Immeuble d'habitation Missionsstrasse

 
4055 Basel,
Suisse

Publié le 10 mars 2022
Buchner Bründler Architekten AG
Participation au Swiss Arc Award 2022

Données du projet

Données de base

Situation de l'objet
Missionstrasse, 4055 Basel, Suisse
Catégorie de projet
Type de bâtiment
Achèvement
04.2020

Données du bâtiment selon SIA 416

Étages
de 3 à 5 étages
Nombre de sous-sols
1 étage
Nombre d'appartements
1
Surface de plancher
405 m²
Volume bâti
1190 m³

Description

Les photographies de la dépendance transformée en maison d’habitation à la Missionsstrasse ne révèlent pas le fait que l’on se trouve à quelques encablures de la Porte de Spalen au centre de Bâle. La surprise est grande lorsque l’on découvre le raffinement du monde intérieur imaginé par Buchner Bründler Architekten pour permettre à la lumière naturelle de pénétrer dans tous les espaces. Des références aux travaux de Gordon Matta-Clark et le rappel de thèmes architecturaux chers à Louis Kahn stimulent l’ensemble.

À l’occasion de la Biennale de Paris en 1975, les passantes et passants pouvaient observer à côté du Centre George Pompidou en cours de construction un homme, perché à une hauteur vertigineuse et coiffé d’un casque de chantier, découpant un cercle de quatre mètres de diamètre dans les façades de deux maisons vouées à démolition. Il s’agissait de l’architecte et artiste conceptuel nord-américain Gordon Matta-Clark. Les photographies documentant «Conical Intersect», la performance en question, sont devenues des icônes dans l’ensemble de l’œuvre de l’artiste. Non seulement parce que les découpes et pénétrations, à l’image d’une intervention chirurgicale, révélaient la vie intérieure, mais aussi parce qu’elles mettaient à nu les structures constructives et sociales.

Terrain de jeu architectonique
Mise à nu des structures, ouvertures spatiales, découpes et pénétrations – ces stratégies et techniques ont aussi été appliquées dans le cadre de la transformation d’une dépendance en une maison d’habitation à la Missionsstrasse de Bâle. Là aussi, ce sont de grands cercles découpés en façade et à l’intérieur qui attirent en premier l’attention. Si Gordon Matta-Clark était clairement une référence pour Andreas Bründler qui habite ici, la parenté ne réside toutefois pas dans la forme, mais dans le caractère performatif et interventionniste de ses «Anarchiectures». Celui qui, comme l’artiste, découpe un bâtiment dans une intervention radicale, doit auparavant l’avoir «maîtrisé» dans sa structure et son organisation, au sens concret comme au figuré. Les «cuts» de Matta-Clark sont en quelque sorte une «théorie appliquée» sur les limites et les possibilités de l’architecture, un véritable «terrain de jeu achitectonique», comme l’a souligné Philip Ursprung dans son essai «Gordon Matta-Clark und die Grenzen der Architektur».

Percer en direction de la lumière
Matta-Clark lui-même disait au sujet des Conical Intersects, qu’il découpait des ouvertures dans des maisons afin que «la lumière et l’air entrent dans des pièces qui n’en ont pas assez». C’était aussi le cas pour la dépendance. Structuré en deux parties, le bâtiment qui abritait d’un côté une remise pour les calèches, l’écurie, et par-dessus le grenier à foin recouvert d’un toit en appentis, et de l’autre une construction à pignons abritant une petite habitation, se trouve dans la partie la plus reculée d’un ancien parc de villas. Avec des ouvertures orientées au nord-ouest et nord-est, les espaces intérieurs ne bénéficiaient à aucun moment de l’année de la lumière directe du soleil. Le fait que l’ancienne dépendance soit séparée des bâtiments voisins par un mur coupe-feu rendait impossible la création d’ouvertures au sud. La lumière du jour devait donc être introduite par la toiture et par des ouvertures en façade élargies.

Conception spatiale intégrale
Des murs ont été abattus, des fenêtres agrandies et la toiture découpée. Sur place, une harmonie évidente se dégage de ce qui, à première vue, aurait pu paraître rustre, voire irrespectueux vis-à-vis de l’existant. Et la raison en est – à l’image des interventions de Matta-Clark – le dévoilement de la structure originelle, ou plutôt le fait qu’on puisse l’expérimenter spatialement. Un grand soin a été apporté à la matérialité des éléments ajoutés qui établissent un dialogue stimulant avec l’existant. Les murs en moellons blanchis à la chaux et les aménagements intérieurs en bois brut de sciage sont une invitation au toucher et au développement d’une relation charnelle avec le bâtiment. Le mariage de grands éléments en béton apparent avec les anciens plafonds à poutres en bois réinvente l’ensemble. En transformant et intégrant là où ils le pouvaient, ou là où ils en éprouvaient la nécessité, Buchner Bründler ont réussi à conserver l’identité de la dépendance, malgré la radicalité des interventions spatiales.

Cercles
La dépendance présente des éléments typiques du style suisse: un pignon décoratif composé de demi-arcs en plein cintre repose sur les chevrons et les pannes de la charpente en saillie. La seule solution envisagée par Andreas Bründler pour rendre habitable les combles de l’ancien logement consistait en la création de deux grandes ouvertures permettant à la lumière d’y pénétrer. La première, ronde, remplace le fenestron rectangulaire qui ornait à l’origine la façade pignon. La deuxième, triangulaire, se trouve en toiture et est actionnée mécaniquement. L’espace ainsi créé se révèle douillet et bénéficie d’une vue magnifique. Andreas Bründler évoque les «curieux» arcs décoratifs du pignon pour justifier le motif circulaire de la nouvelle fenêtre, tout comme pour expliquer les pénétrations spatiales soustractives au moyen de cercles dans l’espace intérieur.

Échelles décalées
La grande fenêtre ronde dans le pignon modifie de manière stupéfiante l’échelle de l’ensemble de la dépendance: depuis l’extérieur, la maison d’habitation fait penser à une petite gare de tendance Heimatstil. À l’intérieur, c’est l’inverse: malgré une surface au sol réduite, la chambre à coucher impressionne par sa générosité spatiale. Cet effet antinomique tient lieu de programme pour l’ensemble de la maison. Dans l’ancienne écurie qui accueille désormais la cuisine, les architectes ont agrandi les fenêtres existantes pour en faire des portes. Le fait que leurs arcs soient bétonnés et non maçonnés révèle qu’il s’agit de nouveaux ingrédients. La plupart des fenêtres à encadrements en bois ont un vantail battant, les autres présentent un vantail à soufflet. A l’étage, les ouvertures sont structurées par de profondes menuiseries horizontales qui ressemblent à des appuis de fenêtre. Et pour renforcer encore la relation entre intérieur et extérieur, une fenêtre coulissante aux dimensions impressionantes sépare le séjour du jardin côté ouest. Le mur d’enceinte et une fontaine aux allures de piscine définissent clairement l’espace extérieur en question et lui confèrent l’atmosphère d’un atrium.

De concert avec la structure
L’un des problèmes à résoudre consistait à faire entrer le plus de lumière possible dans la maison via l’agrandissement des ouvertures existantes et la création de nouvelles au nord et à l’ouest, ainsi que dans la toiture. L’autre résidait dans la nécessité d’amener cette lumière jusqu’au rez-de-chaussée pour en faire bénéficier la cuisine et le séjour – en d’autres termes, dans toute la profondeur du bâtiment et en particulier dans le «coin sombre» au sud. La solution a consisté à placer au sud et à l’ouest des puits de lumière à l’empreinte triangulaire. Lecture inversée: les pièces de l’étage et des combles reculent pour libérer deux «atriums». En outre, diverses ouvertures rondes et en arc de cercle permettent à la lumière de pénétrer dans deux salles de bains et dans un studio. Depuis le rez-de-chaussée, la vue en contre-plongée révèle deux «façades intérieures» qui donnent à l’espace un caractère généreux, voire monumental. Plutôt que de faire porter les nouveaux murs du niveau supérieur par le chevronnage existant, les architectes ont conçu un nouveau volume, une «maison dans la maison», tout en béton. De manière analogue à une table, cette dernière repose sur six piliers positionnés discrètement à fleur de façade. Quant aux anciennes poutres, elles ne jouent plus que partiellement un rôle structurel et s’appuient parfois sur la nouvelle structure en béton, un détail visible dans les puits de lumière. Elles s’arrêtent ici juste avant le mur sud où elles s’appuyaient autrefois sur des consoles, permettant ainsi à une lumière zénithale de descendre le long du mur. Les dalles en béton de 14 cm ont été coulées à même la poutraison et le lattage, la mise en place préalable de vis permettant de lier les deux matériaux. Afin de stabiliser la nouvelle structure, la cheminée a été conçue comme un pilier en béton, qui lévite certes dans le séjour, mais officie en tant que pilier à partir de l’étage supérieur pour soutenir les combles.

Une expérience spatiale variée
Buchner Bründler n‘ont pas cherché en premier lieu à maximiser la surface utile, mais plutôt à travailler avec l’espace et l’expérience qui en découle. Cette conception spatiale de l’architecture est rappelée à plusieurs reprises au visiteur: assis au bureau du petit studio à l’étage, une ouverture circulaire et le puits de lumière attirent tous les deux le regard vers l’extérieur, en direction de la cour verdoyante (voir la couverture du magazine). C‘est particulièrement le cas sur la «passerelle étroite» au deuxième étage, où ont pris place les anciens abreuvoirs pour chevaux qui font désormais office de lavabos. Perchés là-haut, notre vue plonge dans une salle de jeux en double hauteur, percevant au passage la structure majestueuse de l’espace, alors qu‘une imposante lucarne attire simultanément le regard vers ciel. Pour Andreas Bründler, les vides des deux atriums incarnent la dimension programmatique de l’espace. «Cela donnerait lieu à des discussions sans fin avec un maître d’ouvrage privé qui n’aurait en tête que la plus grande surface utile possible», explique-t-il. Il faut renoncer à quelques mètres carrés pour les créer. Celles et ceux qui font des randonnées en montagne ou qui ont regardé de plus près un tableau romantique, par exemple de Caspar David Friedrich, savent bien que l’expérience spatiale est liée à la vision lointaine et à la profondeur de l’espace, et non pas en premier lieu à la taille de la surface sur laquelle on se tient ou se déplace. On peut sans détours affirmer de la maison d’habitation à la Missionsstrasse qu’elle est une philosophie architecturale construite. Outre sa générosité réelle, c’est aussi ce qui alloue à la dépendance transformée son côté spirituel.

Texte: Christina Horisberger

Première publication: Arc Mag 2.2022

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