Re-Transformation d'une ferme à la Cretâ

8 von 157

 
1684 Mézières,
Suisse

Publié le 07 avril 2025
Bard Yersin Architectes Sàrl
Participation au Swiss Arc Award 2025

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Route de Villaraboud 24, 1684 Mézières, Suisse
Catégorie de projet
Type de bâtiment
Achèvement
06.2022
Liens

Données du bâtiment selon SIA 416

Étages
2 étages
Nombre de sous-sols
1 étage
Surface de terrain
2500 m²
Surface de plancher
122 m²
Surface utile
168 m²
Volume bâti
555 m³
Coûts de construction (BKP 2)
150'000 CHF

Description

La ferme concernée par le projet a été transformée une première fois en 2011 par les anciens propriétaires. L’habitation existante a été rénovée tandis qu’un appartement était ajouté au rez-de-chaussée du rural désaffecté. Malheureusement, cette intervention a profondément dénaturé les espaces intérieurs de la grange et la façade arrière. Une dalle en béton s’est substituée aux anciens planchers, la structure en bois a fait place à des murs maçonnés, la complexité de la charpente originelle a été supprimée et remplacée par de grandes poutres en lamellé-collé alors qu’à chacun des choix de matériaux tout a été systématiquement entrepris pour annihiler toute trace de l’atmosphère rurale de l’édifice. Miraculeusement préservée, la façade longeant le chemin d’accès est ainsi devenue un simple et macabre décor qui a la manière d’un masque tentait péniblement de cacher la tristesse de cette intervention.

Le parti pris du projet consiste donc en la «re»-transformation de la grange dans une logique de soustraction afin de révéler les qualités préexistantes du lieu tout en lui conférant à nouveau ce caractère rural si particulier. À la place de projeter une nouvelle esquisse sur le palimpseste qu’est le territoire, il s’agissait plutôt d’en écorcher la surface pour harmoniser l’apport de ses différentes strates. Dans cet ordre d’idée, la principale intervention a été de redonner à l’ancienne fourragère ses qualités d’antan. Pour ce faire, les cloisons de la chambre qui y avait été créée durant la première transformation ont été supprimées permettant à l’espace de retrouver sa configuration traversante tandis que la dalle ajoutée lors de la précédente intervention a été sciée dans toute la profondeur de l’ancienne fourragère lui redonnant ainsi sa spatialité exceptionnelle. Cette opportunité habituellement coûteuse en surfaces disponibles est rendue d’autant plus crédible que le bâtiment étant situé hors de la zone à bâtir, la réglementation empêche toute utilisation du volume de l’étage laissé inoccupé depuis la réaffectation du rural en appartement. Il en résulte un plan triparti composé d’un espace de jour traversant qui occupe la partie de l’ancienne fourragère au centre, tandis que la cuisine, la salle de bain et la buanderie se logent dans la trame structurelle latérale à côté de l’habitation originelle. Au nord, contre le mur pignon, on retrouve les espaces de nuit et une salle de bain. Le budget étant limité, l’intervention se concentre donc principalement sur le séjour, la salle à manger, la cuisine et une des salles de bain, les autres pièces restant intouchées.

Les différentes matérialités sont pensées dans la continuité de ce principe de soustraction et d’harmonisation des couches successives de l’histoire de l’édifice. Le revêtement pseudo-toscan de la salle de bain est remplacé par un carrelage blanc carré évocateur des salles de traite et de leur clarté immaculée. L’insipide crépi qui recouvrait la dalle et les cloisons de briques a été piqué et sablé révélant ainsi la brique terre cuite et le béton sous-jacent. Les rhabillages au mortier apparaissent comme de véritables compositions tandis que dans l’épaisseur de la dalle sciée, on découvre d’étranges fossiles formés par la ferraille et les alimentations d’eau et d’électricité du passé. Les principes constructifs s’affichent ainsi avec une insolente honnêteté. Dans la même logique, les nouvelles cloisons séparant la double hauteur de l’espace de jour des galetas voisins, analogue aux séchoirs à foin, affichent leurs structures en épicéa tandis que les panneaux de fermeture en contreplaqué déroulé sont relégués au second plan. En supprimant ainsi les éléments dissonants, des liens se tissent entre les temporalités. Le dialogue avec l’histoire se renoue. L’édifice est rétabli dans un état complet, hors du temps.

«J’avoue ne pas croire au temps. J’aime plier mon tapis magique, après usage, de manière à superposer les différentes parties d’un même dessin. Tant pis si les visiteurs trébuchent! Et le moment où je jouis le plus de la négation du temps – dans un paysage choisi au hasard – c’est quand je me trouve au milieu de papillons rares et des plantes dont ils se nourrissent. Je suis en extase, et derrière cette extase, il y a quelque chose d’autre, qui est difficile à expliquer. C’est comme un vide momentané dans lequel s’engouffre tout ce que j’aime. Le sentiment de ne faire qu’un avec le soleil et la pierre.»

Vladimir Nabokov, Autres rivages ( fin du chapitre VI, «Papillons»)

Le projet de Bard Yersin Architectes a été soumis pour le Swiss Arc Award 2025 et publié par Elisa Schreiner. La version française a été revue par Estelle Gagliardi.

192243053