Nouvelle porosité

Publié le 16 août 2023 par
Roman Hollenstein

Avec la kHaus, Focketyn del Río Studio met un point final à une reconversion de site étalée sur plusieurs décennies: à Kleinbasel, l’ancienne caserne est devenue un lieu culturel et créatif très prisé.

Photos: Adrià Goula

​ kHaus à Bâle ​

kHaus à Bâle | Photo: Adrià Goula

kHaus à Bâle | Photo: Adrià Goula

Après 1848, la construction de casernes constituait l’une des priorités de la jeune Confédération helvétique. Certaines d’entre elles, érigées dans des endroits prestigieux du centre-ville, revêtaient un certain faste, à Zurich par exemple, ou encore à Bâle, où le bâtiment néogothique conçu par Johann Jakob Stehlin-Burckhardt et achevé en 1863 se dresse sur les rives de la cité rhénane. La caserne tourne cependant le dos au fleuve: marquée en son centre par un volume en saillie, la façade principale est orientée vers Kleinbasel. Flanqué de tours crénelées, le bâtiment monumental rouge forme avec les écuries, le manège et l’église conventuelle médiévale de Klingental – déjà transformée à l’époque baroque à des fins militaires – un U entourant la place d’exercice centrale. Jusqu’au départ de l’armée en 1966, un grillage fermait cette dernière côté ville, lui donnant des aspects de cour d’honneur d’un château. Peu après l’ouverture du périmètre au public, des artistes ont aménagé leurs ateliers dans l’église, et une école s’est installée provisoirement dans le bâtiment principal, profitant de sa structure rationnelle et de ses espaces généreux. Mais la ville avait déjà l’intention de réaffecter l’ensemble du site et organisait en 1973 un concours d’idées. Parc, lotissement résidentiel voire encore marina, aussi différentes soient-elles, toutes les propositions se prononçaient en faveur d’une destruction de l’existant, exception faite de l’église inscrite à l’inventaire des monuments. Cela n’a pas empêché plusieurs associations sportives, une communauté religieuse musulmane et le Junges Theater Basel de s’installer dans les anciennes écuries. Avec l’emménagement en 1987 de la scène indépendante du théâtre, de la danse et de la performance dans l’ancien manège, le site de la caserne était définitivement inscrit sur la scène culturelle bâloise. À ces utilisateurs sédentaires s’ajoutent depuis le début des années 2000 la Foire d’automne, le Basel Tattoo et l’Open Air Basel, des événements ponctuels attirant par vagues les visiteurs dans la cour de la caserne. Celle-ci n’avait alors aucune relation avec la promenade du Rhin en raison de la présence hermétique du bâtiment principal.

Situation kHaus | Plan: Focketyn del Río Studio
Axonométries kHaus | Plan: Focketyn del Río Studio
Photo: Adrià Goula

Photo: Adrià Goula

Photo: Adrià Goula

Ouvertures en direction du Rhin

Alors que le scénario du départ des écoles installées sur le site se concrétisait, le canton de Bâle-Ville lançait en 2013 un concours visant à rénover complètement le monument pour le transformer en un «centre contemporain de la culture et de la création», tout en créant une «liaison généreuse entre la cour de la caserne et la promenade du Rhin». Parmi les 39 projets rendus, c’est la proposition de Hans Focketyn et Miquel del Río qui a été retenue. Le genevois d’origine belge, né en 1976, et l’espagnol originaire de Barcelone, de quatre ans son cadet, s’étaient rencontrés chez Herzog & de Meuron et ont sauté sur l’occasion pour fonder le bureau Focketyn del Río Studio (FDRS). Ils ont rapidement pu démontrer leurs talents créatifs, mais aussi leurs compétences en matière d’exécution, avec des transformations très remarquées comme le club de musique «Parterre One» à Bâle, et l’extension d’une école à Birmenstorf, près de Baden. Une fois la rénovation de la caserne achevée, les deux architectes se sont néanmoins séparés en 2022 pour fonder deux bureaux indépendants. Pour le projet de caserne, ils ont tenté de «formuler de nouvelles phrases avec de vieux mots», souligne Miquel del Río. À l’entendre, cette approche a facilité la transformation du bâtiment militaire en un bâtiment public capable de «refléter l’ADN du quartier culturel existant».

Jusqu’à présent, la façade donnant sur le Rhin était repoussante. Une nouvelle entrée spacieuse mène désormais au foyer, lui aussi neuf et composé de plusieurs étages. | Photo: Adrià Goula

Jusqu’à présent, la façade donnant sur le Rhin était repoussante. Une nouvelle entrée spacieuse mène désormais au foyer, lui aussi neuf et composé de plusieurs étages. | Photo: Adrià Goula

Jusqu’à présent, la façade donnant sur le Rhin était repoussante. Une nouvelle entrée spacieuse mène désormais au foyer, lui aussi neuf et composé de plusieurs étages. | Photo: Adrià Goula

En renonçant délibérément à toute intervention visible à l’extérieur, les architectes ont renforcé l’importance des nouvelles relations à établir entre le site de la caserne et le Rhin. Seules les fenêtres du rez-de-chaussée ont été transformées en portes, allouant une toute nouvelle porosité au bâtiment. Au lieu d’une liaison purement fonctionnelle traversant la caserne, les architectes ont déployé une zone collective sur deux niveaux. Ses niches et recoins invitent à l’arrêt et à l’échange, le tout sans obligation de consommer. La plus-value socioculturelle de cet espace intérieur a enthousiasmé le jury du concours, tout comme les jeunes acteurs culturels bâlois qui avaient défini le programme spatial initial. Outre des établissements de restauration et une salle polyvalente, il prévoyait des bureaux et des studios dans les anciens dortoirs, ainsi que des espaces de co-working dans les couloirs surdimensionnés.

Le charme de l'existant

Malgré la réaffectation, Focketyn et del Rio sont parvenus à conserver le charme de l’ancien bâtiment. De petits détails comme les vieux radiateurs ou les rebords de fenêtres usés, à peine restaurés, y contribuent. Juste à côté des deux tourelles, deux cages d’escalier de secours ont été créées à la place d’étroits dortoirs. Leur construction massive en béton coulé sur place et de couleur rouge grès rhénan, d’aspect très organique, assurent également le renforcement de la résistance sismique du bâtiment. Les cages d’escalier permettent en outre une desserte des bureaux, libérant de la sorte les couloirs qui deviennent des lieux de travail temporaire supplémentaires pour les artistes indépendants et les nomades numériques. Mais la plus grande intervention est le nouvel espace central, dissimulé derrière le volume en saillie donnant sur la cour. L’espace en question s’étend sur cinq axes et n’occupe, comme les escaliers de secours, que la couche spatiale des anciens dortoirs. Pour ce faire, une «bulle» de 22 mètres de hauteur a littéralement été libérée dans le bâtiment. Un foyer de 13 mètres de haut, soit trois étages, y est inséré et sert d’intermédiaire entre les entrées du rez-de-chaussée côté cour et celles du rez-de-chaussée inférieur côté Rhin. Exactement au-dessus se trouve une salle polyvalente de deux étages et de neuf mètres de haut.

Dans les deux nouvelles cages d’escalier, le béton a été coloré afin de le rapprocher visuellement de la couleur des façades. | Photo: Adrià Goula
De nombreuses surfaces n’ont subi qu’une légère intervention. | Photo: Adrià Goula

Fascinantes trouvailles spatiales

En mai 2022, après quatre ans de travaux, l’ancienne caserne rebaptisée KHause a pris le cours de sa nouvelle vie, celle d’un lieu de rencontre et de centre dédié à la création. Le bâtiment qui semblait autrefois inaccessible depuis le Rhin s’ouvre aujourd’hui au rez-de-chaussée, à la faveur d’une voûte surbaissée en béton rouge. Elle coiffe douze battants vitrés que l’on peut rabattre complètement durant les beaux jours. Ce front transparent abrite une structure spatiale aux accents baroques, aux angles arrondis, dans laquelle la lumière pénètre par des fenêtres alignées les unes au-dessus des autres, et alloue par moment à l’espace une atmosphère quasi sacrée. Le foyer, certainement l’un des plus beaux de l’architecture suisse récente, rappelle la chapelle construite par Le Corbusier à Ronchamp, mais aussi le hall d’accueil du Palacinema à Locarno imaginé par Alejandro Zaera-Polo. À Bâle, le rez-de-chaussée inférieur est relié au rez-de-chaussée aux allures de galerie par un escalier incurvé qui dynamise l’espace et se présente comme une scène sur laquelle on voit et l’on est observé. Cette mise en scène intérieure, qui mérite bien son nom de Plaza proposé par les architectes, se prêterait aussi bien à des représentations théâtrales qu’à des défilés de mode. Mais une Plaza doit être un lieu ouvert à toutes et à tous. C’est pourquoi elle a été aménagée comme un espace extérieur – avec des sols et des marches en terrazzo rouge ainsi que des murs grossièrement crépis.

Un café occupe une partie de la galerie que des ouvertures en forme d’arcades relient à la couche du bâtiment restée identique dans son organisation. Dans l’atrium central, placés de part et d’autre du portail principal, les anciens escaliers en cascade mènent aux niveaux supérieurs. Le deuxième étage abrite une salle polyvalente sur deux étages pouvant accueillir des concerts, des spectacles de danse, des productions théâtrales ou des réceptions. Le plafond et les murs – une nouvelle structure en béton – ainsi que les panneaux acoustiques noirs coulissants situés devant les fenêtres y font régner une ambiance d’usine. Encore plus haut dans la tour sud, le bar branché Amber est une aimant culturel supplémentaire qui offre depuis sa terrasse une vue imprenable sur la ville. Au rez-de-chaussée, l’avant-corps central crénelé donne accès à la cour de la caserne. Dans l’aile reliant l’église, un passage aux allures de porte de ville, voûté comme l’est celui de la Plaza, assure nuit et jour la liaison entre le quartier culturel et la Klingentalgässlein, qui mène à la promenade du Rhin. De l’autre côté de la cour, un petit porche existant donne sur une cour intérieure d’où l’on accède latéralement à la mosquée nouvellement aménagée, ou aux escaliers menant au Klingentalgraben.

Construire à l'heure du changement climatique

Grâce à des interventions subtiles alliant conservation de la substance et rénovations précises, les architectes ont réussi à préserver un monument important, tout en l’enrichissant de la véritable trouvaille architecturale contemporaine que représente la Plaza centrale. L’ancienne caserne devenue kHaus est un exemple de revitalisation aussi bien pensée et exécutée que peu démonstrative qui apporte une pierre remarquable au grand chantier que représente la construction à l’heure du changement climatique. Une attitude réclamée par de jeunes architectes engagés dans la récente exposition «Die Schweiz. Ein Abriss» du Musée Suisse d’Architecture à Bâle.

Coupe B | Plan: Focketyn del Río Studio
Coupe C | Plan: Focketyn del Río Studio
Coupe A | Plan: Focketyn del Río Studio
3ème étage | Plan: Focketyn del Río Studio

Plus de photos et de plans ici: batidoc.ch/projet/transformation-khaus/928153

Première publication: Arc Mag 2023–3

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