Nomos et les traces humaines dans leurs projets

Publié le 30 juin 2023 par
Dane Tritz

​ Nomos est une association d’architectes basée à Genève, Lisbonne et Madrid. Paul Galindo, Lucas Camponovo, Ophélie Herranz, Katrien Vertenten et Massimo Bianco travaillent sur des projets de toutes échelles avec un grand intérêt pour le contexte culturel et l’environnement et sont toujours à la recherche d’une beauté durable. ​

Nomos est une association d’architectes basée à Genève, Lisbonne et Madrid. Paul Galindo, Lucas Camponovo, Ophélie Herranz, Katrien Vertenten et Massimo Bianco travaillent sur des projets de toutes échelles avec un grand intérêt pour le contexte culturel et l’environnement et sont toujours à la recherche d’une beauté durable. | Photo: Ava Camponovo

Nomos est une association d’architectes basée à Genève, Lisbonne et Madrid. Paul Galindo, Lucas Camponovo, Ophélie Herranz, Katrien Vertenten et Massimo Bianco travaillent sur des projets de toutes échelles avec un grand intérêt pour le contexte culturel et l’environnement et sont toujours à la recherche d’une beauté durable. | Photo: Ava Camponovo

La couleur peut être utilisée de manière superficielle et décorative, mais elle a également la capacité de modifier la perception des volumes et des espaces. Dans le travail de Nomos, un bureau d’architecture basé à Genève, Lisbonne et Madrid, la couleur a toujours joué un rôle important et est très attachée à la matérialité. Dans un entretien avec Dane Tritz, Paul Galindo et Lucas Camponovo expliquent les multiples intentions qui y sont liées.

Á quelle phase de développement du projet la couleur entre-t-elle en jeu? Joue-t-elle un rôle important dès les premières esquisses ou l’intégrez-vous seulement une fois le projet établi?

Paul Galindo Cela dépend un peu de la situation de départ. Je ne dirais pas que nous travaillons avec la couleur dès le début d'un projet. Ce n'est généralement qu'en cours de route qu'elle devient un thème. Avant tout, pour nous, il s'agit de trouver un matériau, une texture, une couche permettant de rajouter un raisonnement supplémentaire au projet. Nous n'avons pas d'à priori sur une couleur ou une autre. Les idées naissent spontanément, nous discutons de différentes approches et, petit à petit, elles s'imposent comme une évidence.

Lucas Camponovo La couleur est comme un fil qui se déroule lentement où les idées s’imbriquent au fur et à mesure que le projet prend en épaisseur. Pour nous, la couleur est d’une certaine manière toujours présente. Même si elle n’est pas visible, elle se révèle simplement lorsque l’on commence à travailler un espace, une matérialité et que l’on commence à assembler les éléments architectoniques entre eux.

​ L'immeuble Dr Prévost est situé dans un quartier résidentiel proche du centre ville de Genève. Un programme dense, sévèrement réglementé par les lois sur le logement et la pression économique, prévoit un mélange prédéfini de logements sociaux et d'appartements à la vente. ​

L'immeuble Dr Prévost est situé dans un quartier résidentiel proche du centre ville de Genève. Un programme dense, sévèrement réglementé par les lois sur le logement et la pression économique, prévoit un mélange prédéfini de logements sociaux et d'appartements à la vente. | Photo: Paola Corsini

L'immeuble Dr Prévost est situé dans un quartier résidentiel proche du centre ville de Genève. Un programme dense, sévèrement réglementé par les lois sur le logement et la pression économique, prévoit un mélange prédéfini de logements sociaux et d'appartements à la vente. | Photo: Paola Corsini

Pour réagir à cela, dans l'immeuble de logement Dr Prévost à Genève, comment avez-vous conçu le socle en faïence bleu et l'escalier rouge? Quelles était leurs significations?

Lucas Ce qui comptait avant tout dans notre intervention était de pouvoir mettre en évidence les espaces communs au travers de textures plus artisanales. On voulait, par rapport aux appartements individuels en série, revaloriser le côté social des espaces communs et réintégrer une échelle plus humaine. La faïence, cette dernière couche, nous a en quelque sorte permis de retrouver la main de l'homme en contraste avec la grande échelle du bâtiment. Pour ce qui est de la couleur, nous voulions ouvrir l'espace, nous voulions avoir la sensation que l'espace se dilate et s'agrandit. Et le bleu en référence au ciel est arrivé très logiquement dans notre réflexion. La couleur de l'escalier devait s'harmoniser avec le bleu tout en créant un contraste. L'acier et le rouge sont arrivés dans notre esprit de manière plus spontanée. Chaque palier d'escalier forme un petit balcon et permet d'aller chercher des vues. La couleur rouge s'inspire également des structures métalliques de Bernard Tschumi.

Par contraste, dans vos rénovations, je pense par exemple à La Nave située à Madrid qui est une ancienne imprimerie transformée en lieu de vie, on perçoit une utilisation plus importante de la couleur.

Paul Pour La Nave nous avons joué avec des matériaux industriels. Nous avions choisi deux briques de différentes couleurs, dont un côté était émaillé et l'autre brut. Dans ce cas de figure, nous avons recherché une certaine exubérance dans la composition par leur mise en place. Là encore, le but était de retrouver le côté humain de la personne qui a manipulé la brique, qui l'a retourné et qui, parfois même, s'est trompé. Ainsi, certaines briques ont été positionnées à l'envers par rapport à ce que nous avions prévu: au lieu des surfaces émaillées, ce sont quelques fois les surfaces rugueuses qui regardent vers l'extérieur. Et maintenant nous ne pourrions plus imaginer le projet autrement. Cela ajoute une couche supplémentaire à l'histoire du lieu. C'est justement parce que nous apprécions ce genre de complexité que nous aimons beaucoup faire des transformations. De manière plus générale, dans ce genre de projets à petite échelle, nous pouvons beaucoup plus expérimenter et rechercher la main de l'artisan dans l'espace. Ce qui nous intéresse dans la manière de vivre un espace, c'est la qualité de l'artisanat. Et cette expérience acquise au travers de petits projets nous permet ensuite de sauter dans des échelles plus urbaines et de savoir comment certains matériaux et certaines textures arrivent à provoquer des sensations.

Lucas À plus grande échelle, la ville existante joue également ce rôle. Elle comporte des traces, donc en tant qu’architecte, il s’agit de savoir de quelle manière on va pouvoir s’intégrer dans quelque chose de vivant.

​ Située à Madrid, La Nave est une ancienne imprimerie transformée en lieu de vie montrant très peu de différence entre le monde du travail et la vie de famille. Le projet est le résultat d'un processus créatif axé sur l'utilisation de matériaux locaux et de systèmes de construction liés à l'artisanat. ​

Située à Madrid, La Nave est une ancienne imprimerie transformée en lieu de vie montrant très peu de différence entre le monde du travail et la vie de famille. Le projet est le résultat d'un processus créatif axé sur l'utilisation de matériaux locaux et de systèmes de construction liés à l'artisanat. | Photo: Luis Asín

Située à Madrid, La Nave est une ancienne imprimerie transformée en lieu de vie montrant très peu de différence entre le monde du travail et la vie de famille. Le projet est le résultat d'un processus créatif axé sur l'utilisation de matériaux locaux et de systèmes de construction liés à l'artisanat. | Photo: Luis Asín

Le centre médical Kaya au Burkina Faso s'intègre tout naturellement dans son environnement. Le foyer Pasodoble à Lancy, quant à lui, se démarque par ses carreaux verts et blancs. Nous avons ici deux démarches bien différentes, Quand faut-il s'intégrer et quand faut-il se démarquer de l'environnement?

Paul Pour Kaya, la situation elle-même a orienté l’aspect du bâtiment, la terre nous a ainsi servi de base pour créer les briques. Il n’y a pas eu de choix à faire, seules les préoccupations constructives et le budget ont été importants. En revanche, pour Pasodoble, il y a sur la parcelle un beau cèdre avec lequel nous voulions dialoguer. Étant donné que le bâtiment prévu était composé de deux grands volumes, nous voulions briser cette grande échelle en travaillant avec deux couleurs différentes, le blanc et le vert. Pour le matériau, nous avons choisi de travailler avec de la faïence réfléchissant la végétation environnante.

Les clients ont-ils déjà réagi négativement à vos propositions de matériaux, de textures ou de couleurs?

Paul De temps en temps, il y a des discussions et parfois même des malentendus. Mais je suis plutôt d’avis qu’elle amène une certaine détente. Particulièrement quand le projet est dans une phase de tension économique, ou lorsque l’ambiance de travail est plus tendue. La couleur nous a souvent amené ce moment de dialogue, de réconciliation où l’on a pu pousser certains aspects d’un projet, ou alors un détail un peu plus sophistiqué.

Lucas C’est fou à dire, mais l’utilisation de la couleur est très difficile. Pour revenir à Pasodoble par exemple, au début tout le monde doutait de cette couleur verte et il y avait une très forte résistance contre. À un moment, nous avons même dû arrêter le chantier. Sur demande de la commission d’architecture nous avons convoqué la commune, la commission et le maître d’ouvrage afin de pouvoir leur prouver que cela allait fonctionner. Finalement, tout le monde a aimé ce vert. Pour Dr. Prévost, nous avons reçu des lettres d’insultes. «Pourquoi ne faites-vous pas plus gris, n’êtes vous donc jamais sortis de votre trou?». Les discussions autour de la couleur sont toujours très émotionnelles et subjectives. Il s’agit de «goût». C’est pourquoi nous essayons toujours de ne pas travailler avec la couleur en tant que telle, mais plutôt d’amener la discussion vers la matérialité, la fonction et les textures.

Paul Finalement, nous centrons la conversation sur la couleur, mais elle a toujours été là. C'est vrai qu'il y a certaines périodes où la tendance de la couleur a un peu plus disparu dans certains discours plus académiques ou l'on se centrait plus sur l'espace et le minimalisme. Mais finalement, ce sont des éléments qui ont toujours été présents, même dans l'antiquité. Notre position est plutôt de ceux qui ont envie de voir la couleur comme un élément qui accompagne l'espace et qui a la capacité d'amplifier ces espaces en leur donnant une qualité de plus.

Pasodoble, situé à Lancy, propose un foyer pour personnes souffrant d’un handicap mental et pour étudiants, ainsi que des logements collectifs et sociaux. Des espaces commerciaux et un centre d’entraînement physique se situent au rez-de-chaussée. Les deux barres sont reliées par des arcades, formant ainsi une série d’atriums. ©Paola Corsini

Pasodoble, situé à Lancy, propose un foyer pour personnes souffrant d’un handicap mental et pour étudiants, ainsi que des logements collectifs et sociaux. Des espaces commerciaux et un centre d’entraînement physique se situent au rez-de-chaussée. Les deux barres sont reliées par des arcades, formant ainsi une série d’atriums. ©Paola Corsini

Pasodoble, situé à Lancy, propose un foyer pour personnes souffrant d’un handicap mental et pour étudiants, ainsi que des logements collectifs et sociaux. Des espaces commerciaux et un centre d’entraînement physique se situent au rez-de-chaussée. Les deux barres sont reliées par des arcades, formant ainsi une série d’atriums. ©Paola Corsini

Cet article est paru dans l'Arc Mag 2023-4. Abonnez-vous dès maintenant pour recevoir prochainement le magazine dans votre boîte aux lettres.

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