De l'hôpital au village vertical

Publié le 14 septembre 2023 par
Rédaction Swiss Arc

Sous couvert de la nécessaire densification, toujours plus d’édifices de qualité architecturale douteuse remplacent des bâtiments de valeur. Cette frénésie ne nuit pas seulement au climat et à l’environnement, elle met aussi en danger l’apparence des villes et des villages. La reconversion réussie de l’hôpital Felix Platter de Bâle en logements montre que d’autres solutions sont possibles: les bâtiments parfois encombrants hérités de la Modernité ont le potentiel d’être adaptés aux besoins du présent.

Texte: Roman Hollenstein

Photos: Ariel Huber

Photos: Ariel Huber

Photos: Ariel Huber

Photos: Ariel Huber

À Bâle, la longue barre de l’hôpital Felix Platter marque depuis plus d’un demi-siècle le quartier d’Iselin. De part et d’autre, les bâtiments d’un niveau qui abritaient les salles de thérapie et le réfectoire relient l’élégant immeuble réalisé entre 1962 et 1967 par Fritz Rickenbacher et Walter Baumann à la Hegenheimerstrasse, au sud- ouest du Kannenfeldpark, au tapis environnant de maisons mitoyennes. L’attique et les balcons latéraux fuyants confèrent au bâtiment de neuf étages une légèreté filigrane malgré une hauteur de 35 mètres et une longueur de 105 mètres.

Considéré comme l’un des représentants les plus remarquables de l’après-guerre à Bâle, et inscrit à ce titre au patrimoine, l’hôpital était considéré comme intouchable. En 1999, à l’occasion de la dernière rénovation, des experts ont pourtant relevé le problème suivant: son adaptation technique aux besoins actuels ne se ferait qu’au prix d’investissement démesurés. Raison pour laquelle le centre universitaire Felix Platter de médecine gériatrique, conçu par Holzer Kobler et Wörner Traxler Richter, a été construit entre 2015 et 2019 juste au nord de l’hôpital. De manière concomitante, l’ancien bâtiment de l’hôpital était retiré de l’inventaire des bâtiments dignes de protection, autorisant du même coup sa démolition.

La menace concrète d’une possible destruction de ce bâtiment marquant en termes architecturaux autant qu’urbains n’a pas seulement fait réagir la population du quartier, mais aussi la section bâloise de Patrimoine suisse, la Ligue bâloise de protection des monuments historiques et la section bâloise de la FAS. En 2014, une étude de faisabilité démontrait que l’ancien hôpital était en mesure d’accueillir des logements, et que la protection contre les incendies, la sécurité parasismique et l’efficacité énergétique pourraient respecter les normes actuelles sans que son architecture bien proportionnée s’en trouve menacée.

En 2015, le Grand Conseil bâlois se prononçait finalement en faveur de la conservation du bâtiment. Il était inscrit l’année suivante dans le registre des monuments historiques avec une «protection réduite», tandis qu’une modification de zone en permettait la transformation en immeuble d’habitation. Une stratégie judicieuse d’un point de vue écologique et énergétique. En revanche, les bâtiments situés sur le site de l’ancien hôpital, moins intéressants d’un point de vue architectural, ont été démolis et intégrés au plan de quartier Westfeld qu’ont développé Enzmann Fischer Partner avec le paysagiste Lorenz Eugster. La transformation d’un hôpital désaffecté en un immeuble d’habitation, une décision logique en termes d’environnement et déjà expérimentée dans des villes telles New York et Los Angeles, prenait soudainement de l’ampleur à Bâle.

Même si, à première vue, il dégage un charme des années 1960, le hall d’entrée à deux étages a été rénové. Il permet d’accéder aux espaces publics du rez-de-chaussée ou aux étages d’habitation par l’escalier. | Photos: Ariel Huber
L’installation d’une nouvelle couche de fenêtres en façade sud a permis d’atteindre la performance thermique requise sans porter atteinte à l’enveloppe classée monument historique. | Photos: Ariel Huber

Expérience acquise

Fondée la même année, la coopérative de logements wohnen&mehr s’est montrée intéressée par le développement de Westfeld, un quartier sans voitures et intégrant cafés, magasins, petites entreprises, équipements sociaux et plus de 500 logements, dont 134 dans l’ancien hôpital. Lancé en 2017, le mandat d’étude sur présélection était remporté par le bureau zurichois Müller Sigrist Architekten, en collaboration avec Rapp SA pour la direction des travaux, et Dr. Lüchinger + Meyer Bauingenieure pour la conception de la structure porteuse. Leur projet de «maison partagée» s’inspire de deux principes développés par Müller Sigrist dans le cadre du projet zurichois Kalkbreite: différents types de logements et d’infrastructures collectives. Bien que la transposition du concept de «maison partagée» sur un bâtiment existant ait nécessité quelques compromis de la part des architectes, le jury du concours a été séduit par «la conception soignée et l’architecture évocatrice» ainsi que par «les interventions bien pensées».

Rez-de-chaussée | Plan: Müller Sigrist Architekten AG + Rapp AG
2ème étage | Plan: Müller Sigrist Architekten AG + Rapp AG
​ Coupe perspective A ​ ​

Coupe perspective | Plan: Müller Sigrist Architekten AG + Rapp AG

Coupe perspective | Plan: Müller Sigrist Architekten AG + Rapp AG

En transformant l’hôpital en un «village vertical», nom d’emprunt dont est gentiment affublé le bâtiment, Müller Sigrist ont en outre pu faire fructifier l’expérience acquise lors de la transformation, également réalisée en collaboration avec Rapp SA entre 2011 et 2013, d’un entrepôt classé monument historique sur le site bâlois de Dreispitz en un bâtiment d’ateliers et de séminaires pour la Haute école de design et d’art. Auparavant, le bureau fondé en 2001 par Pascal Müller, aujourd’hui âgé de 52 ans, et Peter Sigrist, décédé début 2014, s’était déjà fait un nom sur la scène architecturale avec l’inauguration en 2007 de la salle de fête «Pentorama» à Amriswil. Trois constructions dignes d’intérêt ont suivi, dont les logements coopératifs de «Mehr als Wohnen» à Zurich-Leutschenbach. Depuis la construction de Kalkbreite, autre ensemble de logements coopératifs placé au-dessus d’un dépôt de tramways et comptant parmi les meilleures réalisations de ces vingt dernières années à Zurich, le bureau jouit d’une reconnaissance internationale.

Une façade habitable

Exécutée de la mi-2019 à la fin 2022, la transformation a libéré l’ancien hôpital de ses extensions – par exemple celles des cours du socle en forme de peigne – et permis de le remettre en grande partie dans son état d’origine. Contrairement aux façades, qui devaient être rénovées selon les directives patrimoniales, des interventions plus importantes étaient autorisées à l’intérieur. Les interminables couloirs qui traversaient le bâtiment sur toute sa longueur Exécutée de la mi-2019 à la fin 2022, la transformation a libéré l’ancien hôpital de ses extensions – par exemple celles des cours du socle en forme de peigne – et permis de le remettre en grande partie dans son état d’origine. Contrairement aux façades, qui devaient être rénovées selon les directives patrimoniales, des interventions plus importantes étaient autorisées à l’intérieur. Les interminables couloirs qui traversaient le bâtiment sur toute sa longueur.

Le prix moyen de tous les logements est de 2100 francs bruts pour un appartement de 4 pièces. Les appartements les plus chers des étages supérieurs financent les appartements les moins chers des étages inférieurs.

Le prix moyen de tous les logements est de 2100 francs bruts pour un appartement de 4 pièces. Les appartements les plus chers des étages supérieurs financent les appartements les moins chers des étages inférieurs. | Photos: Ariel Huber

Le prix moyen de tous les logements est de 2100 francs bruts pour un appartement de 4 pièces. Les appartements les plus chers des étages supérieurs financent les appartements les moins chers des étages inférieurs. | Photos: Ariel Huber

Des lames en béton aussi hautes que le bâtiment ont été intégrées dans les nouvelles cloisons autour du couloir central. Elles assurent le renforcement longitudinal du bâtiment, tandis que les cages d’escalier latérales en béton massif, déplacées de la périphérie du bâtiment vers son centre, assurent son renforcement vertical. En plus d’une remise aux normes sismiques, la transformation a permis d’ajuster les mesures de protection contre les incendies et de résoudre la question énergétique avec l’installation d’une pompe à chaleur sur nappe phréatique, de panneaux photovoltaïques et du raccordement au réseau de chauffage urbain.

La rénovation énergétique de la façade sud représentait un défi particulier en raison de bandeaux vitrés rappelant les plis d’un accordéon, dont la protection à titre patrimonial empêchait toute modification. Les architectes contournaient le problème en y superposant en retrait une autre couche vitrée, elle aussi pliée mais selon un autre rythme. L’interstice ainsi créé permettait aussi d’adjoindre des jardins d’hiver aux appartements orientés au sud; une valeur ajoutée en terme climatique qui n’affecte finalement pas l’aspect de la façade.

Quant à la façade nord ornée d’un treillis en béton, son isolation intérieure et le remplacement des fenêtres se sont avérés efficaces tant du point de vue technique et patrimonial qu’économique. Dans le bâtiment, l’utilisation du béton apparent pour les cloisons et les plafonds, du terrazzo, de la céramique et du parquet pour les sols, ou encore du bois pour les aménagements intérieurs relève d’un choix à la fois esthétique et financier.

Dans les ailes sont disposés des surfaces commerciales, club de fitness, crèche et école maternelle représentée sur la photo. | Photos: Ariel Huber
Salle commune avec vue: cette pièce au niveau de l’attique est disponible pour différentes utilisations. | Photos: Ariel Huber

Une vie intérieure complexe

Le foyer public sur double hauteur constitue une des particularités architecturales marquantes du bâtiment. Ce dernier n’a guère changé extérieurement et assure toujours la liaison entre la Hegenheimerstrasse et une place de quartier végétalisée. Dans le hall, entre les piliers en béton sculpturaux et les plafonniers en dodécaèdre, des groupes de fauteuils et des tapis assurent une convivialité presque bourgeoise. Plus loin, des tables de jeux meublent un long couloir menant aux deux salles du centre de quartier Iselin. La plus grande d’entre elles surgit au pied de la façade sud, dans le plus à l’est des quatre bâtiments constituant le socle. À l’ouest, les autres bâtiments du socle (un restaurant, une épicerie discount, un club de fitness, une crèche, un jardin d’enfants et des locaux commerciaux) sont desservis par une rue intérieure.

Comme dans le hall d’accueil de Kalkbreite, un escalier indépendant mène à une passerelle qui donne accès aux chambres d’hôtes du premier étage. Deux étages plus hauts se trouvent les 17 chambres – elles aussi placées dans un secteur séparé – de l’habitat communautaire pour personnes âgées. À l’opposé, la passerelle débouche sur une autre rue intérieure qui se fraye un chemin à travers des couloirs et des escaliers en cascade jusqu’à l’attique du neuvième étage, desservant au passage des appartements de tailles et de loyers différents – l’offre s’étend de l’appartement économique d’une pièce et demie à la colocation de douze pièces – mais aussi les buanderies mutualisées et les balcons latéraux accessibles à tous.

Les habitant·e·s sont très diversifié·e·s. Des familles, des célibataires, des colocations et un projet de cohabitation de l’association wohnen + Basel vivent dans l’immeuble. L’escalier en cascade a donc été délibérément conçu comme un lieu de rencontre.

Les habitant·e·s sont très diversifié·e·s. Des familles, des célibataires, des colocations et un projet de cohabitation de l’association wohnen + Basel vivent dans l’immeuble. L’escalier en cascade a donc été délibérément conçu comme un lieu de rencontre. | Photos: Ariel Huber

Les habitant·e·s sont très diversifié·e·s. Des familles, des célibataires, des colocations et un projet de cohabitation de l’association wohnen + Basel vivent dans l’immeuble. L’escalier en cascade a donc été délibérément conçu comme un lieu de rencontre. | Photos: Ariel Huber

Toutes ces mesures ont pour objectif de favoriser la mixité sociale et la communication interne. On peut aussi y ajouter la terrasse commune en toiture et une salle en attique. Ce dernier abrite également cinq duplex de standing, un moyen de subventionner les appartements les moins chers. Et pour les habitants n’aimant pas gravir les étages par la rue intérieure, l’accès aux appartements est aussi possible depuis les trois cages d’escalier équipées d’ascenseurs qui se trouvent dans le foyer. Bien que simples et fonctionnels, les appartements jouissent d’un jardin d’hiver, du cadrage de la vue par des fenêtres à claire-voie, ou de petites terrasses en toiture.

Un modèle pour une culture de la transformation

La transformation de bâtiments devrait à l’avenir prendre de l’ampleur pour des raisons de protection du climat et d’écologie. Un constat qui, du point de vue de l’architecte, est synonyme de renoncement à une construction nouvelle, très appréciée aujourd’hui encore. Dans le cas de l’hôpital Felix Platter, Müller Sigrist Architekten ont néanmoins réussi à donner du caractère à leurs interventions, au travers des matériaux et des détails, mais surtout dans l’aménagement du foyer, du restaurant, de la grande salle de quartier et des appartements. Cette transformation a permis de préserver et d’économiser une grande quantité d’énergie grise, tout autant qu’elle convainc du point de vue architectural. À tel point qu’elle a récemment et à juste titre été récompensée par le Building Award 2023 pour des prestations d’ingénierie exceptionnelles dans le domaine du bâtiment.

Première publication dans Arc Mag 2023-5

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