Le nouveau Kunsthaus Bâle-Campagne de Buchner Bründler ouvre ses portes
À cheval entre Bâle et Münchenstein, la zone industrielle du Dreispitz est en pleine mutation. Bureaux et logements y côtoient des bâtiments voués à l’enseignement et à la culture. La fondation Kunstverein Baselland a confié à Buchner Bründler Architekten la conception d’un nouveau musée dans un ancien entrepôt. Les trois nouvelles tours sculpturales en béton qui surplombent la toiture sont le signe architectural que le nouveau musée s’adresse au public.
Texte: Roman Hollenstein
Photos: Maris Mezulis
Bâle la culturelle jouit d’une reconnaissance internationale pour sa scène musicale et théâtrale, mais aussi et surtout pour sa scène architecturale et artistique. Les incroyables fonds artistiques de la ville expliquent la construction de nouveaux bâtiments importants au cours des trois dernières décennies: le musée Tinguely de Mario Botta, la Fondation Beyeler de Renzo Piano et – nouvelle invention muséale – le Schaulager de Herzog & de Meuron. Ces deux derniers ont pour point commun de ne pas se trouver au centre-ville. La Fondation Beyeler est située à Riehen dans la périphérie bâloise, et le Schaulager se trouve à Münchenstein dans le canton de Bâle-Campagne, en bordure de la zone industrielle du Dreispitz. La ville trinationale a depuis longtemps tendu la main aux cantons voisins de Bâle-Campagne et de Soleure, ainsi qu’à la France et l’Allemagne. La Kunstverein Baselland illustre à quel point ces relations sont étroites. L’association artistique fondée en 1944 par des artistes locaux organise ses propres expositions depuis 1952. En 1998, elle inaugurait la Kunsthaus Basselland qui ne se trouve pas à Liestal, la capitale du canton, mais dans un bâtiment industriel réaffecté situé juste à côté du stade de football de Bâle, le Parc Saint-Jacques, sur la commune de Muttenz dans le canton de Bâle-Campagne (Baselland).
Herzog & de Meuron avaient eux aussi imaginé un programme semblable dans leur projet urbain «Vision Dreispitz» qui remonte à 2002 et dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Ils proposaient notamment de transformer la zone industrielle du Dreispitz, attribuée en droit de superficie par la Fondation Christoph Merian (CSM) à quelque 400 entreprises et s’étendant sur 50 hectares à parts égales entre les cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne, en un quartier vivant à usage mixte, marqué par un cœur culturel vibrant situé à proximité de l’ancien entrepôt des ports-francs.

Des tours de lumière prismatiques, placées dans la structure métallique existante de l'ancien entrepôt, sont des points d'ancrage dans une matrice spatiale qui structure l'espace d'exposition. | Photo: Maris Mezulis

Plan de situation | Plan: Buchner Bründler
Cluster et nouvelles synergies
Des «créatifs» s’installaient dans un premier temps autour de la Freilager-Platz. En 2008, la Dreispitzhalle sur la Helsinki-Strasse était transformée pour accueillir des manifestations culturelles; deux ans plus tard la radio coopérative Radio X emménageait aussi sur le même site. Mais c’est l’installation en 2014 de la Haute école de design et d’art (HGK) dans la tour marquante conçue par Morger Dettli et dans le Zollfreilager revitalisé par Müller Sigrist, qui marquait véritablement une rupture. Dans la foulée étaient inaugurés l’entrepôt Oslo-Sud, transformé par Rüdisühli Ibach pour accueillir la Maison des arts électroniques (HeK) et l’Atelier Mondial, ainsi que le bâtiment d’archives et de logements Helsinki, conçu par Herzog & de Meuron.

Coupe longitudinale | Plan: Buchner Bründler

Héritage: la structure du Dreispitzareal est marquée par des volumes allongés et répondait aux besoins logistiques du transport de marchandises par le rail et la route. | Photo: Maris Mezulis
Une transformation visible
Daniel Buchner et Andreas Bründler, associés depuis 1997, étaient parfaitement préparés au mandat d’études parallèles grâce à une expérience en matière de musées acquise lors de précédents concours à Bâle, Zurich et Coire. Le bureau s’est par ailleurs distingué dès le début par sa créativité. Un loft situé dans la Colmarerstrasse à Bâle les fit connaître en 2002. Des constructions audacieuses suivirent, attirant au passage des critiques admiratives: le Managerpavillon de Jinhua en Chine, le Volta-Zentrum à Bâle, le pavillon suisse brutaliste de l’exposition universelle de Shanghai, la Garden Tower végétalisée à Wabern près de Berne, sans oublier toute une série de maison individuelles toutes plus originales les unes que les autres. On leur doit aussi des projets de transformation réussis comme l’hôtel Nomad à Bâle.
Pour le projet de la Kunsthaus Baselland, Buchner et Bründler ont caressé l’idée d’une construction nouvelle actant de la destruction de la halle existante. Leur analyse de la situation actuelle et de l’avenir du périmètre révélant cependant que la plupart des anciens entrepôts disparaîtraient tôt ou tard, ils décidèrent d’emprunter la voie de la transformation et de conserver un bâtiment à la typologie par ailleurs marquante. Les halles de ce type se prêtent parfaitement à l’exposition d’œuvres d’art, ce que Urs Raussmüller avait déjà testé en 1978 en aménageant la halle pour l’art nouveau international (InK) à Zurich. Les architectes ont proposé d’insérer dans le hall de 63 x 25 mètres et de 10 mètres de haut trois espaces de galeries de taille identique, qui s’étendent jusqu’au toit. Au rez-de-chaussée et à l’étage, elles sont entourées d’autres salles de galeries. Il en résulte une succession méandreuse et variée de salles d’exposition de tailles et de hauteurs différentes. Sorte de mobilier spatial, cet aménagement intérieur est porté par trois «silos de lumière» de 20 mètres de haut qui percent les tôles ondulées de la toiture à faible pente, stabilisent l’ancienne halle et signalent le nouveau centre d’art au loin. Buchner Bründler avaient testé en 2010 un principe semblable pour la transformation d’un rustico dans le village montagnard de Linescio au Tessin. Seule une cheminée sculpturale blanche laisse deviner l’insertion d’un corps en béton à l’intérieur de l’enveloppe érodée en pierre naturelle.

Visibilité: leur caractère prismatique donne aux silos de lumière disposés entre la structure métallique de l’ancien entrepôt le rôle de repères visuels dans la matrice spatial qui structure l’espace d’exposition. | Photo: Maris Mezulis
Des tours dansantes
Depuis l’arrêt de tram Freilager, on aperçoit déjà les trois silos de lumière qui s’élèvent au-dessus de la toiture de la halle et semblent danser à côté de celle de la HGK. Minimalistes ou néo-cubistes, les impressionnantes sculptures en béton jouissent d’une identité assez forte pour affirmer leur présence à côté des futurs immeubles du campus universitaire conçus par Grafton Architects (Dublin) qui devraient sortir de terre d’ici 2032.
À l’arrière du parvis couvert de la Maison des arts électroniques (HeK), un escalier court mène au foyer de la Kunsthaus. Les architectes n’avaient à l’origine prévu ici que le passage imposé par le programme de concours entre la Freilager-Platz et la Helsinki-Strasse. Les échanges et la collaboration avec Ines Goldbach, directrice de la Kunsthaus, débouchaient finalement sur la conception d’un vaste foyer pouvant être séparé par une longue paroi coulissante et accueillant des manifestations, des vernissages, des présentations artistiques ou convenant simplement à un usage informel. L’espace d’accueil adjacent, qui sert également de café-bar, est entièrement en bois, à l’image de la petite bibliothèque conçue comme une étagère massive. L’objet, plus ou moins apparenté à l’Arte Povera, a été fabriqué à partir de vieilles planches de la toiture de la Dreispitzhalle qui ne pouvaient plus être utilisées. La structure en acier filigrane de la toiture a pu être restaurée, de même que les auvents et l’enveloppe du bâtiment en briques silico-calcaire isolée à l’intérieur et recouverte de panneaux de plâtre. Les portes en bois servant au transbordement des marchandises ont cependant été remplacées par des portes et des fenêtres laissant pénétrer suffisamment de lumière dans l’entrée.

Structure spatiale: des poutres à hauteur de mur et des dalles relient les silos pour créer un deuxième niveau d’exposition. Parallèlement, ces éléments soutiennent la fragile charpente métallique. | Photo: Maris Mezulis
La question environnementale
La Kunsthaus Baselland représente à n’en pas douter un nouveau phare du paysage muséal suisse. Mais le béton n’y est-il pas trop célébré, alors que son emploi est actuellement décrié pour des raisons écologiques et environnementales? Les critiques existent déjà, comme le confirme Andreas Bründler qui souligne aussi le fait que la conception du projet remonte à une dizaine d’années. Le bilan carbone négatif du béton n’alimentait alors pas les discussions d’ordre écologique. À cela s’ajoute l’argument économique: une construction en bois – matériau qui éprouve encore des difficultés à s’imposer dans l’architecture des musées – aurait été compliquée et plus coûteuse. Pour leur décharge, Buchner Bründler concilient par ailleurs depuis plusieurs années déjà la recherche de solutions architecturales marquées par une géométrie sculpturale et la mise en œuvre de matériaux plus respectueux de l’environnement. Le projet pour un nouveau bâtiment administratif cantonal à Liestal en témoigne, avec son ossature bois et une annexe pavillonnaire en pisé, une technique aussi proposée dans l’extension monolithique du Kunstmuseum d’Olten.
Le projet Kunsthaus Baselland a remporté le Swiss Arc Award 2024 dans la catégorie Loisirs & Lifestyle
Première publication dans l'Arc Mag 2024–3. La traduction en français a été revue par François Esquivié. Commandez votre exemplaire ici