Seconde vie

Publié le 12 septembre 2022 par
Jørg Himmelreich

Ces derniers mois, la rédaction a très souvent reçu des dossiers sur des transformations et assainissements de bâtiments issus de l’époque du Mouvement moderne de l’après-guerre. Et dans ces envois, les dossiers des années 1970 occupent une grande place. Cela donne à réfléchir, car en Suisse, il semble que, pendant quelques années les travaux de démolition et de remplacement étaient la méthode privilégiée. Toutefois, ce sont surtout des préférences esthétiques qui alimentent les décisions de démolition. Car pour bon nombre de non-initiés, les années 1970 sont considérées comme l’«époque du mauvais goût». Et dans l’histoire de l’architecture de la Suisse, on repère ici un curieux trou noir: la plupart des récits proviennent en effet des modernes classiques, à savoir des architectes qui ont œuvré immédiatement après le minimalisme des années 1990. Relevons que cette décennie – en Suisse également – a donné naissance à des protagonistes importants et à des travaux pionniers: Walter Maria Förderer, Esther et Rudolf Guyer, et Max Schlup ne sont que quelques-uns parmi les nombreux architectes de cette période qui attendent d’être redécouverts.

Transformation et extension d'un entrepôt en logement, Holligerhof 8, Bern, BHSF Architekten ©BHSF Architekten
Transformation et extension d'un entrepôt en logement, Holligerhof 8, Bern, BHSF Architekten ©BHSF Architekten
Jardin d'enfant «Alte Post», Hunzenschwil, Schmid Schärer Architekten ©Jason Klimatsas
Jardin d'enfant «Alte Post», Hunzenschwil, Schmid Schärer Architekten ©Jason Klimatsas
Rénovation et extension de l'école Sonnenberg, Adliswil, Oxid Architekten ©René Dürr
Rénovation et extension de l'école Sonnenberg, Adliswil, Oxid Architekten ©René Dürr
Transformation et surélévation du bâtiment scolaire Plantahof, Landquart, Grigo Pajarola Architekten ©Seraina Wirz
Transformation et surélévation du bâtiment scolaire Plantahof, Landquart, Grigo Pajarola Architekten ©Seraina Wirz

Nouveau départ …

Rétrospectivement, ce sont surtout les grands lotissements d'habitation qui sont perçus comme l'héritage architectural des années 1970. Déjà lors de leur édification, ils avaient été souvent critiqués comme étant monotones et dépourvus d'idées. Les grands immeubles résidentiels offraient certes l'espace dont avaient urgemment besoin les «boomers»; mais les infrastructures publiques leur faisaient fréquemment défaut. Des critiques de l'architecture comme Rolf Keller sont même allés jusqu'à fustiger la totalité de la production architecturale de l'époque en la qualifiant de «destruction de l'environnement» - et ce, aussi à cause de la fixation de l'époque sur le trafic automobile privé, et parce qu'on avait encouragé à ce moment-là les forces débridées de la spéculation foncière.Mais les années 1960 à 1970 ont été une période marquée par l'essor économique et la croissance rapide où prédominait une ambiance de nouveau départ. C'était une phase de bouleversements, d'ouvertures et d'expérimentations sur le plan culturel, mais aussi en ce qui concerne l'architecture en particulier. Les valeurs, les normes et les modèles de vie changeaient. De nouvelles formes du vivre-ensemble devenaient possibles; elles étaient expérimentées, et on leur donnait parfois une forme architectonique. L'architecture devenait plus héroïque, plus poreuse et plus optimiste. On bâtissait à grande vitesse des logements, des écoles, des universités, des théâtres, des musées et des bâtiments d'infrastructures.Souvent, les constructions de cette période incitaient les utilisatrices et les utilisateurs à ne plus rester assis dans leur salon bourgeois pendant leur temps libre pour sortir dehors et découvrir de nouveaux horizons. De nombreuses écoles de cette époque, qui avaient été disposées comme un groupe de pavillons dispersés dans la topographie, témoignent encore aujourd'hui de ces idées. Les valeurs de l'Etat-providence et l'idéal de l'égalité des chances étaient exprimés par de généreux espaces publics comme de vastes places, ou de larges cages d'escaliers.

...Et crise

Ce sont surtout les contextes culturels que nous interprétons et évaluons à partir de l'architecture d'une époque. Et c'est précisément ce qui a pu favoriser rétrospectivement les évaluations ambivalentes - la plupart étant négatives -des artefacts provenant de cette période. Car les crises pétrolières de 1973 et 1979 ont entraîné des dépressions économiques et culturelles. Le Club de Rome avait prédit en 1972 «les limites à la croissance», et la peur d'un tarissement généralisé des matières premières mondiales et des sources de la prospérité se répandait au sein du grand public. Le terrorisme, la guerre froide et la hausse du chômage ont engendré un mouvement conservateur de retour de balancier. De ce nouveau point de vue, ce qui semblait être auparavant un nouveau départ faisait l'effet d'une crise, et était interprété comme une illustration des symptômes d'une décadence culturelle.

L'histoire se répète

Pénurie de matières premières, inégalités sociales croissantes et crises environnementales apocalyptiques: ces menaces nous paraissent aujourd'hui désagréables et familières. Le réchauffement terrestre a surtout remis une nouvelle fois sur le tapis les thèmes d'importance critique des années 1970. Afin de ralentir les conséquences des gaz à effets de serre - causés par une augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère et dans les océans - il nous faut désormais réduire drastiquement ces émissions, et le plus rapidement possible.Pour ce faire, la Suisse a elle aussi pris des engagements. D'ici à 2050, elle doit avoir atteint le niveau de «zéro émission nette» de dioxyde de carbone - c'est ce qu'a décidé le Conseil fédéral en août 2019. Mais comment réussir, en l'espace de trois décennies, à transformer le système afin de faire sorte qu'il n'émette pas davantage de CO2 que ce que les réservoirs naturels et artificiels sont capables d'absorber?À l'heure actuelle, le chauffage et le refroidissement des bâtiments est responsable de 40 pour cent du total des émissions de CO2. L'adaptation climatique du parc des bâtiments et l'investissement dans la valorisation et la récupération énergétique la plus neutre possible en CO2 constituent toujours une tâche importante. Mais il faut aussi prendre en compte l'acte de construire lui-même. Parce que la démolition et la reconstruction causent aujourd'hui 85 pour cent des déchets en Suisse et sont responsables de 20 pour cent de toutes les émissions de CO2, il est évident qu'ici aussi, il y a nécessité d'agir avec un important levier de changement. Chaque année, 4000 bâtiments sont démolis en Suisse. Afin d'économiser drastiquement à l'avenir dans ce domaine également, il faut adapter l'existant au lieu de reconstruire. Et la réutilisation doit remplacer la nouvelle construction de remplacement.

Extension d'un lotissement pour personnes âgées, Arbon, Singer Baenziger Architekten ©Christian Senti
Extension d'un lotissement pour personnes âgées, Arbon, Singer Baenziger Architekten ©Christian Senti
Transformation de trois tours d'habitation, Rotkreuz Highlife, AM Architects ©Arial Huber
Transformation de trois tours d'habitation, Rotkreuz Highlife, AM Architects ©Arial Huber
Pour Denise, transformation d'un appartement, Biel, Camponovo Baumgartner ©Karl Naraghi
Pour Denise, transformation d'un appartement, Biel, Camponovo Baumgartner ©Karl Naraghi
Surélévation à la Rue de Lausanne, Genf, Lacroix Chessex Architectes ©Olivier di Giambattista
Surélévation à la Rue de Lausanne, Genf, Lacroix Chessex Architectes ©Olivier di Giambattista

Apprendre des années 70

Les constructions des années 1970 sont intéressantes à un triple titre: primo, tout simplement en tant que réservoirs de matériaux de construction avec lesquels on peut - ou l'on doit - continuer de travailler. Secundo, parce qu'avec la hausse des températures, l'intégration du bâti dans le paysage est un sujet qui redevient un thème important. À l'avenir, la question de savoir comment nous pourrons refroidir des bâtiments et des villes, ou comment éviter un trop fort réchauffement, gagnera encore en importance. Et tertio, parce qu'il pourrait valoir la peine de réfléchir à la manière dont les architectes ont réagi aux crises il y a 50 ans.Si nous dressons un état des lieux des rénovations et transformations les plus récentes de bâtiments issus des années 1970, on constate la présence de qualités architectoniques remarquables qui pourraient s'avérer précieuses pour le débat actuel - surtout pour ce qui est de la description de l'entrelacement nécessaire entre architecture et paysage, mais aussi lorsqu'il s'agit de plans et typologies intelligents.

Revers de la médaille

Toutefois, dans le cadre d’une réflexion sur les architectures des années 1970, il faut aussi discuter des aspects problématiques de la construction: les bâtiments de cette époque présentent en effet certains défauts typiques. Les dommages dus à la construction et les échecs liés aux matériaux nous forcent à agir. Il faut parfois éliminer des substances toxiques pour la santé. On rencontre souvent des caves humides, des murs extérieurs avec de mauvais coefficients d’isolation, des fenêtres à simple vitrage, une protection anti-bruit minimale, des ponts de chaleur de composants en saillie, des écaillages de béton apparent, et quelques autres problèmes à résoudre.

Aller dans le détail

Afin d'étudier de manière approfondie les potentiels et les problèmes des ouvrages des années 1970, dix architectes ont été invités au prochain Arc Afterwork à Bâle pour vous présenter des projets de transformation de bâtiments des années 1970. La description de l'arrière-plan historique, architectural et politique vise à nourrir les réflexions qui permettront de réévaluer cette période. Quelques écoles et quelques constructions résidentielles, mais aussi des changements d'affectation de bâtiments d'infrastructures, illustreront ces propos.Scannez le QR code qui vous mènera au formulaire d'inscription en ligne, et réservez votre ticket gratuit pour cet événement qui aura lieu dans la halle 7. Les brefs exposés dureront jusqu'à 20 heures. Il y aura ensuite un apéritif dinatoire où vous pourrez poursuivre les discussions sur le thème des transformations avec des collègues et des partenaires du secteur.

Nous nous réjouissons de votre participation!

192211667