L'urbanisme et la conception des bâtiments à l'ére numérique

En 2013, les électeurs suisses ont voté en faveur d’une révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire. Cette dernière a pour but d’assurer une meilleure protection des terres agricoles en Suisse. Au lieu de construire en dehors des zones à bâtir, les communes devraient mobiliser leur potentiel d’urbanisation vers l’intérieur. En même temps, les scénarios de l’évolution de la population de la Suisse publiés par l’Office fédéral de la statistique supposent que la Suisse comptera en 2045 environ10 millions d’habitants, soit un près de 1,5 million de plus qu’aujourd’hui.Katharina Wyss a mené un entretien avec l’urbaniste Roman Seiler sur les outils de planification numériques et les possibilités qui en découlent pour l’aménagement du territoire.

Roman Seiler est urbaniste et spécialiste chargé de toutes les tâches découlant des projets d’urbanisme concrets à la planification urbaine stratégique. Son bureau Seiler & Seiler dispose de nombreuses années d’expérience dans le développement et l’utilisation d’outils numériques dans le domaine de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.

Quels sont les défis que pose la loi fédérale sur l’aménagement du territoire en vigueur? Que faut-il faire pour assurer en Suisse une coexistence harmonieuse d’un nombre croissant de personnes?

Le développement territorial s’inspire fortement des modifications de l’espace construit. Si nous voulons préserver ce paysage, qui est un élément essentiel de notre identité locale, nous devons nous concentrer sur une utilisation prudente des sols.

Cependant, il ne s’agit pas seulement de frayer la voie au développement futur en augmentant le nombre d’emplois et d’habitants par mètre carré – il nous faut également tenir compte des aspects qualitatifs. Les zones urbaines à forte densité nécessitent des espaces extérieurs totalement différents de ceux que l’on trouve dans un quartier de d’habitations individuelles. Par ailleurs, le développement vers l’intérieur permet d’améliorer la desserte des agglomérations par les transports publics et de mettre sur pied d’autres infrastructures d’approvisionnement efficaces.

«Les possibilités qu’offre le numérique en matière d’aménagement du territoire ne font pas partie d’un futur improbable, elles sont déjà efficacement mises en œuvre.»

Je pense qu’à l’avenir, l’aménagement du territoire devra faire preuve d’une approche beaucoup plus systématique. Jusqu’à présent, les potentiels étaient principalement évalués à l’œil nu ou grâce aux initiatives des propriétaires. Dans ce domaine, l’aménagement du territoire doit jouer un rôle plus actif, devenir plus efficace. Cela permettra à nos structures urbaines existantes de gagner en qualité.

Quels sont les facteurs de réussite déterminants pour la réussite d’un projet de densification urbaine?

La réussite d’un développement vers l’intérieur ne se traduit pas uniquement par une augmentation du nombre d’emplois et d’habitants par mètre carré, mais par la création de conditions favorables à une qualité de vie élevée. L’espace public est un élément essentiel pour garantir une bonne qualité des structures urbaines à forte densité et favoriser l’acceptation du développement urbain vers l’intérieur.

Un facteur de réussite important pour le développement vers l’intérieur est une très bonne situation et une bonne accessibilité du lieu. Nous connaissons actuellement un boom de la construction d’immeubles de grande hauteur en Suisse. Les immeubles de grande hauteur sont un excellent exemple de développement vers l’intérieur. Ils sont notamment construits dans des endroits bénéficiant d’une très bonne accessibilité. Prenons Zurich-Altstetten, un excellent exemple qui montre comment un ancien quartier situé dans la périphérie d’une ville peut se développer. L’Institut du développement territorial (IRAP) de la Haute école technique de Rapperswil a examiné, outre la situation, sept autres facteurs clés du développement vers l’intérieur et les a fixées dans la «Boussole du développement vers l’intérieur». Des propriétaires de terrains qui s’impliquent et s’engagent contribuent considérablement à la réussite du développement vers l’intérieur.

À quoi se heurte le développement des communes vers l’intérieur?

Les parties prenantes doivent être impliquées le plus tôt possible. Quels sont les avantages et opportunités d’un développement vers l’intérieur? Outre la commune, le propriétaire joue un rôle important dans ce processus, même si les raisons en faveur du développement vers l’intérieur sont motivées par des intérêts divers. En effet, il existe de grandes différences entre un propriétaire institutionnel avec un modèle d’entreprise (p. ex. un immeuble de grande hauteur) et un propriétaire privé qui a un attachement émotionnel au lieu (p. ex. une maison individuelle). Dans le domaine de l’aménagement du territoire, nous sommes habitués à travailler avec des propriétaires institutionnels actifs dans le développement de sites. Dans la réalité, cependant, nous avons surtout à faire avec des propriétaires de maison individuelle. Ce domaine fait actuellement l’objet de recherches approfondies dans le but d’inciter le développement vers l’intérieur.

Quelles sont les nouvelles possibilités qui s’ouvrent à l’aménagement du territoire avec la numérisation croissante?

De manière générale, on peut dire que la numérisation ouvre un très large spectre de possibilités, également dans le domaine de l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, il est très facile d’accéder à un grand nombre de données; à certaines étapes de la planification, l’automatisation par des technologies assistées par ordinateur ou un «Digital Twin» apportent un précieux soutien.

Les données et l’automatisation peuvent servir pour analyser de manière systématique les potentiels d’un développement vers l’intérieur. Parfois, nous utilisons un «jumeau numérique» pour présenter des visions possibles de l’avenir d’un quartier. L’important c’est d’intégrer ces méthodes dans les processus de planification établis. Et quand on conçoit un projet, la dimension humain est primordial. Tous les acteurs ont des besoins différents, et notre tâche est de tous les concilier, afin de véritablement mettre en oeuvre le développement vers l’intérieur.

Les possibilités numériques ne font pas partie d’un futur improbable mais sont aujourd’hui une réalité vécue au quotidien dans l’aménagement du territoire. Dans le domaine du développement vers l’intérieur notamment, les communes et les villes devront veiller à combiner de manière ingénieuse les processus numériques et analogiques afin de générer les capacités appropriées permettant de faire face à une croissance démographique et une augmentation du nombre d’emplois.

Quels outils utilisez-vous dans votre pratique quotidienne pour les sujets liés à l’aménagement du territoire?

Seiler & Seiler développe depuis plusieurs années déjà des outils numériques. Cela permet, entre autres, de réaliser une représentation automatisée du potentiel d’un projet de développement vers l’intérieur ou d’y intégrer des règlements de constructions et de zones avec des dispositions relatives aux distances.

Actuellement, les possibilités de construction sur des parcelles ne sont examinées de plus près que très ponctuellement pour des cas isolés.

Les outils numériques nous donnent maintenant la possibilité d’étudier le potentiel du développement vers l’intérieur de manière plus approfondie et systématique. Ces outils numériques ont été ou sont utilisés dans divers projets, par exemple pour communiquer des images et visions d’avenir (pôle de développement cantonal Arth-Goldau) ou actuellement dans la révision d’un règlement sur les zones et les constructions d’une grande ville dans l’agglomération de Zurich.­