La Pierre – un matériau d'avenir
En 2021, Perraudin architecture et Atelier Archiplein ont bâti deux immeubles de logements en pierre massive dans la banlieue genevoise. Cette technique de construction, autrefois très répandue et aujourd’hui peu connue, mérite d’être éxaminée de plus près. Comment se fait-il qu’un matériau si résistant et disponible soit aujourd’hui si peu utilisé pour la structure porteuse de nos bâtiments?
Texte: Valentin Oppliger
Photos: Leo Fabrizio

Photo: Leo Fabrizio
Quel serait le meilleur système constructif pour la protection de notre climat? Si l’on part du principe que l’architecture doit être durable afin de ne pas générer trop de CO2 lors de la construction et de la démolition, les projets en pierres sont forcément imbattables dans ce domaine. Certaines constructions ont été érigées il y a des centaines d’années, sont encore debout aujourd’hui et constituent pour tout un chacun des repères prégnants de notre environnement culturel. Pour qu’une construction soit comprise comme durable, trois facteurs semblent être primordiaux. Le bâtiment doit tout d’abord être construit principalement avec des ressources naturelles, comme le bois, la terre ou la pierre. Il doit également être robuste et solide pour subsister de longues années. Et enfin, son aspect doit être apprécié et accepté par une majeure partie de la population afin que l’on ne décide pas de le démolir dans les années à venir.
Aujourd’hui, lorsque l’on parle de pierre naturelle en architecture, il s’agit très souvent de simples revêtements de façades, d’ornementation, ou même de décoration. Mais qu’en est-il de la construction en pierre massive? Pourquoi avons-nous presque délaissé une technique qui semblait avoir fait ses preuves depuis des siècles? L’une des principales causes réside dans les décisions politiques prises après la Seconde Guerre mondiale. Un projet politique de réindustrialisation par la construction a été mis sur pied après la guerre. En France, par exemple, un ministère de la construction a été mis en place et de grands constructeurs et cimentiers sont apparus. La modernité, la mécanisation et le recours aux énergies fossiles ont changé les choses. La société a commencé à valoriser l’obsolescence et le remplacement. On ne construisait plus pour durer, mais pour vendre et revendre. La construction en matière naturelle n’a alors presque plus existé, et la construction en béton et en métal a largement pris le dessus. Il y a donc eu une telle rupture au 20 ème siècle que, désormais, la technique de construction en pierre massive a disparu tant dans l’enseignement que dans la production contemporaine presque partout en Europe. Cependant, cette technique a perduré en France jusque dans les années 1970. La reconstruction du VieuxPort de Marseille par Fernand Pouillon est l’un des plus célèbres exemples.
La pierre enfin acceptée
Pourtant, en 2021, les architectes d’Atelier Archiplein et de Perraudin architecture ont livré deux bâtiments de logements construits en pierre massive à Plan-les- Ouates. Francis Jacquier, l’un des deux membres fondateurs d’Atelier Archiplein bénéficie d’une certaine expérience dans la construction en pierre. Il a suivi l’école de Chaillot à Paris où il a été formé sur les interventions sur les monuments historiques. C’est en grande partie de là que naît cette connaissance de la pierre naturelle. Et surtout, les architectes de l’Atelier Archiplein ont pu bénéficier de l’aide de l’atelier d’architecture Perraudin qui a conçu beacoup de projets avec cette technique, dont plus d’une dizaine ont été réalisés en France et à l’étranger, comme les logements sociaux à Cornebarrieu, près de Toulouse, par exemple. Ils ont également publiés plusieurs livres sur la construction en pierre massive et donnent des conférences et expositions dans le monde entier. Pour l’atelier d’architecture Perraudin, cette réalisation n’est qu’un exemple supplémentaire de leur expertise en matière d’architecture en pierre massive.
En 2016, la commune de Plan-les-Ouates a mis au concours la conception de cinq bâtiments de logements faisant partie du quartier des Sciers comptant environ 700 appartements et dont le plan de quartier avait été approuvé par le canton de Genève en 2015. Le consortium Perraudin Archiplein a remporté le premier prix pour la construction de deux bâtiments. Les architectes n’étaient pas à leur premier coup d’essai, plusieurs places d’honneur leur ont été attribuées pour des propositions également en pierre massive. Mais les décideurs ont toujours été quelque peu réticents quant à l’utilisation de ce matériau. Cette fois-ci, la commune de Plan-les-Ouates, qui est très engagée dans le développement durable, a osé sauter le pas et a accepté la proposition des architectes.
Extraction de la matière
Les architectes se sont alors mis à la recherche de la pierre idéale pour la construction de ces bâtiments. Il en est ressorti que la pierre calcaire conviendrait parfaitement, celle-ci ayant les bonnes caractéristiques techniques et étant relativement facile à extraire. De plus, les gisements permettent de débiter de grands blocs à des coûts raisonnables.
En Suisse, l’extraction de pierre pour la construction est très limitée. Il y a bien quelques carrières de molasse dans le jura mais celles-ci sont presque exclusivement réservées pour la rénovation des monuments historiques. Les autres carrières sont principalement constituées de gneiss, une pierre très résistante mais aussi très coûteuse à extraire. Les architectes se sont alors tournés vers la France où ils ont sélectionné trois carrières de pierre calcaire. La pierre de chaque carrière a des spécificités techniques différentes, chaque bloc de pierre détaillé avait alors un emplacement bien définis dans la future construction.
Contrairement à d’autres matériaux, la pierre n’est pas transformée. Elle est extraite, découpée et mise en place. La matière a été déplacée mais elle est toujours là dans son état d’origine et elle pourra toujours être réutilisée. Ce qui n’est pas le cas du sable, par exemple, que l’on drague dans le lit des rivières, qui est ensuite mélangé à du ciment et de l’eau pour en fabriquer du béton. La destinée de ce sable est d’être emprisonné dans un mur jusqu’à qu’il soit broyé.
Évidemment, toute construction utilisant un matériau naturel implique une extraction de la matière dans la nature, c’est inévitable. L’aspect des carrières n’invite pas à imaginer qu’elles sont une opportunité pour la biodiversité. Hors, elles abritent une faune et une flore à la fois riche et très précieuse. En effet, les milieux créés par l’activité de la carrière sont propices à de nombreuses espèces.

Les deux maisons en pierre forment une porte d’entrée au nouveau quartier. Elles ouvrent un espace public qui a été conçu comme un hybride entre une place et un parc. | Photo: Leo Fabrizio
Transmission de connaissances
Le chantier a été une nouvelle expérience pour la plupart des intervenants. Les ouvriers de Marti Construction, qui ont construit ce bâtiment sous la houlette d’Architech, n’avaient aucune expérience dans ce domaine. Mais grâce au soutien des architectes, ingénieurs, géologues et sismologues, tous les acteurs du projet ont pu s’entraider et réapprendre à construire en pierre massive. L’équipe de mandataires a su convaincre tous les acteurs et partenaires de la faisabilité de cette opération. Pour ce faire, l’agence Perraudin a organisé des visites de ses réalisations qui ont permis de convaincre des qualités et de l’économie de cette construction.
Selon Francis Jacquier, il n’est pas si compliqué de construire en pierre, il faut simplement savoir comment le faire. Et cela ne demande pas une technicité incroyable, mais beaucoup de bon sens. Les pierres sont simplement empilées les unes sur les autres avec du mortier, comme une construction en brique.
L’intégralité des murs porteurs des bâtiments à Plan-les-Ouates sont réalisés en pierre massive. Le bâtiment étant isolé à l’intérieur, la pierre calcaire est non seulement visible en façade mais également présente dans les appartements grâce aux murs porteurs organisés en système de couronnes. En raison de leur inertie thermique, les pierres assurent un refroidissement passif des bâtiments en cas de fortes températures et amènent une athmosphère chaleureuse dans les espaces intérieurs.
Faible coût CO2
En termes de coûts CO2, les architectes démontrent que la pierre est un excellent matériau. Tout d’abord, aucune énergie est nécessaire à sa fabrication. Puis, son extraction est étonnamment très peu contraignante, les outillages sont presque ridicules et n’ont rien à voir avec des grandes installations industrielles. Le coût du transport, que ce soit en CO2 ou en argent, représente beaucoup en pourcentage car il s’agit presque du seul paramètre à prendre en compte. Mais en valeur absolue, cela ne représente que très peu d’argent et de CO2.
Un laboratoire de l’EPFL a comparé un mur de béton d’un mètre carré et un mur de pierre d’un mètre carré également. Les résultats montrent un gain de 79 pour cent de CO2 utilisé pour la pierre par rapport au béton. En plus, si l’on augmente la durée de vie du mur de 60 ans à 100 ans – ce qui est largement envisageable avec la pierre – ils arrivent à un gain de 88 pour cent.
Faire changer les idées reçues
Une grande partie de la population pense que la construction en pierre est trop chère, trop astreignante, et même dépassée. Mais ce sont des fausses idées, selon Francis Jacquier. Nous nous sommes habitués à construire avec des matériaux standardisés mais d’autres alternatives restent possibles. Par leurs projets, l’Atelier Archiplein et Perraudin architecture démontre à quel point le travail avec la pierre massive peut-être une solution envisageable pour une architecture plus respectueuse du climat.
L’Atelier Archiplein est actuellement entrain de terminer un autre projet à Genève dont la structure est complètement réalisée en pierre, hormis les dalles, qui sont, cette fois-ci, réalisées en bois, contrairement aux bâtiments de Plan-les-Ouates, où elles sont en béton. Ainsi, ils continuent d’améliorer le bilan environnemental de leur démarche.
Première publication dans Arc Mag 2023-5
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