Une rénovation pleine de sens – RWPA transforme l'ancienne filature Hermann Bühler
Une trentaine d’années après avoir été mises en activité, les halles de production les plus récentes de l’entreprise Hermann Bühler ont déjà perdu leur utilité suite à la fermeture de la filature située près de Winterthour. Grâce à des interventions ciblées, le caractère original du bâtiment et son utilisation commerciale ont pu être conservés. Trois halles et leur aile de service offrent aujourd’hui des locaux commerciaux polyvalents.
Texte: Daniela Meyer
Photos: Lucas Peters
Aujourd’hui lié à Winterthour, le quartier «Sennhof» était à l’origine un hameau dont le développement est étroitement lié à l’histoire de la famille Bühler, qui y exploita une filature de coton pendant plus de 150 ans. En 1860, l’entreprise Hermann Bühler faisait construire dans la commune de Kyburg une première usine alimentée par l’énergie hydraulique de la Töss sur les rives où elle se trouvait. La nouvelle fabrique attira une population ouvrière que l’on installa dans les Kosthäuser (maisons ouvrières typiques du canton de Zurich) de Sennhof. Si les logements ont depuis disparu, la silhouette marquante de la filature construite en 1880 reste aujourd’hui liée à l’image de la localité. La grue rouge surplombant l’ensemble signale toutefois du changement. Depuis que l’entreprise a dû cesser ses activités en 2016, les bâtiments de l’usine sont petit à petit réaffectés. Alors que la plus ancienne des filatures accueillera à l’avenir des logements, la transformation des bâtiments les plus récents est déjà terminée.
Règles d’interventions
À côté de l’ancienne filature se trouve la «Fabrik» – un bâtiment de 136 mètres de long par 71 de large. Sur la façade sud-est, un auvent en acier désigne un accès livraison niché dans l’un des trois avant-corps abritant un monte-charge et des escaliers. Mais plus que cela, ce sont les huit excroissances à l’expression plastique qui rythment la longue façade nord-est et qui suscitent la curiosité. Plus hauts que la halle dont ils se détachent, les huit volumes arrondis identiques sont habillés de plaques en fibrociment ondulées qui accentuent la verticalité des mystérieuses figures composées de quatre paires de tours. Des installations de ventilation s’y cachaient avant qu’un nouvel escalier très sobre n’invite à monter le long de la façade entre deux de ces volumes.
La façade ne renseigne pas sur ce qui est neuf et ancien; et le mystère régnant autour des fonctions assignées dans le passé aux différentes parties de l’ouvrage ne s’éclaircit pas une fois à l’intérieur. Béton, briques silico-calcaire et remplissages en briques rouges marquent l’atmosphère de l’entrée en double hauteur. «Nous avons établi quelques règles guidant la conception de ce très grand volume et des détails qui se répètent», explique Davide Pellegrino, l’un des membres fondateurs de RWPA Architektur établi à Winterthour. «Toutes les ouvertures occultées l’ont été avec des briques. Les surfaces de découpe des ouvertures créées dans les parois sont, elles, restées brutes afin d’attirer l’attention sur les interventions.» Les sols aussi suivent un principe: les surfaces horizontales sont en béton qui par endroits ont été seulement nettoyé, et à d’autres nouvellement coulé. Les éléments de liaison verticale comme les rampes et les escaliers ont quant à eux été poncés. De manière général, la conception suit l’existant. «Nous avons dès le début suivi la stratégie consistant à conserver autant que possible et à n’intervenir et compléter que lorsque c’était vraiment nécessaire», précise l’architecte.

Coupe | Plan: RWPA

Rez-de-chaussée | Plan: RWPA
Un couloir pour plus de clarté
Ce concept guidait les architectes dans le traitement des surfaces, mais aussi dans les interventions spatiales. Au nord-est, une aile de service s’étend devant les trois halles – l’une d’entre elles date de 1980; les deux autres, empilées l’une sur l’autre et construites dans le même style que la première, de 1990. Les connexions entre les halles et l’espace de bureaux, haut de deux à trois étages, étaient dictées par les processus de production de la filature, créant une structure spatiale imbriquée dans laquelle il était difficile de s’orienter. En plaçant un nouveau couloir entre l’aile de service et les halles, les architectes permettent de desservir les locaux adjacents et de les utiliser de manière flexible. La deuxième moitié du bâtiment au nord ayant été louée à une seule entreprise, il a été décidé en cours de planification d’arrêter le couloir en son milieu. La halle au nord-ouest conserve ainsi ses dimensions d’origine. L’aile de service accueille désormais des bureaux et des ateliers. «Cette combinaison de grandes halles de production et de petites surfaces de bureaux est rare», relève Martin Kägi, directeur de Hermann Bühler AG, et de poursuivre en remarquant que cela «a sans doute contribué à ce que toutes les surfaces soient louées rapidement après la fin des travaux de transformation.»
Les locataires profitent qui plus est de coûts énergétiques réduits. Alors qu’auparavant, la priorité était d’évacuer la chaleur des halles de production et de filtrer la poussière, les nouvelles affectations des locaux nécessitent aujourd’hui de les chauffer. L’ensemble a été raccordé au chauffage à distance par copeaux de bois de la centrale électrique de la ville de Winterthour. La force hydraulique, qui fournissait déjà de l’énergie à la filature, est encore utilisée aujourd’hui pour produire de l’électricité. Complétée par une installation photovoltaïque, l’électricité produite sur place suffit à couvrir tous les besoins du site de Bühler.

Les nouvelles ouvertures créées dans les façades revêtues de plaques Eternit suivent la structure des halles. | Foto: Lucas Peters
Percements supplémentaires
L’apport de lumière naturelle est un autre critère déterminant pour la qualité de surfaces commerciales et d’activités. «Intervenir sur les planchers minces composés de dalles nervurées en béton reposant sur des poutres massives en béton aurait entraîné de grands changements», rappelle Davide Pellegrino. Plutôt que de découper les dalles afin de laisser la lumière pénétrer par le haut, les architectes ont ainsi préférer créer de nouveaux percements dans les façades sud-ouest et nord-ouest, où ils alternent avec les parties opaques habillées de profilés dits Canaleta dans deux tons de brun différents. Produits en fibrociment, ces éléments ne sont plus disponibles aujourd’hui. Mais en raison de leur importance pour l’identité du lieu, de nouveaux éléments de raccord ont été fabriqués spécialement par Swisspearl.
Sur la façade nord-est, de nouveaux panneaux translucides habillent ponctuellement les tours, et pourvoient ainsi l’aile de service en lumière naturelle supplémentaire. Alors que les nouvelles fenêtres sont reconnaissables aux cadres en acier galvanisé, les cadres existants ont gardé leur teinte verte d’origine. De manière générale, les choix colorimétriques et matériels à l’intérieur comme à l’extérieur sont inspirés du bâti hérité des années 1980 et 1990.

Les anciennes tours techniques et un reste de la passerelle, transformée en balcon, caractérisent la façade nord-est. Une nouvelle entrée a été découpée dans l’une des anciennes tours. | Photo: Lucas Peters
Réponses tirées du passé
Des panneaux de façade aux plaques de fibrociment, des radiateurs aux lavabos, bon nombre d’éléments ont été collectés, préparés et réemployés in situ, comme ces profilés en acier qui ont été rezingués et assemblés en luminaires ou réutilisés pour la construction de pavillons extérieurs.
Les pièces de service telles que sanitaires et cuisines sont çà et là parées de jaune vif. Vert vif aussi, pour certains éléments constructifs comme le verre des garde-corps sur la toiture commune et sur le balcon qui s’avance devant la salle de pause. Couvert, cet espace extérieur est la partie conservée d’une passerelle menant en son temps au plus ancien bâtiment de la filature situé de l’autre côté de la rue.

Neue Elemente wie Brüstungen oder Stahlträger greifen den Grünton vorhandener Türen und Fensterrahmen auf. | Foto: Lucas Peters
De cette fonction passée témoigne encore le sol légèrement en pente et l’orientation biaise de l’appendice restant, qu’il a fallu, en raison de la démolition du reste de la passerelle soutenir avec une colonne en béton. Si la liaison spatiale entre les locaux commerciaux de la «Fabrik» et les appartements de la «Spinnerei» n’était plus souhaitée, la démolition de la passerelle n’exclut pas l’éventualité de voir les locataires des nouveaux logements rejoindre l’usine pour travailler dans l’une des entreprises qui y sont installées. Un peu comme à l’époque où les ouvriers de l’usine vivaient tout près de leur lieu de travail.
Le projet de l'Usine Bühler Areal a remporté le Swiss Arc Award 2024 dans la catégorie Loisirs & Lifestyle
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