bâtiment permettant dans le futur des adaptations permettant de nouvelles formes d’habitat. Les architectes ont organisé les logements en trois types qui sont d’une manière ou d’une autre connectés aux espaces extérieurs et de circulation au caractère semi-publics. Le volume haut abrite des logements occupant les quatre angles du volume, et tous profitent d’un balcon. Malgré l’importante profondeur induite par la surface de 18 par 20 mètres, les logements paraissent ouverts et clairs. Leur organisation n’a rien de spectaculaire à première vue. Mais à bien y regarder, une particularité finit par sauter aux yeux: les corridors de deux appartements n’en font qu’un et sont séparés par une simple cloison légère. Il est ainsi possible de les réunir sans grand effort. Conséquence: deux logements aux tailles et à l’organisation typiques du 20ème siècle peuvent devenir une seule grande unité offrant la possibilité d’explorer de nouvelles formes de travail et d’habitat. Un logement tel serait alors pourvu de deux cuisines et de deux balcons offrant aux résident-es la possibilité de bénéficier en même temps d’espaces extérieurs au soleil et à l’ombre. Peut-être cette option conviendra-t-elle un jour à une grande colocation ou à deux familles amies souhaitant se partager la garde et l’éducation des enfants? Une astuce qui, selon les architectes, permet d’anticiper spatialement une éventuelle évolution de la société.
Ce concept est aussi appliqué dans le deuxième volume. En plus de duplex qui permettent de négocier une différence de hauteur de terrain de près de quatre mètres, le volume étiré abrite en plus quinze logements traversants donnant sur la cour au nord-est, et sur des jardins collectifs au sud-ouest. Les cinq logements à chaque étage ont tous été cloisonnés avec le même principe de cloisons légères, permettant ainsi la création de très grandes unités. C’est d’ailleurs le cas à l’un des étages qui accueille une communauté de dix personnes. À l’instar du volcan qui a donné son nom au projet, les espaces communs libres d’utilisation s’agglutinent et se séparent tel un magma liquide, entourent des chambres disséminées et s’ouvrent à plusieurs endroits sur des espaces extérieurs semi-publics.

Les balcons apportent de la vie à la façade et dynamisent l'ensemble. | Photo: Daisuke Hirabayashi
Des espaces enclins à la diffusion
La proportion entre les espaces privées et les parties publiques a partout fait l’objet d’un équilibre et d’une différenciation attentives. Comprenant que le flux de lave métaphorique de la communauté d’habitant·e·s devait être filtré vers l’espace public urbain, les architectes ont développé des éléments qui, tels des membranes, délimitent les cercles sociaux que représentent la ville, la communauté d’habitant·e·s et celle du logement, tout en permettant ou en encourageant la perméabilité entre eux.
Ils ont ainsi proposé une grande coursive longeant tout l’immeuble et débouchant sur le Warmbächliweg. Elle sert de filtre entre public et privé. On y accède depuis le niveau de la rue par un escalier qui se prolonge et se révèle être une deuxième distribution verticale, en plus de la cage d’escalier intérieure de la tour. En conjuguant la profondeur de la coursive et une partie en saillie à son extrémité, les architectes ont créé des plates-formes généreuses qui sont plus que de simples zones de circulation et invitent à s’y arrêter le temps d’une discussion ou d’une rencontre entre voisin·e·s.
Dans le volume bas allongé, la zone d’entrée de chaque unité d’habitation est habilement orientée en direction du portique et offre un dégagement bienvenu avant d’entrer dans les grands espaces de vie. Et même si l’on peut voir à l’intérieur des logements depuis la coursive, le flux de circulation est ralenti par la géométrie particulière des entrées et par les découpes trapézoïdales de la dalle qui atténuent le vis-à-vis et permettent à la lumière de pénétrer dans les chambres. Ces percées verticales seront un jour recouvertes de plantes et constitueront ainsi un filtre supplémentaire, dans un esprit de jardin vertical.

Les espaces de distribution et la buanderie commune ont été conçus comme des spatialités à part entière qui invitent à la rencontre. | Photo: Daisuke Hirabayashi
Composition chromatique vibrante
Chaque façade propose un visage différent et est calibré sur l’espace urbain adjacent. Trois d’entre elles sont animées par des bandes en métal qui rassemblent deux étages et atténuent visuellement l’échelle du grand volume. Côté cour, ces bandes se détachent de la façade pour former des balcons. Tous ces éléments en acier jaune dialoguent avec les plaques de fibrociment ondulées vert pâle et les cadres de fenêtres en aluminium anodisé incolore qui scintillent au soleil. Les fenêtres bois-métal sont fixées sur l’ossature bois de la façade qui reste invisible, créant une peau à la surface homogène. Tel un rideau fin, celle-ci enveloppe le bâtiment qui apparaît moins imposant qu’il ne l’est en réalité. Contrastant avec les tons pâles de jaune et de vert, le rouge intense des stores à projection et des stores verticaux donne à la façade son ton chaud. Le soin apporté à la sélection des matériaux et l’amour du détail dont témoigne la tectonique des façades sont pour beaucoup dans la cohérence de l’ensemble.Et la jovialité des couleurs en façade se poursuit dans la cage d’escalier de la petite tour: déployés ludiquement, les cadres jaunes des garde-corps et les cloisons légères rose saumon qui marquent les entrées des logements adoucissent l’aspect brut du béton apparent, alors que les mains courantes ajoutent la chaleur du bois à l’atmosphère du noyau de circulation verticale. Le jeu des évidements dans les dalles de la coursive se poursuit aussi dans la cage d’escalier pour y former à chaque étage une petite galerie qu’orneront bientôt des plantes grimpantes. Intérieur et extérieur s’imbriquent ainsi dans une composition spatiale aussi raffinée que complexe. Les matériaux mis en œuvre dans les logements, où prédominent les tons gris et blancs, se font discrets. On a souhaité y mettre en avant la qualité spatiale et seules les cuisines de couleur pastel reprennent le motif de la couleur utilisé pour les façades et les espaces de circulation.

Grâce à des détails soignés et ses couleurs chaleureuses, la coursive est un lieu de distribution et de détente, mais aussi le visage du bâtiment. | Photo: Daisuke Hirabayashi
Insularité?
Stromboli séduit tout autant pour son offre de logements diversifiée et adaptable, que pour sa collection d’espaces à caractère semi-public, il ne parvient toutefois pas à réellement créer une cour avec ses acolytes du quartier Holliger. Un jardin communautaire convivial, créé et aménagé par les habitant·e·s, accueille le visiteur qui arrive depuis l’arrêt de bus situé près du Warmbächliweg. C’est un point de rencontre central pour la communauté de l’immeuble, qui plus est côté ensoleillé. Un escalier métallique soigneusement détaillé invite à rejoindre le niveau de la coursive semi-publique. On trouve aussi de ce côté l’accès au garage à vélos, important pour cette coopérative sans voitures, et l’entrée de la bibliothèque. Ce faisant, l’adresse principale du bâtiment ne se trouve pas côté cour, mais côté rue. Cela ne signifie pas pour autant que le bâtiment tourne le dos au petit parc, puisque la cage d’escalier s’y ouvre avec un foyer et un avant-toit. Mais, trop filigrane, l’appel timide ne semble pas en mesure de rivaliser avec la façade et sa polychromie marquée. Et l’on en vient presque à regretter que les gestes architecturaux généreux côté rue n’ont pas été reproduits côté cour. Les habitant-es des duplex sont les plus susceptibles de s’approprier celle-ci puisque les unités mitoyennes profitent d’un accès plain-pied et que leurs cuisines y sont orientées. Mais cela suffira-t-il à animer la cour? Une plus grande perméabilité du bâtiment l’aurait certainement assuré, en créant par exemple un espace commun reliant à la fois les deux côtés et les deux niveaux du terrain. Les habitant-es du quartier Holliger se partagent bien quelques espaces, mais ceux-ci sont presque exclusivement placés dans le bâtiment Holligerhof 8 (conçu par BHSF / parcelle O2) de la coopérative Warmbächli. Les répartir de manière cohérente entre les différents bâtiments aurait en ce sens été plus intéressant.
Première publication dans Arc Mag 2025–1. La traduction en français a été revue par François Esquivié.
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