Une scène pour la vie urbaine – experimentation au Koch-Park et à la Kohlenhalle à Zurich

Publié le 17 décembre 2025 par
Christina Horisberger

Les logements et surfaces commerciales du Koch Areal accueilleront d’ici quelques mois leurs premier·ère·s occupant·e·s. En attendant, son parc est déjà ouvert au public. L’ensemble se distingue par son caractère expérimental en matière de construction durable et d’habitat contemporain. Le parc est également exemplaire à bien des égards: une ancienne halle industrielle transformée en un espace couvert mais ouvert invite les utilisateur·rice·s à s’approprier les lieux. Et malgré sa relative petite taille, le parc offre en même temps des niches pour les plantes, les animaux et les champignons.

Photo: Valentin Jeck

Photo: Valentin Jeck

Photo: Valentin Jeck

La fraîcheur de cette journée d’automne n’a pas empêché certaines personnes, seules ou en petits groupes, de s’asseoir à midi sous la toiture emblématique de l’ancien dépôt à charbon du Koch Areal. L’immense halle reconvertie dote Zurich d’une place publique couverte de taille encore inégalée, et d’un lieu unique. Les grands cercles et demi-cercles dessinés dans la toiture par le remplacement de tuiles par des tuiles en verre laissent passer la lumière crue de la mi-journée. «KOHLEN KOCH HEIZOEL» (charbon Koch mazout), les lettres qui trônent sur le faîte de la toiture rappellent d’une part le passé industriel d’un site qui, à partir des années 1920, servait au stockage de combustibles, et d’autre part la décennie de squat pacifique débutée en 2013. À l’exception du K de KOCH, les lettres sont d’origine et ont été restaurées. Elles ont non seulement inspiré leur nom à la halle et au site, mais sont également le symbole de l’imbrication entre ancien et neuf, passé, présent et avenir dans le Koch Park. Cette posture assumée sied bien à cet espace libre qui explore de nouvelles voies – parfois prototypiques – en matière d’aménagement paysager naturel à forte biodiversité. À l’origine de la conception du parc, le bureau Krebs Herde Landschaftsarchitekten a également collaboré avec PARK ARCH et le bureau d’études Dr. Neven Kostic à la reconversion de l’ancien dépôt en un vaste espace public protégé, qui fait la part belle au réemploi de matériaux de démolition. De manière générale, le réemploi n’est ici pas un alibi, mais une réalité bien ancrée dans le site réaménagé.

Axonométrie: Krebs und Herde Landschaftsarchitekten, PARK ARCH & Dr. Neven Kostic
Axonométrie vue d'en bas: Krebs und Herde Landschaftsarchitekten, PARK ARCH & Dr. Neven Kostic

Un parc naturel sauvage

«La friche et sa halle telles que nous les avons découvertes présentaient un caractère fort malgré les dimensions relativement petites du site», rapporte Matthias Krebs au cours de la visite sur place. «Il y a sept ans, à l’entame du concours, une nature urbaine pionnière et sauvage envahissait le site et les rails, témoins de l’origine industrielle du lieu; la halle était encore occupée à l’époque. Cette constellation nous a longuement fait réfléchir – avec le sociologue Philippe Cabane – à la manière d’appréhender ce site.» Et Matthias Krebs d’ajouter que l’idée de traiter la halle comme une partie de cet espace naturel s’est rapidement imposée. «Nous nous sommes demandé comment introduire la nature en ville, de manière générale mais aussi pour des sites denses comme celui-ci. L’imbrication du parc et de la halle est une réponse qui à mes yeux reste emblématique de ce projet unique.» Parallèlement à cela, Grün Stadt Zürich avait des exigences bien définies: les nouveaux parcs doivent être naturels et vecteurs d’une grande biodiversité, les sols doivent en majeure partie être perméables – dans l’esprit de la ville-éponge –, des espaces rudéraux abritant des plantes pionnières et non invasives doivent être créés, et il faut avoir recours à du bois mort et des murs en pierres sèches afin d’offrir un habitat aux insectes et autres petits animaux. Il a aussi fallu compenser la disparition des zones naturelles protégées conséquente des travaux de construction sur le Koch Areal. Cela étant, les paysagistes avaient dès le début une idée claire de ce que le parc devait essentiellement accomplir: «La transformation du parc et de la halle devait aboutir à la création d’un espace vivant et adopté par une population très diversifiée, aux besoins et usages variés. Il était important à nos yeux d’offrir tous ces usages, y compris l’aspect ludique. Une manière de rendre justice au lieu.»

Des zones de repos ont été aménagées dans le parc. | Photo: Kuster Frey
Du béton a été coulé entre les voies. De nouveaux chemins de parc serpentent le long du hangar et le traversent. | Photo: Valentin Jeck

Transformation triple

«Au fond, le projet est une tripletransformation. Une transformation de l’utilisation, pensée pour rester modulable, car nous ignorons ce qui se passera ici dans quinze ans. Une transformation architecturale avec l’agrandissement du hall et une transformation esthétique, notamment grâce aux briques de verre», précise Markus Lüscher, fondateur du bureau zurichois PARK ARCH. C’est aussi une transformation architecturale et esthétique si l’on considère la halle. «Le fait que la halle soit protégée est une chance.»

Cela est dû en grande partie à la commission de conservation des monuments historiques, qui a exigé une nouvelle inspection et une nouvelle évaluation de la valeur patrimoniale du bâtiment. Elle a réussi à convaincre: seule une partie récente du bâtiment, située au nord, a pu être démolie. Le toit a été remplacé par une structure porteuse en acier noir de même longueur, pratiquement sans piliers, dont nous parlerons plus tard.

Pour ne pas atténuer le caractère exceptionnel de la halle dans son ensemble, les interventions esthétiques et architecturales s’intègrent naturellement et sont à peine perceptibles. C’est par exemple le cas d’une plateforme dans la partie sud près de la Rautistrasse qui permet d’admirer la géométrie filigrane de la structure ligneuse. C’est aussi le cas des luminaires suspendus entre les fermes de la charpente, qu’ils semblent compléter, ou encore des lettres KOCH équipées de néons qui brillent en rouge dans la nuit, comme un signal d’ouverture. Parc et halle sont ouverts 24/24, et c’est essentiel pour un projet d’espace public inclusif.

L’eau anime le parc, que ce soit dans la longue fontaine ou lorsqu’elle jaillit des gargouilles pour s’écouler dans les pots d’infiltration. | Photo: Kuster Frey

L’eau anime le parc, que ce soit dans la longue fontaine ou lorsqu’elle jaillit des gargouilles pour s’écouler dans les pots d’infiltration. | Photo: Kuster Frey

L’eau anime le parc, que ce soit dans la longue fontaine ou lorsqu’elle jaillit des gargouilles pour s’écouler dans les pots d’infiltration. | Photo: Kuster Frey

Réutilisation et eau relient le hall et le parc

L’espace public, dont une bonne partie est protégée des intempéries par l’imposante toiture, porte au sens propre du terme des marques du passé. Des rails témoignent au sol des allers et venues des wagons chargés de charbon qui se faufilaient dans le dépôt. Assez logiquement d’ailleurs, il est vain de chercher ici le souci typiquement zurichois de finition et du détail. Le sol se présente plutôt comme un livre ouvert racontant les histoires du lieu. De part et d’autre de la halle se dressent des cylindres de différentes hauteurs construits par empilement de moellons de béton selon la technique de la pietra rasa. Si les moellons sont des éléments récupérés de démolitions, des débris de tuiles ont aussi été mélangés au mortier qu’elles rendent rougeâtre mais surtout poreux afin de permettre à l’eau de s’y diffuser. Avec sa forme légèrement conique, le plus haut des cylindres s’apparente à une relique de cheminée industrielle et évoque le passé du site – même si rien n’a jamais été produit ici. Le cylindre en question est un fût drainant, d’autres sont des bassins d’eau de pluie dans lesquels se reflète la grande toiture et devant lesquels s’émerveillent les enfants. Tous ces cylindres sont alimentés de la même manière par des tuyaux de gouttière canalisant l’eau de pluie de la toiture. Chacun d’eux remplit, selon son emplacement, une fonction différente: arrosage des plantes ou humidification de l’air et du sol, en été surtout. À l’ouest, le mur délimitant le parc en suivant les voies ferrées courbes est également fait de débris de démolition. Au sol, d’imposantes dalles sont alignées comme des dominos légèrement inclinés et étroitement serrés en limite du terrain. La rudesse du mur, son haptique «rocailleuse», dixit Matthias Krebs, est assumée. En se rapprochant, on s’aperçoit de l’amoncellement de briques cassées qui font la joie des lézards et de la menue faune. Cela montre une fois de plus combien la culture du construit ou du déconstruit – pierre, argile et béton – peut profiter à la nature. Même si cela ne saute pas aux yeux, les dalles des cheminements et les assises placées aléatoirement – sortes de poufs en béton –, sont aussi faites de matériaux de démolition récoltés sur le site, essentiellement les dalles de sol de la partie démolie de la halle.

Différents substrats permettent aux herbes, aux plantes vivaces hautes et aux forêts pionnières de prospérer. | Photo: Juliet Haller © Amt für Städtebau Zürich

Différents substrats permettent aux herbes, aux plantes vivaces hautes et aux forêts pionnières de prospérer. | Photo: Juliet Haller © Amt für Städtebau Zürich

Différents substrats permettent aux herbes, aux plantes vivaces hautes et aux forêts pionnières de prospérer. | Photo: Juliet Haller © Amt für Städtebau Zürich

Pragmatisme du bois, audace de l’acier

Revenons à la halle: la structure porteuse en bois du toit, avec ses entretoises composées d’éléments de traction et de compression, présente une esthétique impressionnante. Dans la partie la plus ancienne de la halle, ce sont encore des rondins qui soutiennent le toit, tandis que dans la partie plus récente, qui a été ajoutée ultérieurement, ce sont des bois équarris. Quelques rondins ont dû être remplacés, ce qui se remarque à leur couleur plus claire. Afin d’obtenir un renfort résistant au vent et aux tremblements de terre, l’ingénieur civil Neven Kostic a fait ajouter de minces entretoises en acier. Elles sont peintes en rouge et sont les seuls éléments qui montrent clairement qu’elles sont neuves. «Nous avons longuement discuté de leur couleur», explique Neven Kostic. Mais elle s’intègre bien dans le projet à bien des égards: la couleur s’harmonise avec le toit de tuiles rouges, l’enseigne lumineuse et l’histoire industrielle de l’entrepôt de charbon, un lieu où l’on stockait autrefois le combustible pour le chauffage.

Situation: Krebs und Herde Landschaftsarchitekten, PARK ARCH & Dr. Neven Kostic

Situation: Krebs und Herde Landschaftsarchitekten, PARK ARCH & Dr. Neven Kostic

Situation: Krebs und Herde Landschaftsarchitekten, PARK ARCH & Dr. Neven Kostic

Côté sud-ouest, la halle présente un pignon ressemblant à celui d’une ferme traditionnelle – une forme archétypale relativement anonyme. Elle se transforme pourtant en une construction audacieuse au fur et à mesure que l’on se rapproche du futur quartier résidentiel situé au nord-est. Avec ses poteaux, ses fermes triangulaires et sa sous-structure filigranes, la nouvelle structure en acier brut – qui rouille avec le temps – s’efface et donne l’impression que la toiture à deux pans va s’envoler. Mais il ne s’agit pas pour autant d’un geste purement esthétique, digne de l’Art pour l’art: la nouvelle toiture a été conçue pour répondre aux besoins du cirque Chnopf qui avait installé ici son campement à l’époque de Koch et reviendra en 2027.

Nouvelle partie de la halle. | Photo: Valentin Jeck

Nouvelle partie de la halle. | Photo: Valentin Jeck

Nouvelle partie de la halle. | Photo: Valentin Jeck

Une scène urbaine

Dynamique et évanescente, la longue toiture a aussi un caractère protecteur. Une fois l’ensemble achevé, le parc ne sera pas seulement utilisé par les habitant·e·s du nouveau quartier, mais attirera aussi les résident·e·s des quartiers voisins. Ce qui nous amène à réfléchir aux questions générales suivantes: Qu’est-ce qui caractérise un bon espace public? Comment l’aménager pour en permettre l’appropriation? L’architecture peut-elle stimuler les rencontres et les interactions, et comment? Pour Matthias Krebs, qui se réfère à nouveau au parc, «un espace public doit être inspirant et accueillant, et tout ne doit pas paraître ‹fini›. Lorsque l’on plante des arbustes, des buissons et des plantes pionnières dans un parc, il va de soi qu’ils changeront au fil des années et des saisons, voire disparaîtront s’ils ne sont pas adaptés au lieu, quand d’autres s’y développeront. Nous ne parlons donc pas d’entretien du jardin, mais de gestion de la végétation.»

Un espace doit proposer des lieux de rencontre mais offrir aussi des possibilités de retraite, des niches, de la diversité et des surprises, des lieux singuliers. Plutôt qu’une aire de jeux classique, on trouve ainsi sur l’une des «voies» du parc un petit ruisseau alimenté par l’eau de pluie et fait de sable – en adéquation avec le caractère poreux du parc –, propice à des jeux riches en expériences. Ailleurs, l’eau jaillit d’une longue fontaine en acier, avec des embouchures à différentes hauteurs qui permettent d’y boire. Et Matthias Krebs d’affirmer que «c’est ce qui fait la qualité de cet espace public.»

Le toit de la halle à charbon couvre pas moins de 20 pour cent des 12'000 mètres carrés du parc. | Photo: Juliet Haller © Amt für Städtebau Zürich
Une nouvelle ouverture triangulaire relie les deux parties de la halle. La photo montre la situation avant la construction de l’extension. Le toit de la halle à charbon couvre pas moins de 20 pour cent des 12'000 mètres carrés du parc. | Photo: Valentin Jeck
Photo: Valentin Jeck

Photo: Valentin Jeck

Photo: Valentin Jeck

«Peu importe la saison, peu importe le temps, le Koch Park reste un lieu fabuleux. Sa toiture permet de s’y rendre même lorsqu’il pleut. C’est inhabituel pour Zurich, et à vrai dire unique.» La conclusion de notre visite appartient à Markus Lüscher, qui souligne «que si certains éléments sont bruts et nus, il serait faux d’interpréter cela comme un rapport avec le passé de squat du site. Si ses occupant·es n’avaient à l’époque pas pris autant soin du bâtiment, le résultat aurait probablement été tout autre.»

La fraîcheur de cette journée de novembre n’empêche d’ailleurs pas de voir de l’animation sous l’espace couvert par la toiture: alors que deux étudiant·e·s de l’école de design F+F voisine réalisent un photo-shooting, les enfants d’une crèche jouent à chat perché. Il vaudra la peine de revenir au printemps ou en été, et encore plus l’année prochaine, une fois que les habitant·es des coopératives ABZ et Kraftwerk se seront approprié la halle et le parc comme un seul et même espace extérieur.

Le texte a été publié dans le Swiss Arc Mag 2026–1 et traduit en français par François Esquivié.

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