Transformation du magasin Uniqlo

 
1000000 Tokyo,
Japon

Publié le 27 avril 2023
Herzog & de Meuron Basel Ltd.

Uniqlo Tokyo est déjà  le deuxième magasin phare de la marque dans le quartier de Ginza.  Avec des surfaces de vente réparties sur quatre étages, c’est l’un des plus grands magasins Uniqlo du Japon. Les revêtements muraux et les revêtements de sol ont été retirés. Ainsi, le squelette constitué de piliers en béton est devenu visible. Cette stratégie de soustraction confère à la maison de mode sa nouvelle identité forte.

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
1000000 Tokyo, Japon
Achèvement
01.2020

Données du bâtiment selon SIA 416

Surface de plancher
23'059 m²
Volume bâti
70'935 m³

Description

Retour à la structure

À Tokyo, Uniqlo a fait agrandir un magasin existant pour en faire un flagship store d’envergure mondiale. Kashiwa Sato, le propriétaire de la chaîne, a embarqué le bureau suisse Herzog & de Meuron dans l’aventure. En évidant le bâtiment érigé en 1984, les bâlois donnent au squelette en béton l’opportunité de déployer toute sa force.

Uniqlo, ce nom vous évoque-t-il quelque chose? La marque japonaise de prêt-à-porter a longtemps été absente des marchés européens. Cette époque est désormais révolue: en 2022, l’entreprise gérait 66 filiales en Europe de l’Ouest, et l’entrée sur le marché suisse – qui à ce jour n’a pas encore eu lieu – n’est qu’une question de temps depuis que Roger Federer a tourné le dos à Nike, son ancien équipementier, pour rejoindre le giron de la marque Uniqlo – un contrat de 300 millions de francs à la clef – et en devenir l’ambassadeur, même après la fin de sa carrière de sportif professionnel. Uniqlo gère plus de 2200 filiales dans le monde – pas moins de 100 pour la seule ville de Tokyo –, a entre-temps dépassé H&M, et occupe actuellement la deuxième place du commerce international du textile, derrière le groupe espagnol Inditex (Zara, Massimo Dutti). Pour son propriétaire, qui avait repris l’empire textile de son père, ce n’est qu’une question de temps avant qu’Uniqlo ne devienne leader. Né en 1949, Tadashi Yanai est actuellement considéré comme le plus riche des Japonais. Uniqlo – contraction de «unique» et «clothing» – est la principale branche commerciale du groupe Fast Retailing, qui possède aussi les marques Comptoir des Cotonniers ou Helmut Lang qui sont des marques dont on ne pense pas qu’elles soient japonaises.

Accent mis sur l'essentiel
L’expansion de la marque n’est pas le seul indicateur de son succès, comme en témoigne l’annonce en début d’année d’une augmentation des salaires des employés pouvant atteindre jusqu’à 40 pour cent dès le mois de mars. La pandémie ne semble pas avoir freiné la marche en avant de l’entreprise, ce qui n’est peut-être pas étonnant si l’on considère le fait que huit Japonais·es sur dix portent les vêtements de cette marque. La ligne vestimentaire d’Uniqlo reste très sobre; alors que les concurrents mondiaux reproduisent les dernières tendances après les défilés importants, Uniqlo s’en tient – de manière très japonaise – à des modèles simples et éprouvés sans fioritures, pour lesquels des contrats de livraison à long terme ont été conclus avec des producteurs le plus souvent chinois. Son succès international, Uniqlo le doit notamment au designer graphique Kashiwa Sato, responsable de la stratégie commerciale de la marque depuis 2006. Il a non seulement réussi à adapter le logo d’origine très accrocheur d’Uniqlo – des lettres katakana sur un fond carré et rouge – à l’alphabet latin, mais a par ailleurs mis en place diverses coopérations, qu’il s’agisse de la ligne de produits de Jil Sander (depuis 2009) ou encore de la réunion intergénérationnelle des cultures pop que représentent Takashi Murakami et Billie Eilish (2020).

L’architecture comme branding
En parallèle, il confie la conception de filiales Uniqlo à des bureaux d’architecture de renommée internationale. Le Uniqlo Park signé Sou Fujimoto a ainsi ouvert ses portes en 2020 dans le port de Yokohama, suivi une année plus tard par le flagship store de Tokyo, conçu par Herzog & de Meuron – à ne pas confondre avec la filiale Uniqlo Ginza, située à proximité et également rénovée en 2021, plus grand point de vente mondial du groupe à ce jour avec douze étages de vente. Après Prada Aoyama (2003) et Miu Miu Aoyama (2015), les Bâlois avaient ainsi l’occasion de réaliser leur troisième projet pour une marque de mode à Tokyo. Seule différence notoire, il s’agissait cette fois de la transformation d’un bâtiment existant. Celui-ci se trouve au nord de Ginza, un quartier réputé pour la vie nocturne et le shopping, juste en face du Mikimoto Building de Toyo Ito (2005). Il ne se trouve donc pas sur Chuo Dori, le fameux axe principal de Ginza, mais on l’aperçoit depuis la Tokyo Station qui compte parmi l’une des principales gares de grandes lignes de la métropole.

Grille spatiale kaléidoscopique
Le bâtiment en question a été construit en 1984 à l’initiative d’un partenariat commercial franco-japonais avec le groupe parisien Printemps qui n’en a cependant jamais occupé qu’une partie. Comme le raconte sa façade structurelle en béton, l’édifice a été conçu pour une utilisation aussi flexible que possible, comme c’est souvent le cas pour ce type de projet à Tokyo: les accès et les locaux de service sont situés derrière une façade majoritairement aveugle, tandis que le centre est occupé par de grandes surfaces à l’usage flexible. Les étages peuvent être reliés entre eux, ou divisés en plusieurs surfaces louables selon les besoins. Après 32 années de présence, le Printemps a fini par s’en aller en 2016, suite à la décision du nouveau consortium de propriétaires qataris de ne pas renouveler la licence. Le bâtiment répond depuis au nom de Marronier Gate Ginza 2, en référence à la rue Marronier qui est l’un des axes permettant de rejoindre Ginza depuis la Tokyo Station. Uniqlo louait déjà l’un des étages supérieurs de l’immeuble et a profité de l’occasion pour étendre son bail aux niveaux 1 à 4. À l’initiative de Kashiwa Sato, le projet d’agrandissement a été confié à Herzog & de Meuron, et l’aménagement intérieur au bureau nippon Nomura. L’objectif principal de la transformation consistait à rendre attractif l’empilement des plateaux neutres, jugé ennuyeux, en ouvrant littéralement les quatre niveaux occupés par Uniqlo: sur l’espace urbain d’une part, afin de créer un lien avec le quartier; sur eux-mêmes d’autre part, afin de créer un lien entre chaque étage. En s’appuyant sur la structure porteuse du bâtiment tramée de poteaux et de poutres en béton armé, le projet fait en sorte de déployer une sorte de grille spatiale.

Soustractions
Les architectes bâlois ont supprimé les faux-plafonds et les revêtements de manière à révéler aux yeux des consommateurs l’aspect brut du béton. De plus, des annexes ont été éliminées aux étages inférieurs. Les façades ont été reculées à proximité des deux entrées, de sorte que la structure porteuse forme des arcades en double hauteur, ouvertes sur l’extérieur. La pose de miroirs sur les sous-faces des dalles permet de découvrir au-dessus des têtes le jeu de couleurs et de formes kaléidoscopiques animés d’éléments graphiques et des logos Uniqlo qui s’intègre bien dans le scintillement nocturne de Ginza. À l’exception des entrées, les vides de la structure porteuse des deux premiers niveaux ont été colmatés avec du béton. À l’intérieur, les architectes sont intervenus en sciant une partie des dalles qui remplissaient la grille structurelle. Un atrium organisé autour des escalators a été créé en retrait des façades sur quatre niveaux, permettant de les relier entre eux aussi bien physiquement que visuellement. La structure en béton a ainsi été métamorphosée en une ossature spatiale abstraite composée de poteaux et de poutres apparentes, une action dont témoignent aujourd’hui encore les découpes bien visibles des dalles. Le nouvel aménagement intérieur poursuit l’idée fondatrice de laisser visible la structure porteuse en béton – du moins partout où cela est possible – en dispatchant vitrines et autres meubles de présentation à travers la structure à la manière de plug-ins. Ici aussi, les architectes ont eu recours à des surfaces réfléchissantes, tantôt pour les sous-faces des plafonds, tantôt pour celles des poutres. Et même si la structure porteuse qui organise l’espace est claire, les effets optiques captés par le regard s’égarant sur les étages et les miroirs sont fascinants.


Texte: Hubertus Adam

Première publication: Arc Mag 3.2023
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Entreprises impliquées dans le projet

Planification

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