Form Follows Love. Une intuition construite – du Bangladesh à l’Europe et au-delà

L’équipe féminine dynamique du Studio Anna Heringer | Photo ©: Studio Anna Heringer
L’architecture comme processus
La thèse de Heringer est simple: une bonne architecture n’a pas besoin de haute technologie, mais de confiance, de créativité et d’attention – envers les personnes, les lieux et les matériaux. Elle raconte ses débuts, son séjour marquant au Bangladesh, l’école METI qu’elle y a construite avec la population locale, en terre et en bambou, et le moment où elle a appris que le toit de l’école avait été rongé par des insectes. Ce n’était pas une catastrophe, comme elle l’avait craint. Mais un processus naturel, qui a apporté du travail, des revenus – et un nouveau toit, meilleur que le précédent.
Cette expérience touche au cœur de sa pensée: l’architecture n’a pas besoin de durer éternellement. Elle doit avoir un impact.Et avoir un impact ne signifie pas impressionner, mais autonomiser. Transmettre des savoirs. Intégrer les savoir-faire locaux. Utiliser les matériaux de manière à ne laisser aucun déchet derrière soi – mais des compétences, de la fierté et de l’autonomie.
Contre la peur de la dégradation
Heringer oppose à l’exigence occidentale de perfection une culture de la construction qui intègre le changement et l’impermanence. À ses yeux, l’un des plus grands obstacles à une architecture durable réside dans la peur largement répandue de la dégradation – et dans la volonté réflexe de rendre les bâtiments aussi durables et intemporels que possible. Cela conduit à une utilisation excessive de ciment, de plastiques et d’additifs chimiques. Mais au lieu de cette durabilité artificielle, elle plaide pour des constructions qui, dans le meilleur des cas, peuvent se décomposer sans laisser de traces – tout en transmettant des savoirs, des compétences et un impact social. L’idée d’un «plan de dégradation» n’est alors pas per
Son livre donne voix à bon nombre de ces réflexions – de manière incisive et narrative.Par moments, il apparaît comme une contre-proposition engagée à l’architecture portée par la logique de croissance – et comme un plaidoyer en faveur d’une architecture qui prend au sérieux sa responsabilité sociale.Mais jamais de façon dogmatique. Toujours de manière personnelle.Elle n’élude ni les crises ni les doutes, parle ouvertement d’effondrements mentaux, des stéréotypes de rôles, des critiques qu’elle reçoit en tant que mère et femme dans le milieu de l’architecture. Et c’est justement cette sincérité qui donne toute sa force à l’ouvrage. Il réunit convictions et pratique de vie – ce qui réussit rarement.

Comme sorti de terre: le premier bâtiment scolaire du campus de Tatale (Ghana), construit en 2023, se présente dans un rouge chaud, correspondant à la teinte de la terre locale. | Photo © Studio Anna Heringer
L’amour comme principe de conception
Le titre Form Follows Love n’est pas un jeu romantique autour du célèbre «Form follows function» de Mies van der Rohe, mais une proposition pour une autre culture de la construction.Une culture où ce n’est pas l’efficacité qui constitue le point de départ, mais la relation – relation à la matière, au lieu, aux personnes, à l’histoire.Cette posture se manifeste non seulement dans l’architecture d’Anna Heringer, mais aussi dans des projets comme Dipdii Textiles, qu’elle a elle-même initié.Au lieu que des vêtements soient produits dans de mauvaises conditions au Bangladesh pour le marché mondial, puis jetés comme des déchets, il en résulte ici quelque chose de complètement différent: des couvertures et des vêtements fabriqués à la main à partir de tissus anciens – cousus par des couturières locales, appréciés en Europe comme pièces uniques durables.Le projet génère des revenus, valorise l’artisanat et redonne de la valeur à ce qui était destiné à être jeté. C’est une forme d’économie des ressources vécue au quotidien. Cette architecture ne commence pas par un plan au sol, mais dans la vie de tous les jours.
Et elle ne s’arrête pas au bâtiment. Elle pose des questions: pourquoi la construction en terre, sans émissions de CO₂, est-elle plus coûteuse que le béton, pourtant très émetteur? Pourquoi taxons-nous le travail manuel, mais pas le ciment? Sa réponse est claire: l’énergie humaine devrait être valorisée, pas pénalisée. Cette idée peut sembler anachronique dans un marché mondialisé – et pourtant, elle est d’une logique implacable.

Dans les Bamboo Hostels en Chine, la construction traditionnelle rencontre un langage architectural poétique: le cœur des bâtiments est fait de pierre et de terre battue, complété par du bambou local. Des paniers et des nasses de pêche ont servi de sources d’inspiration pour l’architecture.| Photo: Jenni JI
Que reste-t-il?
Ce livre ne cherche pas la perfection. Il accepte les ruptures, les contradictions, les zones de transition.Il réunit des projets, des dialogues, des travaux textiles, des entretiens – et surtout une attitude face à l’architecture qui dépasse l’objet construit. Une architecture comme action sociale. Comme responsabilité vécue.
Form Follows Love. Une intuition construite – du Bangladesh à l’Europe et au-delà
Birkhäuser
Première édition 2024
Langues: allemand, anglais, français
160 pages, 61 illustrations
17 x 24 cm
CHF 46.–