Un éclat urbain à la campagne

Publié le 03 avril 2024 par
J. Christoph Bürkle

Autrefois utilisé à des fins agricoles, le Lindenhof à Amriswil est désormais classé monument historique. Après l’incendie de la grange, Lukas Imhof a été mandaté pour la remplacer par des logements. Son approche analogue a permis de renouer avec beaucoup de particularités de l’ancienne maison à colombage, tout en y insufflant de nouvelles qualités avec des typologies en split-level: le projet illustre qu’il est possible de construire un habitat moderne aux caractéristiques urbaines en milieu rural, sans porter atteinte à l’image de la localité.

Texte: J. Christoph Bürkle

Photos: Hannes Heinzer

Une nouvelle construction remplaçant la grange, une ancienne maison d’habitation et une remise forment une cour commune. L’ancienne fontaine est le point central et un lieu de rencontre. | Photo: Hannes Heinzer

Une nouvelle construction remplaçant la grange, une ancienne maison d’habitation et une remise forment une cour commune. L’ancienne fontaine est le point central et un lieu de rencontre. | Photo: Hannes Heinzer

Une nouvelle construction remplaçant la grange, une ancienne maison d’habitation et une remise forment une cour commune. L’ancienne fontaine est le point central et un lieu de rencontre. | Photo: Hannes Heinzer

La Suisse et ses «zones calmes»: comprenez les «espaces résiduels» à caractère rural, situés entre les régions métropolitaines. On y trouve pêle-mêle des zones agricoles, des parcs paysagers, et bien entendu les espaces de loisirs et les refuges à usage des villes et de leurs citadins. Depuis longtemps déjà, ces zones sont exposées à la suburbanisation progressive et ne se distinguent guère des milieux urbains grâce à l’extension constante des infrastructures, notamment celles des transports publics. Alors que les zones rurales ont longtemps été intéressantes pour les entreprises artisanales et industrielles en raison du prix modérés des terrains, la pénurie de logements et la hausse des loyers en ville ont poussé de plus en plus de personnes à s’y installer, reléguant aux vieux souvenirs la mode de la «maison individuelle en bordure de ville» des années 1970 à 1990. De manière concomitante, de plus en plus de personnes recherchent un style de vie plus «campagnard».

Une alternative à la villa

L’urbanisation des zones rurales a toujours suivi les axes majeurs de circulation. Villages-rue et bâtiments dispersés ont d’abord densifié les abords de ces axes avant de s’étendre dans la campagne environnante. La magistrale qui relie Frauenfeld à Romanshorn, sur laquelle se déploie la quasi-totalité des activités de la Thurgovie, en est un bon exemple. Des transports de récoltes et de bétail au trafic individuel en passant par les poids lourds, tous ceux qui se déplacent dans le canton empruntent cette axe. Les voies couvertes et les murs anti-bruit à l’esthétique douteuse se multiplient aussi dans les villages voisins, ce qui, à long terme, met en péril l’architecture et l’image des localités. On n’érige plus de nos jours de constructions emblématiques porteuses de sens, à l’image des églises qui sont des ouvrages visibles depuis la route nationale et indiquent un centre de village. Aujourd’hui, sur cet axe, seule l’usine surdimensionnée d’incinération des déchets située dans les environs de Weinfelden semble indiquer la voie à suivre. Un landmark immanquable, triste métaphore d’une cathédrale du progrès.

La croissance démographique, la densification du territoire bâti, la canalisation du trafic et les changements d’affectation agricole ont finalement éveillés les cons­ciences politiques et planificatrices pour mener une révision de l’organisation des zones à bâtir, en particulier dans la région d’Amriswil, qui laisse un grand potentiel pour les innovations architecturales. Elle vise à la décentralisation des transports en parallèle à une consommation parcimonieuse du sol, à la préservation des paysages non-bâtis encore existants, à la densification à l’intérieur des agglomérations, ou encore à la réaffectation au logement de bâtiments agricoles et industriels devenus inutiles mais porteurs d’une identité locale, contrecarrant ainsi la construction de nouveaux lotissements.

Le nouveau bâtiment dialogue avec son environnement et s'intègre harmonieusement dans le contexte du lieu. | Photo: Hannes Heinzer

Le nouveau bâtiment dialogue avec son environnement et s'intègre harmonieusement dans le contexte du lieu. | Photo: Hannes Heinzer

Le nouveau bâtiment dialogue avec son environnement et s'intègre harmonieusement dans le contexte du lieu. | Photo: Hannes Heinzer

Ancien, transformé ou neuf?

Parmi les bonnes pratiques issues de cette stratégie figure le bâtiment qui remplace le la grange du Lindenhof, une ferme située à Oberaach dans la commune de Amriswil. Auteur du projet, Lukas Imhof s’est laissé inspirer par l’ancien bâtiment, tout en proposant une typologie originale. Le Lindenhof est une ferme historique datant du début du 19ème siècle; elle est disposée autour d’une cour rectangulaire légèrement asymétrique, flanquée d’une maison d’habitation aux accents classiques, d’une remise et de la grange en question.

Le Lindenhof est un ensemble emblé­matiques de la commune, qui n’a par ailleurs pas beaucoup de constructions remarquables à offrir. Si bien que, lorsque la grange construite en 1829 a brûlé malencontreusement en 2018, les voix se sont faites unanimes quant à la nécessité d’une reconstruction reproduisant son aspect extérieur, mais offrant une nouvelle affectation. Ainsi a-t-il été décidé que le volume de l’ancien bâtiment abriterait des logements économiques destinés à des familles, ainsi que des colocations. Un programme plutôt rare en milieu rural, mais tout à fait représentatif d’un type croissant de projets qui cherchent à transposer des concepts d’habitat urbain à la campagne.

Le volume de la nouvelle construction était imposé par celui de l’ancienne grange. Avec des hauteurs d’étage normales, les fenêtres des combles auraient été trop basses au niveaux des murs et trop hautes dans la toiture. Cette coupe transversale montre comment le problème a été résolu grâce au split-level. Coupe transversale | Plan: Lukas Imhof Architektur

Le volume de la nouvelle construction était imposé par celui de l’ancienne grange. Avec des hauteurs d’étage normales, les fenêtres des combles auraient été trop basses au niveaux des murs et trop hautes dans la toiture. Cette coupe transversale montre comment le problème a été résolu grâce au split-level. Coupe transversale | Plan: Lukas Imhof Architektur

Le volume de la nouvelle construction était imposé par celui de l’ancienne grange. Avec des hauteurs d’étage normales, les fenêtres des combles auraient été trop basses au niveaux des murs et trop hautes dans la toiture. Cette coupe transversale montre comment le problème a été résolu grâce au split-level. Coupe transversale | Plan: Lukas Imhof Architektur

Les architectes ont ainsi été invités à construire un bâtiment ressemblant à une grange. Pour répondre à cette condition, ils ont respecté la forme du bâtiment incendié, avec sa toiture pliée à large saillie. Poussant plus loin cette démarche, ils ont fait revivre son portail de grange avec une grande ouverture vitrée. À l’intérieur, cinq appartements sont alignés à la manière de maisons mitoyennes. Celles-ci ne bénéficient pas de jardins à l’avant et à l’arrière, comme c’est le cas de leurs modèles, mais s’ouvrent sur une grande terrasse com­mune qui distribue chaque logement. Elle permet toutefois aussi des utilisations individuelles et fait la transition spatiale avec la grande cour du complexe, où l’eau d’une vieille fontaine coule comme un murmure continu. Ce point d’eau est le centre spatial et social de l’ensemble, comme c’était d’ailleurs déjà le cas aux siècles précédents.

Les appartements possèdent des salons et des halls d’entrée surélevés par rapport au terrain, à partir desquels les utilisateur·rice·s accèdent à la terrasse commune. | Photo: Hannes Heinzer

Les appartements possèdent des salons et des halls d’entrée surélevés par rapport au terrain, à partir desquels les utilisateur·rice·s accèdent à la terrasse commune. | Photo: Hannes Heinzer

Les appartements possèdent des salons et des halls d’entrée surélevés par rapport au terrain, à partir desquels les utilisateur·rice·s accèdent à la terrasse commune. | Photo: Hannes Heinzer

Vivre dans la «grange»

Afin d’obtenir des espaces de vie aussi grands et différenciés que possible, Lukas Imhof, en collaboration avec Krattiger Holz­bau, a développé une construction préfabriquée en bois permettant de créer, à la faveur de split-level, des structures spatiales variées. Les 155 mètres carrés des 5,5 pièces proposent ainsi un plan individuel et neutre animé par un décalage de niveau. Tous les logements partagent cependant un grand hall d’habitation ouvert d’un côté sur la cour, et de l’autre sur le paysage. La clarté des espaces et la palette réduite de matériaux judicieusement utilisés – beaucoup de surfaces boisées et parquetées –, associés à des combinaisons de couleurs évoquant des concepts modernistes, parachèvent de donner aux logements une atmosphère urbaine contemporaine. Avec ses contreventements en bois et son bardage en épicéa, les façades évoquent la grange, tout comme le revêtement en Eternit rouge du pignon ouest, qui lui renoue avec un motif récurrent des constructions rurales.

Niveau 4 + 5 | Plan: Lukas Imhof Architektur
Coupe longitudinale | Plan: Lukas Imhof Architektur
Niveau 1 | Plan: Lukas Imhof Architektur
Niveau 2 + 3 | Plan: Lukas Imhof Architektur

Dans le cas du Lindenhof, l’idée de vivre dans une grange et le choix d’une préfabrication en bois sont une formule à la fois pertinente et financièrement intéressante. Lukas Imhof souligne d’ailleurs que cela est en grande partie dû à une maîtrise d’ouvrage très ouverte, ainsi qu’à une collaboration extrêmement productive avec l’entreprise de construction en bois locale. Les façades principales ne sont que très peu exposées aux intempéries, en raison du grand avant-toit, autorisant le choix d’un bardage relativement simple et de fenêtres et embrasures moins chères mais nobles d’aspect. Dans les combles habitées, des tuiles en verre ont été placées dans le large avant-toit, permettant ainsi à la lumière naturelle d’y pénétrer, malgré une hauteur de façade réduite. Pour éviter que les combles habitables ne soient sombres malgré le grand avant-toit, les architectes ont imaginé un élément particulier: des tuiles trans­parentes et des fenêtres placées très bas laissent passer la lumière et créent une ambiance particulière.

Les appartements sont destinés à des familles ainsi qu’à des colocations et sont abordables. Ainsi, Le loyer d’un 5,5 pièces de 165 mètres carrés se monte à CHF 2100. | Photo: Hannes Heinzer
Les architectes ont renoncé aux lucarnes dans la toiture afin de ne pas perdre la référence de l’ancienne grange. Pour apporter de la lumière dans les niveaux supérieurs, des fenêtres ont été disposées au niveau du plancher. | Photo: Hannes Heinzer

Pittoresque, mais contemporain

Le nouveau Lindenhof est un exemple réussi illustrant la stratégie de planification dans les «zones calmes» évoquée en début de texte. Pour transformer la ferme classée monument historique, tout en préservant l’image historique du site, Lukas Imhof, un enfant du pays, s’est inspiré de la typologie des bâtiments à colombages. La construction présente ainsi un langage architectural harmonieux et original qui perpétue d’un côté le souvenir du Lindenhof, et marque par ailleurs de son empreinte l’image du village. L’habitat urbain et contemporain créé démontre qu’une densification de la campagne est envisageable, et qu’il est possible de combiner les qualités d’une maison individuelle avec celles d’un habitat collectif, sans pour autant favoriser le mitage et la consommation de terrain.

Première publication dans Arc Mag 2024–2. Le texte a été traduit en français par François Esquivié.

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