Centre d'art M+

 
0000 Hongkong,
Chine

Publié le 07 février 2024
Herzog & de Meuron Basel Ltd.
Participation au Swiss Arc Award 2024

Aux étages souterrains,  le passage d’un tunnel ferroviaire est la raison  de la surprenante géométrie polygonale de l’espace. Outre le musée composé  d’un socle et d’une tour, le complexe comprend un entrepôt d’art (CSF) et un bâtiment avec des locaux commerciaux et des  bureaux (WKCDA Tower). Les espaces verts sont rares  à Hong Kong. Outre un parc de 23 hectares jouissant  d’une très grande popularité, les 40 hectares du nouveau West Kowloon Cultural District regroupent art, éducation, hôtels, bureaux, gastronomie et logements. L’étage des galeries d’exposition flotte au-dessus du niveau de l’entrée et des étages souterrains  au caractère industriel. La majorité des espaces d’exposition bénéficient d’un apport de lumière naturelle en façades ou grâce aux lanterneaux en toiture. Le musée se veut accessible: l’urbanité voisine traverse le centre, ce dont témoigne très concrètement cet espace hybride jouant à la fois le rôle de foyer, de cour, d’auditorium et depuis lequel on accède au jardin en toiture.

Données du projet

Données de base

Catégorie de projet
Type de bâtiment
Achèvement
11.2021
Liens

Données du bâtiment selon SIA 416

Étages
11 à 20
Surface de terrain
25'000 m²
Surface de plancher
92'400 m²
Surface utile
14'370 m²

Description

Hong Kong est une ville d’importance mondiale en crise: forte de son statut de «porte de la Chine», la métropole a maintenu pendant plusieurs décennies son économie en pole position de l’Asie du sud-est. La ville avait su affirmer son statut déjà durant le boom économique asiatique, bien après la fin de l’occupation britannique. Mais en raison de la volonté grandissante de Pékin d’intégrer la zone économique d’exception dans son système centralisé et antidémocratique, Hongkong perd peu à peu de son attractivité. Qui plus est, d’autres villes émergent et lui disputent son rôle de Gateway: à l’intérieur du géant chinois, Shanghai ainsi que «le frère laid» de Hong Kong, Shenzhen, et à l’extérieur Singapour, profitent des faiblesses actuelles de Hong Kong. La crise du Covid a par ailleurs touché un nerf sensible de la ville: l’afflux international de touristes qui remplissaient les magasins de montres et les hôtels de luxe, se réjouissaient de la double Skyline de gratte-ciels, du panorama depuis Peak, de la bonne nourriture et de Disneyland, chutait irrémédiablement. Depuis la pandémie, l’afflux de touristes chinois reste important, mais ces visiteur·euse·s ne sont pas vus avec bienveillance. On souhaiterait voir revenir davantage de touristes internationaux à fort pouvoir d’achat. Le fait que le tourisme mondial ne décolle pas est peut-être aussi lié au fait qu’Hong Kong n’a pas su se positionner comme une destination culturelle internationale.

Retour en force
Cette situation devrait radicalement et durablement changer avec la construction de l’impressionnant musée M+. Reste à savoir si la devise «plus vaut mieux que moins» sera efficace dans l’optique d’affûter l’offre culturelle de la ville. C’est un fait, Hong Kong cherche à se positionner à vitesse grand V sur la carte des grandes métropoles de l’art, comme l’indiquent les discours du gouvernement. Le lancement du concours d’architecture et le choix du site au Victoria Harbour dans le West Kowloon Cultural District soulignent cette détermination. Pour concevoir ce centre géant, l’organi­sation du concours et le jury ont invité ce qu’ils considèrent être la crème de la crème de l’architecture contemporaine: seuls des bureaux japonais et européens ont été
invités, sans possibilité pour les bureaux chinois et d’autres voisins asiatiques, ni même locaux, d’y participer. Outre Terry Farrell, SANAA, Renzo Piano, Shigeru Ban, Snøhetta et Toyo Ito, Herzog & de Meuron ont également reçu un million de dollars hongkongais en guise d’honoraires pour leur contribution. Et c’est finalement l’équipe bâloise qui a été retenue, avec un projet à l’expression forte et emblématique.
Le bureau a déjà construit de nombreux musées, petits et grands, à travers le monde: de la collection Goetz à Munich (1992) au Schaulager à Bâle (2003), en passant par la Tate Modern à Londres (2000). H&dM ont la réputation d’être moins prévisibles que leurs collègues dont on reconnaît la signature. Cela s’explique peut-être par le fait que chaque projet représente pour les Bâlois l’occasion de tester de nouveaux concepts et de nouvelles approches. Développé en 2013, le projet du M+ développé ne déroge pas à ce principe.

Un écran géant pour l’art contemporain
Les dimensions d’un bâtiment sont importantes à Hong Kong: pour être remarqué dans la skyline urbaine, un bâtiment se doit d’être grand et illuminé la nuit. Raison pour laquelle les architectes bâlois ont orienté
le profil monumental du «Visual Culture
Museum» vers le front de mer, et fait de la façade principale un énorme écran LED où défilent des œuvres d’art en vidéo. Le bâtiment est l’un des premiers à sortir de terre dans le nouveau West Kowloon Cultural District, dont il marque la future identité urbaine. La péninsule au bout de laquelle se situe le district a été remblayée au 20ème siècle et offre des vues sur le quartier central des affaires de Hong Kong Island.
En coupe, le M+ à la forme d’un T renversé. Large et surélevé, son socle contraste avec la tour fine et élancée qui le surplombe. Cette dernière abrite des salles d’enseignement, des ateliers, un salon pour les mécènes, des restaurants et naturellement aussi des bureaux. Le socle regroupe quant à lui tous les espaces à caractère public de l’énorme centre artistique. Avec sa tour de 18 étages inhabituellement haute pour un musée, le M+ tente de se démarquer de son imposant voisin, l’ICC-Tower conçue par Kohn Pedersen Fox, dont les 108 étages font d’elle le bâtiment le plus haut de la ville. Tour et socle du M+ présentent des façades en béton revêtues d’éléments de céramique gris foncé qui font aussi office de brise-soleils. Elles brillent sous l’effet de la lumière et allouent aux deux volumes des expressions variant au gré de la météo et des moments de la journée. Geste souvent employé dans l’architecture de bureaux des années 1950, un «joint creux» donne l’illusion d’une tour détachée de son socle.

Commissaires en quête de repères
Les chiffres du M+ impressionnent, surtout si on les compare à l’ancien Central Police Station sur Hollywood Road, premier centre d’art réalisé entre 2011 et 2018 par Herzog & de Meuron à Hong Kong. Alors que seuls deux petits bâtiments neufs abritant les
Old Bailey Galleries et l’Arbuthnot Auditorium ont suffi à faire de l’ancien commissariat de police un centre d’art urbain et dynamique, le M+ compte lui 33 galeries d’exposition, trois salles de cinéma, une médiathèque gigantesque et un jardin en toiture offrant une vue panoramique. La mission des architectes était claire: le M+ ne devait pas devenir un musée traditionnel, mais un centre d’art d’un nouveau type, offrant un large éventail d’espaces et de possibilités pour exposer l’art et la culture. Outre les habituels cubes blancs, le bâtiment abrite des salles de projection et des tiers-lieux pour le monde artistique. Comme le terrain remblayé n’offrait pas grand-chose de spécifique, les architectes se sont référés au tunnel ferroviaire qui traverse le site: pour Pierre de Meuron, il est la raison d’être des «salles d’exposition brutes et à l’aspect rugueux» situées au sous-sol du M+. Au sous-sol, des salles «évitent» les tunnels ferroviaires, ce qui a donné lieu à des géométries inhabituelles en gradins. Les auteur·rice·s parlent d’un «forum immergé» et d’une «topographie d’exposition». Au-dessus, la partie socle du bâtiment regroupe des salles plus conventionnelles organisées selon une grille orthogonale autour d’une plazza centrale qu’occupent les expositions exceptionnelles. Une série de salles d’exposition commence aux quatre coins de cet espace central. Chacune s’ouvre sur un espace aux qualités particulières: une galerie à lanterneau, une cour donnant accès à une terrasse en toiture, un espace avec une façade en verre donnant sur le parc voisin, ou encore un auditorium orienté vers le Victoria Harbour. Les ouvertures pratiquées avec parcimonie dans les façades cadrent en outre des vues sur l’Artist Square et la skyline hongkongaise.

Ambition culturelle vs. politique répressive
La construction d’un énorme centre culturel ne suffit pas à faire d’une ville un attracteur culturel et artistique. La devise «build it and they will come» peut aussi bien être efficace que s’avérer être un échec. Reste à savoir si le prestigieux projet M+ réussira à faire d’une ville portuaire et commerciale et d’une destination de shopping le premier centre mondial de culture visuelle contemporaine en Asie, comme le souhaitent les commissaires. Au M+, l’accent mis sur la culture visuelle chinoise et le très large fonds couvrant les beaux-arts jusqu’aux images animées, en passant par le design, sont à n’en pas douter un trésor qui attire. Le M+ dispose en outre d’expert·e·s de domaines aux franges de l’offre traditionnelle, à l’image des animés, des jeux vidéo et de l’architecture. Sur la base d’une donation du collectionneur d’art Ulrich Adolf Sigg, le directeur de la maison, Suhanya Raffel, a été chargé de rassembler aussi rapidement que possible une collection de niveau mondial et a su mettre l’accent sur quelques aspects intéressants.
La pandémie liée au Covid et la répression féroce de la révolution des parapluies ont fortement affaibli l’attrait de la ville auprès des visiteurs internationaux. Mais à Hong Kong ont nourri de grands espoirs pour le M+ dont on attend qu’il redore l’image de la ville, ni plus ni moins. Il est tentant de dire que l’infrastructure culturelle a été conçue afin de permettre à Hong Kong de retrouver son statut de «métropole d’Asie», du moins sur le plan culturel. Une chose est sûre: de l’évolution politique dépendra la réponse à cette question.

Le texte a été rédigé par Ulf Meyer pour Arc Mag 2024–3.
Le projet a été soumis par Herzog & de Meuron dans le cadre du Swiss Arc Award 2024 et publié par Jørg Himmelreich et Elisa Schreiner.

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