Sismographe architectural

Publié le 16 mars 2023

Raphael Wiprächtiger, Martin Schuler et Martin Janser gèrent actuellement l’Architekturgalerie de Lucerne.

Raphael Wiprächtiger, Martin Schuler et Martin Janser gèrent actuellement l’Architekturgalerie de Lucerne.

Raphael Wiprächtiger, Martin Schuler et Martin Janser gèrent actuellement l’Architekturgalerie de Lucerne.

L’Architekturgalerie de Lucerne a été fondée il y a quatre décennies. Mais qui est à son origine, et quels motifs ont incité ses initiants à la créer?

Toni Häfliger L’Architekturgalerie Luzern a été créée en 1983 par Roman Lüscher. À l’époque, les débats sur l’architecture n’étaient pas aussi vifs qu’aujourd’hui et n’avaient lieu que de manière plutôt sporadique. Fredi Macek, un ami galeriste de Roman, lui a demandé s’il était intéressé à louer ensemble un local d’exposition qui présenterait l’art et l’architecture et communiquerait sur ces thèmes. Il a accepté, et la galerie «Partikel» est née. C’était l’un des premiers lieux d’exposition à se concentrer sur la présentation de l’architecture. À l’époque, Noldi et Vrendly Amsler, de Winterthur, avaient donné le coup d’envoi. D’autres expositions ont suivi, dont celles sur Ivano Gianola et Rob Krier. En 1986, Heinz Wirz, Heinz Hüsler et moi-même sont venus compléter l’équipe initiale, et nous nous sommes réparti le travail par secteurs.

Luca Deon Après mes études d’architecture, il me tenait à cœur de m’engager à titre bénévole pour mon métier, et pour ma ville de Lucerne. Ainsi, en 1994, j’ai «postulé» pour une collaboration auprès de l’AGL, et plus tard, conjointement avec Toni Häfliger, j’ai dirigé la galerie AGL durant 15 ans.

TH Par la suite, le lieu de nos manifestations est devenu un «hotspot» qui a attiré des passionnés d'architecture ayant un rayonnement national et international. Tout un groupe d'architectes, femmes et hommes, parfois encore peu connus, ont exposé à l'AGL, dont Heinz Tesar, Peter Zumthor, Bétrix & Consolascio, Adolf Krischanitz, Burkhalter Sumi, Dieter Kienast, Josep Lluis Mateo, Gigon / Guyer et Hans Kollhoff. C'est aussi à cette époque que la production de catalogues de haute qualité a commencé - d'abord en auto-édition, puis en collaboration avec l'éditeur Birkhäuser.

Quand l'équipe de direction actuelle est-elle entrée en jeu?

Martin Schuler Outre mon propre bureau d’architecture, communiquer sur l’architecture m’intéressait depuis toujours. J’avais découvert l’Architekturgalerie Luzern dès 2003. J’ai d’abord été chargé du travail avec les médias, puis j’ai été gérant de la Fondation, et en 2020, j’en ai assumé la présidence.

Martin Janser Je participe à l’AGL depuis 2019. Quand on m’a proposé une collaboration, j’ai tout de suite accepté. Parce qu’ensemble, on peut aborder les thèmes qui nous intéressent d’une toute autre manière que dans une activité professionnelle courante. C’est à cette même époque que Raphael Wiprächtiger a rejoint l’équipe.

Entre-temps, plus de vingt catalogues ont été publiés dans l’édition de l’Architekturgalerie de Lucerne.

Entre-temps, plus de vingt catalogues ont été publiés dans l’édition de l’Architekturgalerie de Lucerne.

Entre-temps, plus de vingt catalogues ont été publiés dans l’édition de l’Architekturgalerie de Lucerne.

Lorsqu'on passe en revue les événements et expositions de ces quatre décennies, on peut y lire la tentative de trouver un équilibre entre un mouvement de «sortie au-dehors» – faire connaître des prises de position propres à la Suisse centrale – et un mouvement «d'accueil vers l'intérieur» - accueillir des impulsions provenant d'autres régions de Suisse et de l'étranger.

TH Il était important pour nous d’impliquer dans la discussion le plus grand nombre de groupes possible. Outre les architectes, femmes et hommes, les étudiantes et les étudiants, les personnes intéressées par l’architecture et la culture, nous voulons toujours débattre également avec les autorités et les femmes et hommes politiques. Au début, notre équipe avait posé des affiches dans de nombreux commerces de la ville de Lucerne afin d’attirer le public local le plus large possible dans nos expositions et nos conférences. Simultanément, nous avions aussi pour ambition de faire rayonner l’Architekturgalerie Luzern au-delà de la région et de la Suisse.

LD L'AGL s'est définie comme étant «le sismographe de la scène de l'architecture», comme Toni avait coutume de dire. Mais ce qui nous intéressait en priorité, ce n'était pas les «fortes secousses». C'était plutôt de repérer les mouvements plus subtils de quelques architectes, femmes et hommes. Si l'on étudie la liste de ces architectes, on constate qu'ils ont presque tous influencé les grands mouvements qui ont marqué la scène de l'architecture. S'il s'agissait au début exclusivement de représentants régionaux et nationaux, avec mon arrivée, nous avons plus fortement ouvert nos horizons sur l'Europe. Ainsi, nous avons pu faire venir à Lucerne un nombre croissant d'architectes de rayonnement international en générant avec eux des discours authentiques. Des expositions ont suivi avec notamment Roger Diener et Martin Steinmann, Herzog & de Meuron, Devanthéry & Lamunière, Dominique Perrault, Daniele Marques. Jean Nouvel, Margherita Spiluttini et Caruso St John. Ces expositions étaient toujours accompagnées d'exposés ou de tables rondes avec les architectes exposants et des invités de renom.Il y avait toujours un respect mutuel entre collègues suisses et étrangers. Les vernissages d'expositions avec des exposés et des dédicaces du catalogue d'accompagnement ont attiré des intéressés de tout le pays. Ainsi, ces rendez-vous annuels récurrents sont devenus une référence de la scène suisse de l'architecture. L'ambiance était conviviale. C'était sans doute la raison pour laquelle la plupart des architectes sollicités ont accepté de venir à Lucerne.

TH Chaque exposition était simultanément un projet pour l’architecte qui exposait, un projet qui lui permettait de s’approprier l’espace et de faire le lien entre ce dernier et le matériau exposé.

LD Nous avons chaque fois mis au point les axes prioritaires en collaboration avec les architectes sélectionnés. L'ordre chronologique des étapes est devenu une méthode: solliciter, faire personnellement connaissance, première discussion sur le thème possible, puis affiner le sujet, et enfin mettre en œuvre l'axe prioritaire choisi dans une conférence, une exposition et un catalogue.

TH Nous avons chaque fois rencontré les architectes à leur domicile ou dans leurs bureaux. Les projets ont toujours été élaborés sur une période d’une année.

LD Ces visites nous ont durablement impressionnés. Peter Zumthor, par exemple, nous a présenté, lors d’une visite guidée improvisée, le chantier de son nouveau bureau et la maquette du projet maçonné Kolumba à l’échelle 1:20. Ce futur musée se dressait en plein air sur un pâturage au milieu des vaches. Chez Herzog & de Meuron, ce qui m’a impressionné, c’est la cour avec la maquette à l’échelle 1:1. La pratique et la réalité se mêlaient à la théorie des matériaux et de la construction dans le travail affairé des ouvriers et celui des chariots élévateurs environnants – c’était de l’architecture vivante! Autre moment inoubliable: un voyage à Paris. Jean Nouvel est arrivé deux heures trop tard pour une interview. Mais il a compensé en nous consacrant beaucoup de temps, et il nous a invité plusieurs fois à déjeuner.

MS Le choix de la personne et des œuvres à présenter était le fruit de considérations mûrement réfléchies et faisait l'objet d'un long processus d'élaboration. Cela dit, le divertissement a toujours été un facteur essentiel. Quand on peut traiter des thèmes qui nous intéressent personnellement, cela débouche automatiquement sur de bons résultats.Et une autre valeur nous guide: la qualité prime toujours sur la quantité. C'est pourquoi il y a eu des années où aucun projet n'a été réalisé.

TH Les premiers exposants produisaient eux-mêmes leurs présentations et apportaient leurs plans, maquettes et autres matériels à Lucerne. D'année en année, le fonctionnement de l'exposition s'est professionnalisé, il est devenu plus international et plus intensif en travail. Mais avec des budgets croissants, le risque économique augmentait également.En 1991, Roman Lüscher a mis sur pied la Fondation Architekturgalerie Luzern afin de créer un cadre stable pour la galerie. Le Conseil de fondation conseillait l'équipe de la galerie dans la structuration du programme et entretenait un réseau de contacts. Car c'est précisément dans la collaboration avec des sponsors et avec les autorités que la continuité revêt une grande importance.L'AGL est le cadre nécessaire qui permet de s'attaquer à certains thèmes. Mais ce qui est tout aussi important, c'est une passion pour l'architecture. Un projet comme l'AGL ne peut subsister que si de nombreux bénévoles y apportent leur aide. La liste des collègues qui ont participé au fil des ans est longue. Notre équipe était la plus nombreuse vers la fin des années se terminant par un zéro. À l'époque, nous avions organisé divers symposiums avec l'aide de plus de dix personnes.

MS À l’heure actuelle, comme déjà expliqué, nous travaillons à trois. La dualité composée par le Conseil de fondation d’une part, et par l’équipe de la galerie d’autre part, n’existe plus sous cette forme. Mais nos prédécesseurs continuent à nous soutenir, et nous pouvons faire appel en tout temps à leurs services. Cela nous donne de la sécurité, et cette grande expérience de longue date n’est ainsi pas perdue.

Aperçu de l’exposition maa at work, qui s’est tenue en juin 2011 à la Weystrasse 22 à Lucerne.

Aperçu de l’exposition maa at work, qui s’est tenue en juin 2011 à la Weystrasse 22 à Lucerne.

Aperçu de l’exposition maa at work, qui s’est tenue en juin 2011 à la Weystrasse 22 à Lucerne.

Doit-on débattre autrement sur l'architecture en Suisse centrale que dans le reste du pays?

TH En fait, la situation n’est pas différente en Suisse centrale. Certes, les spécificités historiques sont importantes, mais chaque projet devrait puiser ses forces dans les spécificités du lieu. L’architecture est (aussi) un processus, et l’AGL l’a également rendu visible en discutant de la qualité et des conditions liées à cette dernière.

Raphael Wiprächtiger Bien entendu que chaque lieu a sa propre histoire individuelle et ses particularités, ce qui est le cas pour la Suisse centrale et Lucerne. Je considère que l'une des missions de la galerie consiste à replacer les constructions dans ce contexte spécifique et à les remettre en question. Mais en architecture, de nombreuses problématiques sont valables au-delà de la région concernée. Il ne faut donc pas débattre sur l'architecture dans notre région autrement qu'ailleurs. Mais il faut en débattre. Car même si les choses ont un peu bougé en Suisse, le débat sur l'architecture a encore souvent lieu dans un cadre assez modeste - surtout si l'on quitte les grandes agglomérations.

Avec votre travail, avez-vous pu influencer l’architecture et le développement urbain de Lucerne ou de la Suisse centrale?

LD Il est certain que nos événements annuels ont motivé les Lucernois. Mais cet impact ne saurait se mesurer concrètement. L’importance de l’AGL pour la ville et le canton, ainsi que pour les associations professionnelles de la Suisse centrale, se reflète plutôt lors du sponsoring; c’est dans ce cadre que des représentants des milieux politiques et économiques ont présenté chaque année leurs contributions.

Pourquoi la galerie n'a-t-elle pas de domicile fixe actuellement?

TH Le local dont nous disposions à la Denkmalstrasse avait une bonne taille, mais son affectation a malheureusement changé en 2004. Par la suite, l’équipe s’est concentrée sur l’organisation des symposiums – avec succès. Nous avons utilisé ultérieurement un local situé au Reussquai – un très bon emplacement. Mais il a lui aussi été loué à quelqu’un d’autre. Nous avons ensuite été des invités en des lieux changeants – par exemple à l’Aula du KKL et à l’Hôtel Schweizerhof.

LD L'AGL a donc toujours été «l'invitée» dans d'autres galeries. Les relations personnelles entretenues avec les architectes exposants nous ont toujours tenu extrêmement à cœur. Celles-ci étaient à ce point conviviales que nous n'avons pas besoin de lieu fixe. Les relations étaient notre domicile.

MJ Bien sûr qu’un quartier général aurait certains avantages. On a ainsi une adresse visible, et on ne doit pas chercher un lieu approprié pour chaque exposition. Mais c’est précisément cela qui est aussi passionnant. Ainsi, nous pouvons rechercher un lieu à Lucerne en fonction du thème et de la taille de l’exposition. Cela donne parfois à la galerie une allure de guérilla.

RW Communiquer sur l'architecture fonctionne sûrement très bien dans des musées et des salles d'expositions, mais aussi dans des locaux qui ne sont en fait pas prévus pour cela. Si l'on joue sur des lieux changeants, la confrontation avec l'architecture lucernoise a lieu encore une fois sur un autre plan. Nous nous posons de manière répétée la question: quel espace convient à notre programme, que voulons-nous dire avec cette exposition en ce lieu? Cette approche a du potentiel.

Dans quelle direction voyez-vous l’avenir de la galerie?

LD Alors qu’au tournant du siècle, les architectes stars se préoccupaient plutôt de questions d’esthétique de la construction, la scène d’aujourd’hui, avec ses communautés d’architectes, gravite davantage autour de l’écologie et de la durabilité – ce qui est un reflet de notre société.

TH Je serais très heureux si les thèmes de l’avenir abandonnaient la notion d’«auteur» au profit de thèmes de rang supérieur comme l’énergie et l’environnement, le développement urbain et les aspects sociaux. Un bon mélange est nécessaire.

RW Avec l’exposition actuelle «Typiquement Lucerne?», nous dressons une sorte d’état des lieux. Comment construit-on à Lucerne au début du 21ème siècle? D’autres questions peuvent en découler. Ce qui m’intéresse personnellement, par exemple, c’est la question suivante: quel est l’impact de la HES de Lucerne sur la région? La Haute Ecole a connu de forts changements ces dernières années – elle a abandonné un cursus de formation marqué par la technique pour adopter une formation en architecture plus généraliste. Il arrive de plus en plus fréquemment que des jeunes gens en fin de scolarité se mettent à leur compte et créent des bureaux dans la région. L’influence de la Haute Ecole devrait donc bientôt se faire remarquer plus fortement.

MJ Ou comment faut-il gérer l'existant? À ce sujet, il y a parfois des divergences entre les politiques et les architectes, et il vaut la peine d'en discuter. Mais il y aussi des thèmes globaux qui nous préoccupent, comme p. ex. la question de la division des rôles entre l'architecte qui dessine les plans, et l'architecte chargé de leur exécution. J'estime qu'il est important de trouver des réponses à cette question – également en ce qui concerne la formation et les développements locaux. Il s'agit donc à nouveau de regarder le monde et de réfléchir à partir de son propre clocher.

Avec l'exposition 0,3 Sekunden à la galerie Ahoi de Lucerne, l'Architekturgalerie s'est attaquée aux questions du rôle des images numériques et des médias sociaux dans le discours architectural.

Avec l'exposition 0,3 Sekunden à la galerie Ahoi de Lucerne, l'Architekturgalerie s'est attaquée aux questions du rôle des images numériques et des médias sociaux dans le discours architectural.

Avec l'exposition 0,3 Sekunden à la galerie Ahoi de Lucerne, l'Architekturgalerie s'est attaquée aux questions du rôle des images numériques et des médias sociaux dans le discours architectural.

Première publication: Arc Mag 2023–2

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